La situation dans Westmorland

Journal
Année
1892
Mois
10
Jour
20
Titre de l'article
La situation dans Westmorland
Auteur
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Page(s)
2
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LA SITUATION DANS WESTMORLAND. Les nombreuses lettres de félicitations qui nous arrivent de chaque coin du comté de Westmorland touchant le parallèle que nous avons établi entre la volteface Landry de 1878 et la volteface Richard de 1892, sont autant de preuves que nous avons frappé la note juste. Un correspondant nous écrit que Son Honneur le juge Landry est venu tout prêt de descendre du banc judiciaire pour joindre l’étendard de l’hon. M. Blair, et ce même correspondant nous assure une chose qui nous paraît incroyable, c’est que l’hon. M. Richard a accepté le portefeuille de solliciteur-général d’après les conseils et l’approbation de M. le juge Landry. Nous donnons cette nouvelle pour ce qu’elle vaut, mais dans les circonstances, vu la sourde oreille qu’a fait le gouvernement fédéral aux justes réclamations des Acadiens tant sous le rapport de la jugerie que de la lieutenance, nous sommes d’avis qu’une telle ligne de conduite de la part du juge Landry aurait ses raisons d’être. Une chose qui nous frappe c’est que le Moniteur n’a pas dit un seul mot de l’ouverture faite, lors de la dissolution des chambres, à Son Honneur le juge Landry par l’entremise des amis de l’hon. M. Blair. La chose a pourtant eu assez de retentissement dans toute la presse du pays pour que notre confrère en eut connaissance. Le silence du Moniteur sur ce sujet laisse planer le doute que l’hon. M. Richard aurait les sympathies de M. le juge Landry dans la campagne électorale actuelle. Que le soliciteur-général du cabinet de M. Blair ait ou n’ait pas l’approbation de notre juge acadien c’est aux électeurs intelligents d’en juger. Mais un fait piquant c’est qu’il a perdu les bonnes grâces du Moniteur, qui ne le ménage nullement depuis quelques semaines. Pour mieux faire saisir au lecteur la situation dans Westmorland, rappelons en quelques mots ce qui est arrivé dans le comté après le départ de l’hon. M. P. A. Landry pour le comté de Kent en 1883. Depuis 1846 jusqu’en 1883 à l’exception de deux courts intervalles—le premier de 1850 à 1853 et l’autre de 1874 à 1878—les Acadiens de ce collège électoral avaient été représentés par un des nôtres à la chambre d'assemblée, c’est-à-dire par feu le regretté M. Amand Landry jusqu’en 1870, et ensuite par son fils Pierre, aujourd’hui juge de la cour de comté. L’élément de langue anglaise dans ce comté, où nos nationaux ne forment qu’un sixième de la population, nous reconnaissait le droit d’élire sur quatre députés un Acadien. Or, en 1883 le choix d’un grand nombre des Acadiens les plus marquants du comté tomba sur M. le docteur Edouard T. Gaudet, de Memramcook, qui accepta la candidature si on voulait l’élire par acclamation. Deux Anglais : MM. A. E. Killam et W. W. Wells, les deux mêmes qui briguent les souffrages aujourd’hui, étaient sur les rangs et le jour de la présentation des candidats M. Killam offrit de s’effacer en faveur du Dr. Gaudet à condition que M. Wells l’imiterait ce à quoi ce dernier refusa. Le Dr. Gaudet ne fut pas mis en nomination et M. Killam fut élu. Aux élections générales de 1886 les Acadiens du comté de Westmorland firent une grosse bévue qui eut pour résultat qu’ils furent pendant quatre ans privés d’un membre de leur nationalité à la chambre. Jusqu’alors dans les luttes politiques du passé il n’y avait eu, à chaque élection, qu’un seul Acadien sur les rangs et l’élément français n’étant pas divisé le candidat acadien était élu sans la moindre difficulté. Mais en 1886 il n’en fut pas ainsi. Le Dr. Gaudet se laissa mettre en nomination sur le ticket de l’opposition et M. Tilman T. Landry, frère du juge, brigua les suffrages comme candidat ministériel. Le Dr. Gaudet eut presque la totalité du vote Acadien, mais pas suffisamment pour l’élire et M. Tilman T. Landry resta également sur le carreau. Les choses en restèrent ainsi jusqu'en 1890, quand arrivèrent les élections générales. Par suite des luttes municipales, l’élément acadien dans le comté se trouvait divisé en quatre factions. Dans Memramcook il y avait la faction du Dr Gaudet et celle de M. Tilman T. Landry, tandis qu’à Shédiac on comptait le parti de M. Olivier M. Melanson et celui de M. Calixte H. Galland. La situation était assez compliquée, car chaque chef de ces factions faisait valoir ses droits, et pas un ne semblait vouloir s’effacer pour son voisin. Le parti le plus puissant était sans contredit celui du Dr Gaudet, mais la côte nord du comté réclamait