Le “Freeman” de St. Jean et la question Acadienne.

Journal
Année
1900
Mois
9
Jour
13
Titre de l'article
Le “Freeman” de St. Jean et la question Acadienne.
Auteur
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Page(s)
2
Type d'article
Langue
Contenu de l'article
Le “Freeman” de St. Jean et la question Acadienne. Notre confrère du “Freeman,” évidemment surpris de la promptitude avec laquelle le “Moniteur” et le COURRIER ont relevé son article à l’adresse des Acadiens, revient à l’attaque dans son numéro du 8 septembre. Nous nous trompons peut-être en disant que le confrère revient à l’attaque; car il semble plutôt vouloir changer d’attitude et prendre la défensive. Il commence par avancer avec une hardiesse imperturbable que ce n’est pas nous qui sommes responsables de l’article qui a paru dans notre avant dernier numéro. Notre article, selon lui, émane, non pas de la rédaction mais de la plume d’un des chefs qui président maintenant à la direction des affaires acadiennes – pour nous servir de son expression. Là-dessus, que le confrère se rassure. Qu’il n’aille pas s’imaginer que l’expression de ses sentiments à notre égard qu’il a bien voulu nous offrir à titre d’hommage à l’occasion de notre fête nationale, aît effrayé à un tel point ceux qu’il se plait à appeler les “chefs de l’Acadie” qu’ils consentent à entrer dans l’arène, pour lutter avec lui. La tâche de répondre aux attaques de ce genre incombe aux journalistes, et nous avons ramassé nous-même le gant qu’on nous avait jeté. Le confrère nous accuse ensuite d’avoir donné une fausse interprétation à ses motifs et de nous être mépris sur ces intentions, il ajoute que cela tient à ce que nous ne le connaissons pas personnellement. Il est malheureusement vrai que nous n’avons pas l’honneur de connaître notre confrère en personne, mais en tant qu’il est question de ses motifs il nous semble que ses propres paroles devraient servir à les interpréter. Aussi est-il notre désir de lui rappeler ici que nous n’ayons pas commenté une seule de ses phrases sans la citer. La parole est l’interprète de la pensée, surtout quand on traite à tête reposée des questions qui intéressent tout un peuple. Après avoir essayé à faire une quasi-apologie de son premier article, le confrère s’évertue à justifier l’attitude qu’il a prise à notre égard. Il s’efforce de parvenir à ce but par le moyen de certaines comparaisons. Malheureusement par sa logique, ses prétendues comparaisons sont si faibles, elles manquent à un tel degré de ce qui constitue essentiellement une comparaison, qu’il ne faut pas être très habile dialecticien pour démontrer qu’elles sont plutôt des contrastes, et qu’ainsi au lieu de servir d’armes au confrère, elles sont susceptibles d’être tournées contre lui. Voici les comparaisons à l’aide desquelles notre confrère veut établir sa thèse, que les Canadiens et les Acadiens doivent cesser d’être français et de parler leur langue maternelle. Il compare premièrement l’usage de la langue française dans ce pays, – (nous ne savons pas comment il prétend justifier l’emploi du mot “renaissance” puisque le français a toujours vécu parmi nous) – à un retour des Irlandais du Canada à la langue celtique. Dernièrement il compare la position des Français du Canada à celle des Irlandais, des Allemands et des Français des Etats Unis. La faiblesse des arguments du confrère appert “ex sola comparatione idearum.” Quelle comparaison y a-t-il en effet entre la “renaissance” d’une langue morte comme le celtique et qui n’a laissé aucun monument de sa littérature, et la “continuation de l’usage” de la langue française, la plus belle, la plus élégante des langues modernes, et qui est langue officielle dans notre pays? Un grand nombre d’Anglais, d’Allemands et d’Américains dépensent des grandes sommes d’argent et beaucoup de temps pour apprendre le français, parce qu’ils considèrent la possession de cette langue comme un titre de distinction, et nous qui la recevons en héritage, nous devrions l’oublier! La deuxième comparaison est aussi absurde que la première. Quelle parité y a-t-il entre notre position et celles des Allemands ou des Français des Etats-Unis? Ici, au Canada, nous formons à nous seuls, le tiers de la population; notre langue, nous le répétons, est langue officielle aussi bien que la langue anglaise. Cet état de choses a été reconnu et accepté par le gouvernement anglais. Depuis longtemps les Dalton McCarthy et les Clarke Wallace ont été les seuls à nous disputer notre droit de conserver notre langue et notre nationalité. Notre confrère se met dans une position peu enviable en s’unissant à ces célèbres francophobes. Qu’il réfléchisse un peu, qu’il se rappelle que le Canadien-Français qui perd sa langue finit presque toujours par perdre sa foi, et nous sommes convaincu qu’il ne tardera pas à changer d’attitude à notre égard. Il y a un autre passage de ce dernier article du “Freeman” que nous devons relever avant de terminer. Le confrère dit que, le cas échéant, nous ne déployerions pas le même zèle à défendre la religion que nous déployons à défendre notre nationalité. Nous n’hésitons pas à dire que cette lâche insinuation est, pour nous servir de la plus faible expression possible , injustifiable et erronée. Nous invoquerions encore une fois notre histoire à l’appui de notre assertion, si nous ne savions pas que ce serait peine perdue; nous avons déjà cité l’histoire et le confrère a qualifié nos preuves de “fleurs de rhétorique.” C’est avec un indicible plaisir que nous avons vu ‘L’Evangéline’ s’unir à nous et au ‘Moniteur’ pour repousser l’attaque du ‘Freeman.’ Qu’il en soit toujours ainsi. Que les journaux français de l’Acadie se rallient toujours autour de notre drapeau, déterminés, quoiqu’il advienne, à tout sacrifier pour sa défense. C’est à cette condition seulement que nous pourrons garder notre patrimoine national. L’union fait la force. Que ce soit là notre dévise, et nous ne sortirons que plus vigoureux de la lutte.