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Correspondances
La Baie Sainte Marie et l’Émigration.
Suite.
Quel est donc, encore une fois, le motif si puissant qui, malgré tant de désavantages, pousse un si grand nombre de nos malheureux compatriotes à aller chercher fortune chez les Bostonnais, afin d’y trouver l’esclavage, la honte, la misère et le vice! Y a-t-il à la baie Ste. Marie des causes qui rendent nécessaire cette terrible expatriation que les Français en particulier, partout si attachés à leur patrie! regardent comme le plus grand des malheurs ? Ne peut-on plus vivre là où les ancêtres ont vécu, au milieu de difficultés si grandes, et dans un temps où, un courage héroïque pouvait seul surmonter les obstacles formidables qui se dressaient contre les Français, dans un pays qui venait de passer sous une domination étrangère? Jusqu’ici, personne n’est mort de faim ou de misère dans ces heureuses petites places où n’ont jamais fait défaut les moyens de vivre honnêtement. A Boston, comme à New York, les papiers publics rapportent tous les jours des faits qui prouvent trop clairement qu’il n’y a pas dans ces pays, soi disant si riches! du pain pour tout le monde! Ne voit-on pas aussi que dans les manufactures on remplace tous les jours les ouvriers français par des nouveaux débarqués du Canada qui se contentent du plus misérable salaire afin d’échapper à cette effrayante misère qui est leur partage inévitable dès leur premier pas dans les villes américaines? Que deviennent les malheureux auxquels des compatriotes aussi malheureux et aussi mal inspirés viennent enlever le moyen de gagner leur vie? On a vu dans quelques manufactures l’eau devenir un objet de luxe que certains maîtres n’ont pas honte de vendre à prix d’argent à leurs pauvres ouvriers obligés de subir ces dures conditions, parce qu’ils ne peuvent se passer de cette eau ni aller se la procurer ailleurs. Quel plaisir peut-il avoir à vivre ainsi et ne voit-on pas que le pain que l’on peut encore trouver à gagner dans de telles conditions est toujours le pain de la douleur? que les sueurs qu’il fait verser sont bien pénibles! et bien amères aussi les larmes qu’il faut répandre! Car quel est le noble cœur qui, après avoir joui de tout le charme d’une heureuse liberté sur la terre natale, peut s’habituer à ce contraste si affligeant des exigences de marchands ou de fabricants sans cœur et sans entrailles qui, feraient volontiers commerce de sang humain, afin d’assouvir leur soif insatiable de dollars!!
Encore une fois, où peut-il chercher la véritable cause d’une dégradation aussi effrayante qu’elle est réelle? Je dis effrayante, car il est permis de trembler pour un avenir bien rapproché et de s’attendre bientôt aux plus terribles épreuves! Comment ce peuple Acadien, et en particulier, celui de la baie Ste Marie jusqu’ici si ferme dans la vertu, si héroïque dans l’épreuve, si prudent dans ses décisions, si réservé dans ses appréciations, admirablement attaché à ses coutumes, aux sages traditions d’ancêtres vénérés, qui, inspiré à la fois par sa sagesse naturelle et par ses profondes convictions religieuses, avait toujours préféré le simple bonheur que la providence accorde à ceux qui savent se contenter du nécessaire, à l’agitation malsaine de ceux qui ne rêvent que fortune rapidement acquise par des moyens plus ou moins honorables! Ce peuple, dis-je! brûle d’un seul coup tout ce qu’il avait adoré jusqu’ici, sacrifié un passé plein de gloire parce qu’il était plein de sagesse et de foi, à des désirs fantastiques qui ne peuvent se réaliser nulle part, encore bien moins aux Etats qu’ailleurs! et c’est en quelques années à peine que tout ce bouleversement se produit et personne n’y prend garde et personne s’en inquiète et personne ne lève la main, ne dit un mot pour l’arrêter! O temps! o mœurs! Disait le grand orateur romain! o vanité! o anglification! peut dire, à plus juste titre le chrétien témoin attristé d’un tel spectacle, voilà tes fruits de mort!!! La vanité, l’ennemi, le dégoût de tout travail sérieux, les anglais et par-dessus tout l’anglification, voilà, en effet, les véritables sources d’une situation alarmante…… Nous en parlerons en temps et lieu. Pour le moment, nous allons seulement examiner les prétextes que mettent en avant nos pauvres émigrants pour justifier, ce qui ne peut être justifié, leur manque de patriotisme et de religion, leur sottise, d’autant plus dangereuse qu’ils ne la soupçonnent pas, et surtout leur lâcheté qui, comme le dit très bien un journal canadien des Etats Unis, leur fait croire que là on a qu’à ouvrir le bec pour attraper les poulets tout rôtis. Le premier prétexte généralement donné par ceux qui veulent ainsi changer de position, d’une manière si peu honorable, c’est qu’à la baie Ste. Marie il n’y a plus assez de terre pour tout le monde! O plût au ciel que ce la fut vrai! Malheureusement qui aurait jamais pu le supposer? le contraire est la vérité!
