Conventions nationales des Acadiens (Robidoux) - 1881 - p87-91

Year
1881
Article Title
n.t.
Author
Pascal Poirier
Page Number
87-91
Article Type
Language
Article Contents
Monsieur le président, Mesdames et Messieurs, Je ne me plaindrai pas de n’avoir eu qu’un quart d’heure d’avis pour préparer ce discours: j’avais exprimé mes craintes que les discours ne prissent trop le temps de notre convention. Nous nous réunissons pour travailler d’abord, me disais-je, et parler ensuite si nous en avons le temps. Eh bien! messieurs, nous nous sommes réunis, en effet; nous avons travaillé déjà, et bien travaillé, puisque nous nous sommes choisi une fête nationale; et nous avons encore eu le temps, ce qui est très heureux, d’entendre d’excellents discours. Ceci est un autre bon point à mettre au compte du comité exécutif. Nous devons aussi de la reconnaissance à nos amis les Canadiens, qui sont venus d’Ottawa et de Québec nous prêter le concours de leur expérience, nous encourager et nous donner de bons conseils. La présence de MM. les délégués canadiens produira parmi nous les plus heureux résultats. M. Chouinard vient de nous parler de l’union qui a existé de temps immémorial entre les Canadiens et les Acadiens. J’ajouterai que cette union antique et sainte provient autant des bons procédés que les deux peuples ont toujours eus l’un envers l’autre que de leur origine commune. On a cité des traits historiques à l’appui de cet avancé. J’en citerai un autre. En 1690 le général anglais Philps, après avoir détruit Port-Royal et la plupart des établissements acadiens, se dirigea avec sa flotte et sa troupe du côté de Québec. La cité de Champlain n’était pas alors en état de soutenir un siège, et le Canada était presque aussi faible et aussi dénué que l’Acadie elle-même. Mais, dans le malheur comme dans la prospérité, les deux colonies étaient sœurs, étaient amies. Les Acadiens comprirent que si Québec était attaqué à l’improviste, il succomberait. Il s’agissait donc de prévenir Québec que l’armée anglaise s’avançait et pour cela envoyer des courriers. Il n’y a pas d’hésitation. L’Acadie elle-même n’est qu’un monceau de ruines, Port-Royal est détruit, les villages sont incendiés, les cultivateurs et les négociants ruinés; on publie tout et l’on part pour sauver Québec. Mais la distance est longue et il n’y a pas de chemin: Arrivera-t-on jamais? N’importe, on se met en marche. La grande et généreuse pensée qu’ils peuvent sauver une colonie amie fait oublier aux envoyés leurs propres maux. Quelques-uns périssent sur la route, de misère, peut-être de faim; ceux qui restent continuent leur chemin. Enfin l’on arrive, le gouverneur Frontenac est averti du danger qui menace Québec, et Québec est sauvé. C’est par l’échange de semblables procédés, messieurs, que les Canadiens et les Acadiens ont toujours été non-seulement des frères, mais des amis. La présence de messieurs les délégués canadiens à notre congrès, la présence des nôtres aux grandes conventions de Montréal, en 1874 et de Québec l’année dernière, ont pour effet de perpétuer les bonnes relations qui ont toujours existé entre les deux peuples, de continuer les traditions d’autrefois. Ces traditions sont dans l’histoire, cette amitié est dans le sang, et les deux subsisteront aussi longtemps que la langue française sera parlée sur les rives du majestueux St-Laurent et sous le ciel qui fut autrefois celui de l’Acadie française. Et il ne faut pas croire, messieurs, que le choix que nous venons de faire de l’Assomption pour fête nationale - vous me permettrez de parler de cet événement dont tout le monde parle depuis ce matin - affecte en rien la véritable amitié qui lie les Acadiens aux Canadiens et ceux-ci aux Acadiens. Sans doute il y a et il y aura quelques déceptions à la nouvelle que les Acadiens se sont choisi un patron différent de celui des Canadiens. Mais cette déception se trahira en regrets et non pas en rupture entre les deux peuples, surtout lorsque les Canadiens connaîtront mieux l’esprit qui a présidé au