Une voix discordante

Année
1900
Mois
8
Jour
30
Titre de l'article
Une voix discordante
Auteur
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Page(s)
2
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Une voix discordante Le “Freeman” de St-Jean et la renaissance Acadienne Tous les journaux de la Puissance, tous les journaux Anglais des Provinces Maritimes sans distinction de parti, dans une juste et généreuse conception de la liberté politique et religieuse, dans le respect dû aux diverses races et nationalités qui forment la population du Canada, avaient exalté les vertus du petit peuple Acadien, et d’un commun accord avait témoigné à leurs chefs leur sincère appréciation de leur viril courage, de leur patriotisme élevé, richement imbu de loyauté envers tous. Tout le Canada représenté à cette réunion nationale, tenue à l'extrémité est du pays, Anglais, Ecossais, Irlandais, aussi bien que Français Canadiens, avait salué avec respect les chefs de ce petit peuple, avec l’intime perception d’une force naissante qui doit bientôt étendre son influence bienfaisante sur tout le pays, par sa coopération dans le développement de la civilisation Britannique, et de l’esprit de fraternité chrétienne. Le grand homme d’état du pays, le Premier Ministre, dont la largesse d’idées est si bien reconnue et appréciée de partout l’Empire Britannique, était là pour donner par sa présence et sa parole éloquente son encouragement aux chefs dévoués de ce petit peuple autrefois délaissé. Des centaines de Canadiens-Français étaient venus de tous les districts de la Province de Québec, témoigner de la sympathie de leurs voisins pour le peuple Acadien dans ses efforts à gagner sur le théâtre national la position qui lui est due. Des prêtres Irlandais et Ecossais étaient là pour exprimer dans le langage le plus sympathique leur appréciation de l’intelligence développée dans cette organisation nationale, et les encourager de leurs bons conseils. Nous ne nous attendions plus à aucune censure, lorsque le 25 de ce mois, une voix discordante se fait entendre, la voix qui, nous l’aurions cru, aurait exalté le plus loyalement le courage de ce petit peuple dans l’assertion de son existence, auprès duquel ce confrère devrait être heureux de vivre dans une communion de foi religieuse, “sur un terrain [pour nous servir de l’heureuse expression d’un des siens] sur un terrain qui est le nôtre, sur lequel il a été amené par la persécution, et que nous avons conservé malgré la persécution.” Le “Freeman” établit d’un ton dédaigneux le contraste entre la résignation des vieux Acadiens, et l’activité, l’agression, la ténacité des Acadiens d’aujourd’hui, et leur impuissance à se laisser apaiser avec une parcelle de ce qu’ils considèrent leur droit de naissance. Il attribue ce progrès à l’influence Anglo-Saxonne sous laquelle le peuple Acadien a vécu depuis plus d’un siècle. Afin de ne pas être taxé d’inexactitude, nous citons les paroles du confrère : “In this he shows the effect of the Anglo-Saxon environment, and in this he is a product unproducible under the regime which the English conquest of Acadia put an end to forever. He has thus been improved upon in spite of himself.” Ces paroles sont une flagrante perversion de l’histoire. Si le peuple Acadien était resté courbé sous le joug Anglo-Saxon, imposé par Lawrence et ses complices, il aurait depuis longtemps cessé d’exister. Notre confrère ne veut-il tenir aucun compte des immenses services de l’Abbé Sigogne, dont les travaux forment la plus belle page de l’Acadie renaissante, et qui ont été si éloquemment rappelés par Sir Wilfrid Laurier? Ne veut-il tenir aucun compte des services des nombreux missionnaires Canadiens qui succédèrent à ce père du peuple dans l’aspersion de bienfaits inappréciables? Ne veut-il tenir aucun compte des services du Père Lefèvre qui forma les chefs d’aujourd’hui? Tout ce que le peuple Acadien doit à