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Monsieur le Président et Messieurs,
Après les quelques discours que je viens d’entendre, veuillez me permettre encore quelques réflexions. Je dois vous avouer, à ma propre honte, que je ne suis point vide d’obstination. Pour preuve, il me suffirait d’en appeler au souvenir de mes condisciples d’autrefois que j’aperçois dans cette salle, et même au Révérend Supérieur de cette maison qui, à certaines heures, en a bien connu quelque chose. Aussi, je ne saurais laisser passer inaperçues certaines opinions qui viennent d’être émises, il y a un instant, sans les condamner comme injurieuses envers la nationalité canadienne. En second lieu, je veux donner expression à une surprise tout à fait inattendue que j’éprouve au cours de cette discussion.
Si l’on en croit un confrère distingué qui vient de nous adresser la parole, les Canadiens n’auraient pas fait un choix judicieux et convenable en adoptant la Saint-Jean-Baptiste pour fête nationale. Je suis moralement certain que les termes ont trahi l’idée qu’avait notre orateur. Toutefois, s’il n’y a pas eu là un malheur d’expression, l’assertion mérite d’être relevée, parcequ’elle est d’une portée grave. Certainement, M. Duvernay n’a pas pris le sentiment de tous les Canadiens quand il a fait choix de cette fête. Mais si cette dernière n’eut pas été convenable, comme fête publique et nationale, les hommes d’état dont l’esprit de discernement ne souffre pas conteste, les évêques qui sont la lumière de la nation, auraient très certainement retranché toutes les manifestations du 24 juin pour les reporter à un autre jour mieux approprié et plus convenable.
Il ne faut pas croire qu’une nation qui compte une population d’un million et demi, qui est dirigée par des hommes que l’étude, l’esprit de droiture et l’expérience ont façonnés pour ces fins, n’ait pu se mettre en demeure jusqu’aujourd’hui d’abroger tel ou tel jour de réjouissance et de réunion nationale, si le choix de cette fête eût été l’effet d’une action peu réfléchie, ou n’eût pas été d’un ordre de convenance tel que le bien général du peuple dût en découler.
De plus, certains orateurs ont parlé de l’adoption de sainte Anne, de saint Joseph, la plupart cependant veulent que nous choisissions une fête de la sainte Vierge, soit le 15 d’août. Messieurs, la première fête religieuse de la nation au Canada fut la Saint-Joseph. On la célébrait à cette époque, comme fête religieuse, et la Saint-Jean, comme fête populaire et nationale. Il en a toujours été de même.
Aujourd’hui la fête religieuse du Bas-Canada, c’est la Sainte-Anne. Pas un peuple n’est voué d’une manière plus intime au culte de Sainte Anne que le peuple canadien, et cependant pour les bruyantes démonstrations populaires, on n’a pas cessé de célébrer la vieille fête de la Bretagne.
Proclamer notre dévotion envers la Sainte Vierge dès cette première convention ne nous empêche donc pas de célébrer le 24 juin avec le peuple canadien et d’adopter ce jour, nous aussi, comme fête nationale. D’ailleurs quelles raisons a-t-on apportées ce soir pour nous démontrer que la Saint-Jean-Baptiste ne devait pas être adoptée. Pas une seule raison concluante. Les orateurs qui viennent de vous parler n’ont pas détruit un seul des arguments que nous avons produits en faveur de la Saint-Jean-Baptiste. Ils ont exalté le culte de Marie, ils nous ont dit que le peuple acadien s’était voué d’une manière plus spéciale que les autres peuples au culte de cette bonne Mère.
Et bien, ceci, je crois, est historiquement faux. Notre histoire ne dit pas qu’il y ait eu, parmi les Acadiens, une dévotion de ce genre si fortement accentuée qu’elle ait relégué dans l’ombre la dévotion du peuple canadien, qui a dédié à Notre-Dame du Bon-Secours la première église de Montréal et qui a mis sous le patronage et le vocable de Marie le plus beau diocèse de la province de Québec. À Dieu ne plaise que j’atténue la grandeur et la force d’intercession qu’on attribue à Marie, mais je voudrais faire comprendre à tous ces messieurs qui nous écoutent, que du haut de la chaire chrétienne, tout prêtre a le devoir d’exalter Marie au-dessus de tous les saints, mais quand il s’agit d’une question nationale où des intérêts mutuels sont en jeu, il n’est pas permis d’exercer sur les masses une influence indue, comme on le fait clairement en cette circonstance.
