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LES SULPICIENS ET LES PRÊTRES DES MISSIONS ÉTRANGÈRES EN ACADIE.
L'opinion commence à se fixer quelque peu, parmi nos fanatiques anglais, prétendus savants, sur certains points de notre histoire. Nous disons anglais, à dessein, car la bigoterie, basée sur de faux renseignements historiques, nous a bien souvent donné un passé obscur, entaché de révolution, de tyrannie, d’insubordination, de révolte contre l’autorité établie. Acadiens-français, catholiques, soumis d’esprit et de cœur aux supérieurs légitimes, nous commençons, l’histoire en main, de revendiquer nos vieux droits arrachés, pièce par pièce, lors des luttes gigantesques livrées depuis les premiers jours du 17ème siècle jusqu’aux derniers du 18ème. La lumière ne luit pas pour les aveugles. Les borgnes n’en voient que la moitié. Forcément, nos bourreaux, nos tyrans, se sont vus obligés de reconnaître ce que les vandales de l’histoire, les prestidigitateurs ont inventé pour jeter des brumes sur notre passé glorieux. Bien des fois, nous avons entendu répéter cette vieille rengaine : Les prêtres français du temps du “dérangement’’ ont été trop français, ont été trop-ci, ont été trop-ça. Ils n’ont pas agi avec discernement. Ils n’ont pas compris ce que comportait le serment d’allégeance. Ils ont induit les Acadiens en erreur. Ils les ont conduits à la ruine, à la déportation. Leur zèle était intéressé. Même, on est allé jusqu’à dire des bêtises comme celles-ci : Ces Sulpiciens et ces prêtres des Missions étrangères étaient des trafiquants et des accapareurs. On nous dit parfois, avec du miel sur la langue, et les yeux vers le ciel, que jamais les anglais n’auraient osé agir ainsi envers les pauvres Acadiens s’ils n’avaient suivi la consigne de leurs prêtres.
Ignorants et perfides.
Nous avons eu l’honneur de recevoir, il y a déjà quelques mois, avec les amitiés de l’auteur, M. l’abbé Réné Casgrain, un de ses derniers ouvrages : “Les Sulpiciens et les prêtres des missions étrangères en Acadie.” Le nom de son auteur seul, son amour pour notre cause et son érudition indiscutable, seraient plus que suffisants pour nous porter à lui adresser des éloges. La lumière qu’il produit, documents en main sur plusieurs points en litige de notre histoire, nous font l’effet d’un drapeau arboré après la bataille. Son livre contient des secrets magiques. Jamais, nous n’avons admiré avec autant d'amour, de vénération et de courage, la mémoire de ces zélés apôtres qui ont été pendant un siècle et demi les Moïses de la petite phalange acadienne française.
Nous avions bien dans Garneau, Ferland, Laverdière, Charlevoix, Turcotte, même Haliburton, Rameau, Richard, Poirier, le récit de ce que les apôtres de l’Acadie avaient fait pour nous. Nous avions les grandes lignes. C’était comme un canevas. Nous en excepterons cependant le Sénateur Poirier, pour le Père Lefebvre.
M. l’abbé Casgrain, après avoir visité l’Acadie, après avoir entendu chanter la vieille chanson protestante et anti-cléricale de nos premiers persécuteurs, s’est mis à l’œuvre, il a cherché, il a lu, il a fouillé, malgré sa vue défaillante et ses lunettes fumées, les documents relatifs à notre histoire, tant à Québec, à Halifax, à Paris, à Boston qu’à plusieurs endroits du vieux et du nouveau monde, ce qui pourrait endiguer un pet ce courant erroné, qui nous montre à l’histoire comme des rebelles, et prouver que nous avons été un peuple obéissant, soumis et actif.
Nous ne voulons pas entrer ici dans une critique détaillé des dates et des évènements. A plus éclairés que nous d’y voir. Cependant, cet ouvrage, assez bien fondé de renseignements et de détails, nous exempte de critiquer les faits, quant à la précision. Il nous satisfait amplement.
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Cet ouvrage n’a pas la poésie ni l’élan patriotique, ni la chaleur de “Un pèlerinage au pays d’Evangeline.” Non. L’auteur n’est pas le poète, ni le barde de nos vieilles luttes et de nos anciennes larmes. Il a entendu des faussetés, il a des connaissances, il a voyagé, il a vu et sa bonne vieille plume, que nous aimons toujours, vient nous dire avec exactitude, sans phrases, ni prétention, des vérités historiques qui nous font respirer, après 1’orage de la persécution.
Il est plus compilateur, historien, correcteur de fausseté, que poète et écrivain plaisant. Il n’y a pas une ligne de roman dans son ouvrage. Vous croiriez peut être qu’il invente des récits imaginaires, quand il raconte les travaux apostoliques des Petit, des Thury, des Geoffroy, des Trouvé, des Boudoin, des de Breslay, des de la Gaudalie, des Chevreulx, des Desenclaves, mais détrompez vous.
L’auteur possède tout ce qui peut lui faire démontrer la vertu héroïque de ses hommes. Comme nous le disions, il peut se rencontrer des chercheurs qui contrediront quelques unes de ses dates ou de ses allégations. Tant mieux. Par leur contradiction et leurs corrections, ils ne feront qu’ajouter de la lumière à des faits dont la connaissance nous est absolument utile.