l’influence Anglo-Saxonne, c’est la pratique de l’art de lutter constamment pour la défense de ses droits. Notre confrère, contre l’attestation des écrivains les plus honnêtes et les mieux renseignés de toute nationalité, ne voit dans l’histoire des Acadiens que des faits repoussants, qui ne méritent que le mépris des générations actuelles, et cherche à tourner en ridicule les efforts que nous faisons pour commémorer les évènements de 1755. Il ne voit que de la stupidité chez nos chefs, chez la masse des citoyens les plus distingués de toutes les nationalités qui ont coopéré à rehausser l’éclat de notre fête nationale, depuis Sir Wilfrid Laurier, l’hon. Mr. Murray, jusqu’à l’humble paysan qui a quitté son champ pour aller raviver son patriotisme sous la parole vibrante des meilleurs orateurs Anglais et Français du pays. Pour donner une plus correcte idée de la pensée de notre confrère, citons encore une fois ses paroles : “If they put their own interpretation on history, or better, if they lose sight of history altogether, and exult in what others believe they should spurn and condemn, that, we suppose, is their own affair; and the greater world around them can afford placidly to look on and enjoy the sight -- yet there can be no enjoyment where men are seen to stultify themselves!” Notre confrère regrette l’esprit de nationalité qui existe chez les Français et le considère comme un danger et un obstacle à l’accroissement national : “We do not blame their ambition”, dit-il, “It appears to them praiseworthy and right. But we regret it. We regret it because as long as this spirit of nationality is fostered and kept alive among us just so long will there be disunion and stoppage of real national growth.” Plus loin il dit : “Already we hear the boast that eventually the country must become French because of the productiveness of French families.” Il en appelle aussi aux paroles de l’Hon. Israël J. Tarte à Paris, qu’il décrit comme “suicidal. It is worse, it is mad folly.” Toutefois, notre confrère veut être bien compris, et après avoir traité d’hébétement nos réunions patriotiques, qu’il ne peut contempler avec plaisir, il ajoute qu’il n’a pas d’objection à l’élévation de la race Acadienne. Il croit que nous avons droit à la reconnaissance dans les avenues, et les conditions de la vie. Mais il nous prie, dans notre intérêt futur “de ne pas coquetter avec cette attrayante illusion de la renaissance Française, et de ne pas nous bercer de l’espérance que ce pays sera un jour transmis à la vicieuse étreinte de la France de nos ancêtres.” Pour dissiper ses craintes au sujet de l’avenir, notre confrère voudra bien nous permettre de rafraîchir sa mémoire de quelques faits historiques à jamais mémorables, actions héroïques qui n’ont leur explication que dans la sublimité d’une loyauté qu’on ne peut trouver ailleurs que chez les Canadiens-Français Britanniques, encouragés, soutenus qu’ils étaient dans cet héroïsme sans précédent, par la prière de leurs prêtres et de leurs évêques. Notre confrère, dans son amour pour la couronne Britannique, voudra bien se rappeler que ce sont les Canadiens-Français qui ont sauvé le Canada à l’Angleterre en 1776, lorsque Lafayette, voyant les sujets Anglais du Canada se ranger en grand nombre sous le pavillon révolutionnaire de Washington, crut pouvoir faire appel à ses anciens compatriotes de joindre l’armée Américaine. A son grand étonnement Lafayette réalisa que la parole loyale du clergé et des Evêques Canadiens était plus forte que son prestige et ses promesses entraînantes. Et, lorsqu’au refus des Canadiens-Français de joindre Lafayette, les Américains envoyèrent un général Irlandais, sujet Britannique, pour les réduire. Montgomery rencontra bientôt les balles des sentinelles Françaises-Canadiennes, et expira dans son audacieuse tentative de gravir la citadelle de Québec, et le Canada fut sauvé à l’Angleterre. Nous nous