La terre ne manque pas à ceux qui veulent les cultiver, mais elle n’a plus les bras nécessaires à son exploitation, voilà toute la vérité! Comment un résultat si extraordinaire a-t-il donc pu se produire? Car le territoire occupé par les Français dans Digby et dans Yarmouth est après tout, bien restreint! C’est l’émigration seule qui a amené ce phénomène : voilà le vrai coupable et la grandeur du mal se fait voir ici dans toute son étendue … Par suite du nombre considérable de ceux qui ont émigré pendant les dernières années, il n’y a pas une seule place où ne se trouvent aujourd’hui des terres vacantes, celles qui sont exploitées presque partout sont mal travaillées parce que là où il faudrait trois ou quatre hommes pour exécuter tous les travaux, il n’y en a plus qu’un ou deux. Plusieurs petites colonies qui avaient été ouvertes dans l’intérieur des terres à une époque où l’on ne pensait pas encore à aller aux Etats, ne font pas de progrès suffisants parce que les colons pleins d’ardeur, qui devaient venir leur apporter la prospérité, ont lâchement tremblé devant les difficultés des nobles travaux du défrichement et ont préféré l’esclavage et la honte sous un ciel étranger, à un succès certain sur le sol qui devait agrandir la patrie! S’il n’y avait plus une seule terre à prendre pour les Acadiens de Ste. Marie, ce qui, nous venons de le voir, est loin d’être le cas, n’y avait-il pas une meilleure ressource que celle de l’expatriation? Oui, grâce à Dieu; car malgré la ruine de la domination française dans ces contrées et les malheurs de notre race, l’Acadie ne finit pas encore où finit la Nouvelle-Ecosse. Le Nouveau-Brunswick, qui obéissait encore aux rois de France 50 ans après la chute de Port Royal, et portait dans ce temps là le nom si glorieux d’Acadie française pour le distinguer de notre chère patrie qui, par suite d’une lamentable défaite, venait de passer sous un domination ennemie, s’est pas devenu indigne d’une si noble origine et aujourd’hui, comme aux jours des grands malheurs de la patrie commune, il tient toujours en réserve des retraites nombreuses et fidèles qui gardent et sauvent ceux qui vont y chercher un asile. Les Acadiens sont encore aujourd’hui, comme il y a 100 ans, les véritables pionniers de la civilisation sur une terre si voisine de la nôtre, les nouvelles paroisses qu’ils y ont créées dans ces dernières années seulement, peuvent dépasser déjà la douzaine. Sur ce sol si généreux dans son étendue comme dans sa fertilité, il y a encore place pour des centaines de nouvelles paroisses. Les Acadiens de Kent, Gloucester, Madawaska, malgré leur courage, leur ambition et leur esprit d’entreprise ne peuvent seuls suffire à cette immense entreprise, ils invitent tous leurs compatriotes, et surtout leurs frères de la Nouvelle-Ecosse si célèbres dans l’histoire de la colonisation, à venir prendre leur part de ce magnifique héritage. Les conditions de la vente des terres au Nouveau-Brunswick sont aussi avantageuses que dans la province la plus favorisée. Des terres il y en a partout, elles se donnent pour rien! Le sol ne trompe jamais les espérances des vaillants défricheurs qui lui accordent leurs sueurs, et les émigrants de la baie Ste Marie, comme ceux d’Arichat, de Memramcook et de l’Ile du Prince-Edouard, peuvent dire bien haut à la face du ciel et de la terre : « Un magnifique avenir m’attendait dans ma propre patrie. Je pouvais, après quelques années de travaux dans de fertiles cantons, me créer une riche propriété, étendre la civilisation, agrandir la patrie et l’influence de mes chers compatriotes, réjouir le cœur de nos vieux parents, assurer un avenir plein d’espoir à mes enfants, donner un salutaire exemple dont un grand nombre de mes amis auraient peut-être profité, et remplir ainsi la vocation de tout Acadien, qui semble destiné par la Providence à être le grand défricheur de toutes les provinces du golfe. Mais cet avenir qui m’attendait je l’ai dédaigné, le cœur m’a manqué, et je vais vivre en esclave au Massachusetts, dans Maine, au Connecticut et partout où l’on voudra bien me laisser gagner honteusement ma vie, tandis que j’aurais pu me rendre si utile à la baie Ste Marie ou au Nouveau-Brunswick et y vivre, grâce à mon courage, en homme vraiment libre et qui ne dépend que de sa conscience de son Dieu. »
X…..
Baie Sainte Marie.
A continuer.