le choix du candidat acadien sous prétexte que par le passé cet honneur avait toujours été donné à Memramcook ou Dorchester. A force de diplomatie M. Robidoux sut si bien aplanir les difficultés et calmer les esprits de parti que les aspirants à la candidature s’effacèrent pour donner champ libre à M. Olivier M. Melanson, avec l’entente qu’il serait le seul Acadien sur les rangs. A une convention tenue à Dorchester peu de jours après, il se forma une combinaison si inattendue que le Moniteur se trouva dans une impasse comme jamais encore il n’avait été. L’homme de son choix, M. Melanson, avait apposé son nom à un ticket de coalition composé de l’hon. D. L. Hanington, opposioniste, A. E. Killam,—Anderson, ministériels, et O. M. Melanson, indépendant. Cette démarche de la part de M. Melanson fut d’abord assez mal accueillie par ses amis conservateurs du comté, et comme M. Melanson était la chose du Moniteur celui-ci fut bon gré mal gré obligé d’élever la voix en faveur du ticket de coalition. C’était un spectacle pour le moins singulier de voir le Moniteur faire cause avec les libéraux du comté contre lesquels il avait continuellement combattu. Oui c’était édifiant de voir M. Robidoux, quoique gravement malade dans le temps, et M. O. M. Melanson travaillant de concert avec M. E. J. Smith ! Le Moniteur et le Transcript se donnant la main contre le Times ! Il sied mal aujourd’hui au Moniteur et à M. Melanson de traiter l’hon. M. Richard de “volte face.” M. Melanson fut élu à la tête des poils avec l’hon. M. Hanington, tandis que MM. Killam et Anderson restèrent sur la carreau, mais par contre les deux seuls candidats de l’opposition : MM. Stevens, du Times, et Powell sortirent victorieux de la lutte. Arrivé en chambre M. Melanson appuya durant la première session toutes les mesures du gouvernement à l’exception de celle se rapportant à la réduction du stumpage. Si notre mémoire ne nous fait pas défaut il vota même pour le bill de blanchissage de l’hon. M. Blair, ainsi que l’hon. M. LeBlanc et MM. Poirier, LaBillois et Thériault. Lorsque ce bill fut envoyé à la chambre haute l’hon. M. Richard enregistra également son vote en faveur de ce projet de loi. Le Moniteur du 14 du courant rappelle ce fait contre l’hon. M. Richard : “C’est pourquoi il (Blair) a voulu s’associer, dans ce travail de blanchissage, un artiste expert tel que l’hon, M. Richard, dont la brosse lui a rendu pareil service— le seul qu’il en ait reçu de mémoire d’homme—à la session de 1890.” Ce sarcasme siérait bien au confrère de Shédiac s’il n’avait pas été lui-même un peu bénéficié par ce coup de brosse. En effet aux derniers jours de la session de 1890, M. l’éditeur-propriétaire du Moniteur fut appelé à Frédéricton. Il s’agissait pour lui de l’allocation donnée chaque année par le gouvernement pour la traduction et la publication d’un résumé des débats dans le Moniteur et le Courrier. La plainte était que le Courrier reproduirait la traduction du Moniteur et en recevait le même montant d’argent que ce dernier, ce qui n’était pas juste. M. Robidoux expliqua lucidement la chose devant le conseil législatif et le cabinet, et après son départ l’hon. M. Richard alla trouver l’hon. M. Blair avec qui il se trouvait pour le moment en bonnes grâces, vu qu’il avait voté pour son bill de blanchissage, et exigea du premier ministre que la somme de $150 fut accordée au Moniteur pour la traduction et la publication des débats au lieu de $90 comme d’ordinaire. Cette demande fut accordée. Le coup de brosse de l’hon. M. Richard avait donc été profitable à notre confrère de Shédiac. Aujourd’hui le Moniteur fait une guerre de corsaire à l’ex-conseiller législatif parce que celui-ci a accepté un portefeuille dans le cabinet de M. Blair et que M. O. Melanson, qu’il aurait voulu voir ministre, va être battu samedi et relégué dans la vie privée. Il est difficile de dire si le comté de Westmorland aura un député acadien dans la prochaine chambre; car malheureusement le vote français ne sera pas unanime pour l’hon. M. Richard et les conservateurs anglais voteront pour le ticket de l’opposition. Le Moniteur aurait fait un beau coup d’état, que toute la nation lui aurait su gré, si dans la campagne actuelle, il sût efforcer de gagner M. Melanson à se retirer de la lutte et par là assurer l’élection d’un Acadien comme en 1890. Puisqu’il y a deux candidats acadiens sur les rangs il faut coûte que coûte en élire un; et celui-là est l’honorable A. D. Richard. Acadiens de Westmorland, faites noblement votre devoir en votant tous pour le ticket ministériel et par là avec le concours du vote anglais vous assurerez l’élection du solliciteur-général Richard.