permettrons de lui rappeler la chevaleresque stratégie du Colonel de Salaberry qui, en 1812, lorsque les armées et les vaisseaux des Anglais tombaient tour à tour entre les mains des soldats Américains, avec 300 Canadiens-Français recula une immense armée Américaine, et une seconde fois le Canada fut sauvé à l’Angleterre. Et, lorsque récemment les Féniens tentèrent une invasion sur le Canada, bien prompts furent les Canadiens-Français à s’enrôler pour aller rencontrer et déroûter à l’instant les ennemis de la couronne Britannique. Notre confrère peut être persuadé que le même sentiment de loyauté existe encore aujourd’hui. Ce n’est ni la discorde, ni la désunion que nous cherchons, mais bien l’harmonie des races dans ce pays composé de Français, d’Anglais, d’Ecossais et d’Irlandais. L’adresse de la convention, lue par le Président, l’Hon. Sénateur Poirier, était remplie de sentiments les plus généreux à l’égard de tous. Elle est en entier à notre première page, et nous espérons qu’elle sera lue avec joie, avec satisfaction par tous nos concitoyens d’origine Anglaise, catholiques ou protestants. Les résolutions passées à la convention sont aussi dans ce numéro, et nous demandons au “Freeman” de nous dire s’il y en a une qui comporte des sentiments adverses aux intérêts Britanniques, ou aux autres nationalités qui forment le grand peuple canadien. Notre confrère semble attester avec appréhension la fécondité de la femme française au Canada. S’il y a quelque chose d’extraordinaire ou de providentiel dans la fécondité de la femme acadienne, notre confrère doit s’incliner devant la volonté de Dieu, et la moralité de notre peuple. Nous ajouterons que si un jour la population Française devenait un pouvoir dans le Canada, ce serait un pouvoir pour le bien Britannique, pour l’honneur et la gloire du pavillon Anglais, honoré respecté aimé de chacun de nous. Loin de chercher à abaisser une autre race, une autre nationalité, les Français du Canada, des Provinces Maritimes, ou des Provinces de l’Ouest, ne chercheront jamais qu’à en soutenir une autre. Si un jour nos concitoyens d’origine Irlandaise se réunissaient en convention pour amener le rétablissement de leur langue nationale, il n’y a pas un seul Français, Canadien ou Acadien, des côtes du Cap Breton au Pacifique, qui ne se joindrait à leur louable effort. Nos orateurs y trouveraient une source féconde au développement de leur éloquence. Nos bardes puiseraient dans ce riche thème de nobles inspirations, et leur lyre chanterait dans une douce harmonie les vertus d’un peuple qui, pour une foi commune à la nôtre a souffert la persécution, et qui se trouve aujourd’hui joyeusement uni à nous sur une même terre dans l’heureuse participation de la même liberté civile et religieuse. Bien différent de celui du “Freeman” est le portrait que Mgr Ireland a tracé de la France tout dernièrement dans un discours qu’il a prononcé à Paris. Pour l’étude et l’édification de notre confrère nous reproduisons quelques unes de ces belles paroles : “Il y a, dit Mgr Ireland, un pays qui plus que tout autre, est le pays du sentiment chevaleresque; des nobles impulsions, des généreux sacrifices et de l’absolu dévouement à l’idéal. Là, la nature elle-même se charge de mettre les âmes à l’unisson du vrai et du beau. Aussi, à l’appel d’un principe élevé, ses fils se jettent-ils d’instinct dans l’arène, résolus, coûte que coûte, à lui donner actualité dans la vie courante de l’humanité. Les pages de son histoire étincellent de noms de héros et de martyrs, de magnanimes soldats et d’évangéliques missionnaires. C’est de la France que je parle.” Avec un tel témoignage de la vertu de nos ancêtres d’une si brillante autorité, les Acadiens-Français pourront dormir en paix de temps à autre sur les insinuations du “Freeman” et récupérer leurs forces pour leur travail de régénération, de progrès et d’harmonie sur le continent de l’Amérique.