Les Français aux Etats-Unis.

Année
1892
Mois
5
Jour
12
Titre de l'article
Les Français aux Etats-Unis.
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1
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Les Français aux Etats-Unis. L’Etoile de l’Est, publiée à Coaticook, nous apporte la première partie d’un mémoire important, adressé par Sa Grandeur Mgr Racine à Son Eminence le cardinal Ledochowski, préfet de la Sacré Congrégation de la Propagande. L’éminent prélat y fait un tableau saisissant des dangers que courent aux Etats Unis, au point de vue de la foi, les français qui n’ont pas pour pasteurs des prêtres de leur nationalité. En voici le texte : I -- La question de savoir comment doivent être traités les Canadiens aux Etats Unis de l’Amérique du Nord, dans l’intérêt de leur foi et celui de la religion en général occupe actuellement bien des esprits. Voici quelle est sur ce point notre opinion, que nous savons sincère, que nous croyons modérée. Faisant taire toutes les voix de la sympathie, laissant de côté toutes les raisons de détail nous n’envisagerons que la plus grande somme de bien à obtenir. II -- Nous ne parlerons pas ici de l’opportunité, de la convenance ou de la nécessité qu’il y aurait de nommer aux Etats Unis des évêques de leur origine dans les diocèses où les Canadiens sont la grande majorité de la population catholique; c’est un point délicat, gros de difficultés, présentant des aspects divers que nous laissons à l’étude des intéressés, en particulier au zèle apostolique de ceux qui ont reçu dans ce vaste pays la mission de régir l’Eglise de Dieu, et surtout à la sagesse, à la clairvoyance et à la prudence du Saint Siège. Que les évêques soient sympathiques à leurs ouailles canadiennes, qu’ils ne heurtent en rien leurs usages légitimes, on ne peut demander davantage. A la rigueur, il n’est pas même nécessaire qu’ils possèdent leur langue. Mais, dans ce dernier cas, il nous semble qu’il serait plus convenable qu’il y eût auprès d’eux un grand vicaire ou un prêtre important capable de les entendre, afin de leur donner facilité et confiance dans leurs rapports avec l’autorité épiscopale. Mais, avant tout et par dessus tout, ce qu’il importe, c’est que les Canadiens aient pour curés ou pour missionnaires des prêtres qui sachent bien leur langue, qui comprennent leurs mœurs, qui soient au fait de leurs habitudes, et qui, loin de contredire leurs aspirations, entrent au contraire volontiers dans le courant d’idées qui leur est propre, favorisant le développement de leurs institutions particulières, toutes les fois qu’elles ne sont pas contraires aux lois du pays. Ainsi le veulent, ce nous semble, le bien de ces populations et le bien de la religion catholique. III -- Le fait seul de l’émigration, la transplantation d’un peuple sur une terre étrangère, du sol où il a pris naissance et a longtemps vécu, ébranle chez lui l’organisme moral trop profondément pour qu’il soit prudent d’accroître l’intensité de ces ébranlements par des attaques inutiles à de vieilles et fortes traditions. Il en est ainsi pour tous les peuples, mais nous croyons pouvoir affirmer que la chose existe a fortiori pour le peuple Canadien-français, à raison des circonstances particulières dans lesquelles il est né et il a grandi. Arraché en quelque sorte au sortir de l’enfance, aux relations avec la mère-patrie, voyant son pays cédé à une nation puissante qui ne partageait pas sa foi, n’entretenant guère de commerce avec le monde extérieur, ayant à concentrer ses forces pour conserver son existence nationale et religieuse, le peuple canadien a dû vivre à l’écart, de sa vie propre, retiré au sein de ses campagnes et des mœurs patriarchales; pour resister aux séductions et aux attaques de l’hérésie, pour s’emparer du soi et étendre autour de lui ses colonies, il s’est attaché à son admirable système paroissial, il a fondé malgré les obstacles ses écoles françaises où le catholicisme règne en maître. Il s’est réuni en masse compacte sous la direction de ses prêtres qu’il entoure du respect que l’on doit à des amis bienfaisants, à des protecteurs, à un père; en sorte que le canadien français s’est habitué à regarder ses coutumes, sa langue, ses traditions et sa discipline, comme le depôt d’un héritage sacré, et même le prolongement extérieur de ses croyances. Que s’attaque à cet ensemble de choses qui lui sont chères, indirectement s’attaque à sa foi. Sa force de résistance devant le protestantisme, devant l’athéïsme, devant l’indifférentisme, est grande; mais ôtez lui cet entourage protecteur de ses vieilles coutumes, il en est de lui, pouvons nous dire, comme de Samson, il est déjà au pouvoir de l’ennemi. Les exemples de cette triste expérience ne sont que trop fréquents. Lorsque les Canadiens-français n’ont pas dans leur voisinage des prêtres qui leur administrent les sacréments et leur donnent l’instruction dans leur langue, trop souvent ils cessent de fréquenter l’église régulièrement et, petit à petit, ils glissent dans l’indifférence la plus complète. Imposez leur des prêtres qui sont adverses à leurs traditions, ils deviennent mécontents, insubordonnés, incontrôlables; et leur cœur se trouve ouvert aux plus mauvaises influences de l’hérésie. Pour ces causes, autant qu’il n’y eût un évêque à Burlington, le Vermont a vu, parlant l’anglais et protestantes de nombreuses familles dont les pères étaient Français et catholique. Le mal une fois causé est irréparable. Au contraire, donnez leur des prêtres zélés qui parlent leur langue et qui connaissent leurs mœurs, et vous aurez, comme on le voit dans un très grand nombre de centres manufacturiers de la Nouvelle Angleterre, des congrégations ferventes, généreuses, qui bâtissent des églises superbes, des écoles catholiques séparées, des couvents, des institutions de bienfaisance et de charité, faisant fleurir la foi au milieu de circonstances quelquefois très difficiles. Un mode d’être qui produit d’aussi bons effets mérite d’être conservé. IV – L’homme échappe difficilement aux influences du milieu dans lequel il vit; comme malgré lui, il en subit les doctrines et les habitudes. Quelles sont les doctrines qui ont généralement cours, pour la grande masse de la population, dans le monde intellectual et moral des Etats Unis? les doctrines du protestantisme, de l’indifférence religieuse ou de l’athéïsme. La soif de l’or domine tout la fièvre des richesses envahit presque toutes les âmes; et ce courant matérialiste est favorisé par ce qu’on y voit, par ce qu’on y entend, par les journaux, par les revues et surtout par le système des écoles communes, qui est de soit pour la jeunesse catholique une cause de ruine ou d’affaiblissement de foi. S’il y a de nobles exceptions c’est le cas de dire que l’exception prouve la règle générale.