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Pourquoi l’Eglise de Jésus crucifié s’est-elle établie si rapidement dans le monde, dès les premiers siècles? Pourquoi des pays comme l’Irlande, la Pologne, le Canada ont-ils conservé si vivace leur foi et leur attachement à l’Eglise? Tertulien nous répond : Le sang des martyrs était une semence de chrétiens. En Acadie, plus les nôtres ont été persécutés, plus ils sont demeurés fermes et inébranlables dans leur foi. Plus les premiers apôtres de l’Acadie se sont vus en butte aux persécutions des anglais, des concussionnaires français, des contrebandiers, des agioteurs, des intendants cupides et des malversations éhontées des agents français et anglais, plus ils ont reçu d’en Haut de force et d’énergie apostoliques pour accomplir leur grande œuvre.
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L’Abbé Casgrain nous rend clair comme le soleil du midi un point d’histoire bien discuté. Pourquoi les prêtres de Beau-Bassin, des Mines de Port Royal, de Pemquid, de Chipoudy, de la Baie Verte, etc., n’ont ils pas exhorté leurs ouailles à prêter le fameux serment d’allégeance à la couronne d’Angleterre? Voici la réponse que nous croyons pouvoir déduire après la lecture de ce livre bien calculé pour notre époque et nos aspirations idéales.
D’abord, les Acadiens pouvaient-ils prêter ce serment à la couronne? Y avait-il des agents dûment autorisés par le roi d’Angleterre pour en recevoir la prestation? A qui le prêter? A des pillards, des dévastateurs, des forbans, des sacrilèges, des gens dégradés et infâmes comme les Lawrence, les Phipps, les Church et autres qui pour la plupart n’avaient d’autre but que de piller, de tuer, de dévaster au profit de leur bourse avec l’assurance de l’impunité. Ces bandits galonnés d’or avaient-ils le droit de venir en imposer aux curés, aux pacifiques et laborieuses populations de l’Acadie? Non, jamais. L’Histoire, même contemporaine, même actuelle, française comme anglaise, nous entendons la vraie, s’accorde pour couvrir de juste ignominie ces misérables envahisseurs.
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Autre obstacle que les missionnaires eurent à rencontrer, en Acadie, de la part des Français. C’est honteux de le dire, mais c’est vrai.
Dans la dernière partie du 17ème et la première moitié du 18ème siècle, il y avait une certaine classe de marchands français qui rendait le ministère des prêtres bien difficile. Nous voulons parler des trafiquants, des changeurs, des contrebandiers, des vendeurs d’eau de vie. Leur commerce illicite, qui échappait aisément à la surveillance ramollie de la cour de Louis XIV, du libertin Louis XV et de l’impuissant Louis XVI, introduisait au pays la plus infâme débandade parmi nos populations acadiennes et sauvages. Le curé voulait-il s’y opposer que de suite on écrivait au parlement français, citant M. le curé un tel au jugement de l’Empire. Il était un traître, il était un intéressé, il se mêlait d’affaires qui ne le regardaient pas. En France, au parlement, moyennant rétribution, nous nous basons sur des lettres et des faits, on en imposait sur les missionnaires. D'un autre côté, si le prêtre voulait résister au courant envahisseur de l'Anglais, s’il voulait mettre ses fidèles en garde contre le protestantisme et les agissements effrénés des Bostonais et des corsaires anglais, de suite il était persécuté. Parfois, même souvent, on pillait son église, on volait son presbytère. Lui et les siens étaient mis à bord du vaisseau pirate pour un port inconnu.
Nous devrions jeter un voile sur le tableau navrant de tan d’horreur que l’histoire nous force à lire malgré notre dépit et nos larmes. Bien des historiens anglais, ne font que corroborer ce que l’abbé Casgrain nous raconte. Que pouvaient-ils faire ces pauvres missionnaires? Ici un grand point d’interrogation? Facilement solvable après la lecture du livre qui nous occupe. Ils ont fait ce qu’ils ont pu. Ils ont prié, travaillé et fait le bien. Ils se sont dépensés, rien ne leur était plus à cœur que l’avancement, le bonheur et le salut de leurs chers Acadiens, nos ancêtres. Quand les ressources de leurs paroissiens n’étaient point suffisantes pour bâtir des églises, des presbytères et des écoles, l’histoire nous dit qu'ils dé pensaient la dernière monnaie que leur avaient léguée leurs parents.
Il est des évènements et des hommes que Dieu prépare pour sa gloire en les faisant entrer sur la scène orageuse et parfois complexe de ce monde. Sachons discerner ses élus et ses héros. M. l’abbé Casgrain nous en montre quelques-uns dans son beau livre, espérons que Dieu ne nous les a pas seulement donnés comme objet d’admiration, mais qu’il continuera de nous en fournir encore pour nous éclairer et nous conduire dans le chemin ardu du devoir et de la vie chrétienne.
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L’EVANGELINE ne saurait trop recommander à ses nombreux lecteurs cet ouvrage qui, nous n’en avons de doute, les instruira et leur causera des surprises consolantes. On lit trop peu parmi nos Acadiens français, surtout des ouvrages de ce genre! On écrit trop peu aussi. Sans doute, dans ces dernières années, nous avons eu l’honneur d’avoir des nôtres qui ont fait leur marque en histoire. Témoins, les Richard, les Poirier, et autres. Ce n’est pas assez. Notre histoire demande pins de marge et de bons livres. Mais les lecteurs sont si ingrats. Mais on lit si peu. C’est une lacune qu’il faut combler. Nous espérons que l’exemple de l’abbé Casgrain ne restera pas infructueux.
Depuis Longfellow, dans son poème inimitable “Evangeline,” il y en a eu plusieurs qui ont écrit et parlé sur notre sujet. Cependant la mine n’est pas encore épuisée. En avant donc jeunes et vieux. Eclairez nous. Au nom du peuple Acadien, I’EVANGELINE présente ses remerciements patriotiques à l’auteur de “Sulpiciens et prêtres des missions étrangères en Acadie.”