Chronique de Voyage

Journal
Année
1889
Mois
9
Jour
18
Titre de l'article
Chronique de Voyage
Auteur
Cosmos
Page(s)
3
Type d'article
Langue
Contenu de l'article
CHRONIQUE DE VOYAGE [Pour L’ÉVANGÉLINE] [Suite et fin] La semaine dernière nous avons commencé à parler de Lynn. La population de cette petite ville est de 30,000 âmes. Lynn est l’une des villes les plus prospères de l’Etat. Ma première visite fut au curé, le révérend M. J. B. Parent. Les Canadiens qui ont émigré du Canada ont là une belle et grande église. Leur curé ne leur parle que français, car il y a au delà de 2,000 Français dans cette localité. M. l’abbé Parent est un jeune homme d’une trentaine d’années. Ses nombreux paroissiens le tiennent en grande estime, et quant à cela ils ne méritent que des louanges. Je fus agréablement surpris de rencontrer au milieu des siens, à Lynn, où demeure toute sa famille, le digne curé de St. Paul, du comté de Kent, N.-B. Les frères Hébert font de grandes affaires dans ce milieu industriel affairé. M. Placide Hébert possède à Lynn une vaste manufacture à souliers, où il emploie d’une année à l’autre à peu près cent vingt cinq hommes, tous des ouvriers français, Canadiens et Acadiens. Sa résidence privée est l'une des plus coquettes maisons de la ville. A juger des apparences, M. Pl. Hébert fait des affaires pour des centaines de mille piastres par année. Cet Acadien aisé doit son succès à l’étranger à une dose d’énergie peu commune. Sa conduite lui a aussi valu la réputation excellente dont il jouit dans le Massachusetts. On dit que sa chaussure est la meilleure qui soit aujourd’hui manufacturée dans le Massachusetts et surtout Lynn. Sa clientèle est vraiment étonnante. Joseph Hébert, un autre frère du curé de St. Paul, en société avec un autre Hébert de la même famille possède aussi une belle manufacture dans cette partie de l’Etat. On dit qu’il fait aussi un très bon commerce. Faute de temps je n’ai pu me rendre jusque chez lui. Nos gens du comté de Westmorland, N.-B., se souviendront sans doute des MM. A. J. Richard. D. J. Richard et L. J. Richard employés autrefois à Shédiac, dans la manufacture Harper & Webster. Arrivés ici depuis trois ou quatre ans, ils employent aujourd’hui soixante-dix de leurs compatriotes acadiens. Ils ont réussi à merveille bien qu’ils ne soient pas à Lynn depuis bien longtemps. Je regrette beaucoup que mon séjour à Lynn ait été si court, mais selon le rapport du curé, je puis dire que ceux des Acadiens qui travaillent à Lynn réussissent bien. Les exceptions sont rares. Le lendemain, je courus à Salem, une de distance de quatre milles de Lynn. C’est une belle ville avec une population de 28,000 âmes. Sur ce nombre on compte à peu près 3,000 Français. A mon arrivée ici, le curé était absent; j’ai néanmoins eu le plaisir de faire la connaissance de son vicaire, le révd. M. N. J. Jacques. C’est un gentilhomme charmant. Ici ma visite a été très courte; quelques minutes après mon arrivée je remontais sur les chars en route pour Boston. Samedi, accompagné de M. Tranquille Gallant, je me rendais à Fitchburg, pour y passer le dimanche. Là j’ai fait la rencontre de plusieurs Acadiens de Bouctouche, entr’autres des MM. Max. L. Cormier et Edouard G. Cormier. On pourrait peut nommer une partie de Fitchburg “Nouveau-Bouctouche.” La population de la ville est d’à peu près 15,000 âmes. Sur ce nombre, il y a 3,000 Français y compris 1,000 Acadiens. Ces Acadiens gagnent leur vie dans les nombreuses usines de la ville. Nos compatriotes n’ont commencé à habiter cette partie du Massachusetts que depuis quatre ans. On compte aujourd’hui quatre marchands acadiens dans cette ville. M. J. O. Thibodeau, autrefois de Cocagne, N.