Il est regrettable, Messieurs, que cette première question nous trouve divisés comme nous le sommes en réalité, surtout j’aurais voulu que cette division n’eût pas été, comme je le constate, l’effet d’une influence qui semble avoir été exercée au préalable, en certains rangs et en certains quartiers. Il est clair que nous, qui voulons la Saint-Jean-Baptiste, nous nous agitons sur un terrain inégal, grâce à des influences que nous ne pouvons analyser présentement, parceque nous étions loin de les soupçonner, à plus forte raison de les attendre.
Pour moi, je déclare, en toute sincérité, que j’ai secondé la motion de l’honorable M. Landry sans savoir qu’il dût la proposer, sans savoir même qu’il opinât pour la Saint-Jean-Baptiste.
L’avenir nous dira si cette première commission n’a pas été surprise par des ententes qui manquent de loyauté et dont le but bien déterminé était d’abolir la fête du 24 juin, dût la convention n’avoir pas d’autre résultat.
Si ce que j’avance est faux, tant mieux. Si le peuple acadien des provinces maritimes s’entend pendant ces quelques jours pour rejeter la Saint-Jean-Baptiste, n’allez pas croire que nous irons nous insurger. Non, nous n’aurons rien à dire contre l’adoption d’une fête qui aura été l’expression juste, légitime et libre de la volonté nationale par la voix de ses délégués réunis en convention. Nous aurons fait séparation, il est vrai, avec les milliers d’Acadiens qui vivent au Bas-Canada, avec les milliers qui sont à la Louisiane et qui entendent garder la Saint-Jean-Baptiste. Nous aurons certainement blessé le cœur de ces vrais frères que le malheur a jetés sur un autre sol, mais les Acadiens des provinces maritimes auront fait une démarche qui est l’expression de leur unanime sentiment.
Au contraire, si le peuple ne peut s’entendre, ne jetons pas sur la route des brandons de discorde, faisons l’attente. Nous sommes jeunes, dans dix ans il sera temps de revenir sur cette question et peut-être discuterons-nous alors de cette mesure avec moins d’aigreur, avec plus de prudence, plus de justice et plus de précision de termes qu’il ne l’a été fait en cette circonstance. Au reste, si nous voulons nous isoler, rien nous engage à le faire avec précipitation; faisons-le au moins sous l’étendard de *l’union entre nous+. Car si nous étudions bien, si nous pesons bien notre influence et numérique et politique, notre valeur littéraire, les moyens que nous avons pour donner le branle au commerce, aux industries, à l’égal des peuples qui nous entourent, nous reconnaîtrons que nous sommes encore dans les langes, et, pour ainsi dire, sous la tutelle nécessaire des autres nations.
À quoi sert-il donc de nous dissimuler notre situation? À quoi bon nous lancer dans des actes si présomptueux? Les Canadiens sont venus ici, il n’y a pas encore vingt ans, ils nous ont apporté les lumières de la haute éducation, et aujourd’hui nous nous enflons au point de croire que nous pouvons nous suffire. Pourtant, malgré les prétentions d’une certaine classe, nous ne sommes pas encore grandis de mille coudées, et assurément nous ne faisons pas un acte de sage politique, encore moins de reconnaissance, en intimant à nos amis les Canadiens que nous pouvons nous passer relativement de leurs services, et que nous entendons nous constituer en nationalité distincte, laquelle donnera la cachet de sa force à toutes ses œuvres, sans avoir plus longtemps à vivre d’emprunt.
Enfin, permettez-moi de vous dire, en terminant, que ce n’est pas là ce que la délégation acadienne a promis de faire, lors de la grande convention de Québec, l’an dernier, quand elle a scellé un pacte d’alliance fraternelle entre Acadiens et Canadiens-Français. Qu’avons-nous dit, l’an dernier, lorsque, devant cette convention de Québec, il fut soumis le projet de M. Perreault par lequel les Français d’Amérique formant une association nationale devaient, de temps à autre, se réunir le 24 juin, au jour de leur commune fête nationale, afin d’aviser, en organisation puissante, aux moyens à prendre pour obtenir notre juste influence en Amérique et afin de veiller partout aux intérêts de nos nationaux? Les quarante délégués que l’Acadie avait nommés étaient là ou devaient y être. Pourquoi n’y a-t-il pas eu de réplique? C’était notre devoir de protester dans le temps, si toutefois nous avions l’intention de protester à l’avenir. Nous y étions obligés, en toute franchise. C’était le temps de nous prononcer, et ainsi il n’aurait pas été réservé à la première convention acadienne de s’opposer en majorité apparente à une mesure qu’elle avait sanctionnée hier, à l’unanimité. Pour moi, comme pour bien d’autres, au reste, nous ne sommes pas disposés à démentir nos affirmations de l’an dernier, restant convaincus que nous pouvons, en toute sécurité, adopter la Saint-Jean-Baptiste, sans perdre le moindre attribut de notre nationalité acadienne-française.