-B., associé à son beau-frère M. Hil. Hébert, tient un beau et grand magasin de groceries. Son assortiment est de premier choix. M. Gallant et moi, nous avons eu le plaisir de passer le dimanche à sa belle résidence qu’il a acquise, à quelque distance de son magasin. MM. Thibodeau et Hébert ne font pas d’extravagance, mais ils vivent dans un confort relatif. Leur avenir dans le commerce est brillant, pour peu qu’ils tiennent à leur motto—vivre selon ses revenus! M. Adolohe Belliveau, jeune homme, autrefois de Memramcook, occupe une position de commis des finances, chez M. W. J. Johnson, marchand de bois. La position pleine de responsabilité qu’occupe notre jeune compatriote est une bonne note en faveur de sa conduite et de ses talents. M. Hudon LeBlanc, commis chez A. A LaRivière, M. Pierre Allain et son fils, autrefois marchand de Bouctouche, teneurs de livres dans le grand magasin de M. J. C. DesRivières. M. Allain est beaucoup apprécié de son patron. M. Raphaël Caissie a déjà construit deux belles maisons et il en a vendu une à bon prix. Il fait très bien. MM. Thaddée Robichaud et Mragloire Jaillet, aussi ouvriers contracteurs font également de bonnes affaires. MM. P. Duquet et Primeau sont les deux médecins canadiens qu’on trouve en cette ville. Ils possèdent chacun une pharmacie. On ne trouve qu’un seul avocat acadien; c’est M. O. S. Cormier, natif du comté de Kent. Les Canadiens ont aussi plusieurs maisons de commerce à Fitchburgh. La fanfare de la ville, que dirige le professeur Proulx est composée de plusieurs bandistes acadiens. Ce sont MM. Hilaire Hébert, Adolphe Belliveau, Hudon LeBlanc et Frs. P. Allain. RÉFLEXIONS D’après ce que j'ai dit plus haut les lecteurs pourraient peut-être conclure à la hâte que tous leurs compatriotes font des merveilles financières aux Etats-Unis; qu’ils ne se trompent pas, car nous avons signalés des exceptions. A Lynn cependant, les Acadiens qui travaillent se tirent plus ou moins bien d’affaire. Quelques compatriotes se sont créé d’enviables positions à Boston, mais ça ne veut pas dire que d’autres auraient le même sort en y allant. Ceux de nos compatriotes qui font fortune aux Etats-Unis, c’est-à-dire ceux qui vivent dans l’aisance, travaillent un peu comme l’oiseau constructeur. C’est par degrés, selon leurs épargnes et leurs moyens, qu’ils améliorent leur régime de vie. Ceux qui tentent de mener une vie à la millionnaire quand tout ce qu'ils usent leur coûtent de pénibles travaux usent en même temps leur santé et finissent par revenir au pays natal pas plus riches qu’ils n'en étaient partis. Quelque soit la prospérité du pays il faut user d’économie. C’est l’expérience des Acadiens qui ont réussi à se créer d’honorables positions dans les petites villes manufacturières de la Nouvelle-Angleterre. Au contraire, ceux qui ont dévié de ces principes de prudence et d’économie n’ont fait que végéter. Il est vrai qu’il y a plus d’argent, plus de travaux manuels aux Etats-Unis que dans nos provinces maritimes, mais aussi quelle différence sous d’autres rapports! Le luxe, les plaisirs, la mode et toujours la mode, tout fait les conditions de l’existence plus coûteuses. Tout coûte le double, et l’exemple joue un grand rôle dans cette république affairée. Le proverbe “Qui dort dîne!’ est surtout faux pour les Etats-Unis. C’est là qu’il faut de la santé, du courage et de l’activité. Quoique l’on puisse penser de ce pays, n’oublions pas que “Qui dort ne dîne pas!” COSMOS.