choix que nous avons fait. En adoptant une fête différente de la leur, nous avons suivi leur exemple. ce n’est pas par antipathie pour la France qu’ils ont choisi S. Jean-Baptiste pour patron national; mais parcequ’ils ont une histoire et des traditions à eux; qu’ils ont vécu d’une vie nationale qui leur est propres; qu’ils ont surtout souffert comme Canadiens, et qu’ils sentent qu’ils n’arriveront jamais à leurs glorieuses destinées qu’en demeurant Canadiens. Ce qu’ils ont fait, nos situations étant à peu près les mêmes, nous le faisons, voilà tout. Et si la France, quoique nos amis aient pris S. Jean-Baptiste pour patron national, ne leur envoie pas moins des professeurs pour leurs collèges et leurs couvents, des supérieurs pour leurs communautés et des millions pour leurs coffres-forts, les Canadiens qui nous ont donné le Collège St-Joseph, le vénéré supérieur et les professeurs de cette institution, qui ont donné des couvents et des religieuses au diocèse de Charlottetown et à celui de Chatham, dont les missionnaires ont été à peu près nos seuls prêtres depuis un siècle, les Canadiens, dis-je, ne nous en voudront pas d’avoir, étant les plus nécessiteux, pris le plus riche et le plus puissant patron du paradis, et n’en continueront pas moins de faire pour nous ce que la France fait pour eux depuis des siècles. Et puis nous ne devons pas oublier qu’il y a au Canada presqu’autant d’Acadiens que dans nos provinces mêmes. Ces Acadiens, mêlés aux Canadiens, vivant avec eux, incorporés en eux, qui ont adopté la même fête nationale qu’eux, qui sont devenus enfin des Canadiens, auront au moins un jour dans l’année où ils se souviendront de leur origine, où ils se rappelleront qu’ils sont Acadiens. Ce jour, ce sera le 15 août. Et si le souvenir du passé vit encore - comme nous n’en doutons pas - assez puissamment dans leurs cœurs, peut-être quelques-uns d’entre eux, après avoir fêté le Canada, le 24 juin, fêteront-ils l’Acadie le jour de l’Assomption. Et ceux de la Louisiane, et ceux de la Guyane, et ceux de Belle-Ile-en-Mer, et ceux du Saint-Pierre-Miquelon, et ceux des Iles de la Madeleine, et ceux du Labrador, et tous nos frères enfin que l’orage a dispersés se joindront à nous le 15 août, se prosterneront en même temps que nous aux pieds de la reine du ciel pour la remercier de nous avoir sauvés; et cette prière des fils des martyrs de 1755, s’élevant des quatre coins du monde comme un encens vers le trône de Dieu, sera puissante comme la prière des Hébreux dispersés en Asie, et versant des larmes au souvenir de Sion. Quelque soit la route parcourue par nos frères exilés; quelque soient les changements survenus en eux depuis cent-vingt-six ans, qu’ils soient mêlés, les uns avec les Louisianais, les autres avec les Bretons de France, les autres avec les Canadiens, tous ils se reconnaîtront le 15 août, car, je l’affirme ici hautement et avec orgueil, tous les Acadiens de l’univers sont demeurés catholiques-romains. Ainsi, avec l’Assomption pour fête nationale, notre famille n’est plus désunie; nous redevenons un seul peuple, dispersé il est vrai, sur toute la terre, mais réuni par le souvenir sanglant de 1755, et unifié par notre sainte religion. Le 15 août est là pour nous faire souvenir éternellement de l’un et de l’autre. Si dans cent ans, comme l’a dit Sir Hector Langevin, nous sommes deux millions, eh bien! dans cent ans deux millions d’Acadiens s’uniront à trois ou quatre millions de leurs frères exilés; ils fêteront ensemble l’Assomption et béniront cette convention tenue à Memramcook le 21 juillet 1881, qui leur a donné un jour de ralliement, une fête nationale selon leur cœur. Avant de terminer, et je me hâte de terminer pour ne pas entrer dans d’autres considérations, où mon sujet, je le sens, m’entraînerait trop loin, je tiens à constater le regret qu’éprouve cette convention de ce que M. Rameau, ne soit pas aujourd’hui au milieu de nous. Une convention acadienne ne saurait être complète sans M. Rameau, le grand ami de notre race. S’il n’est pas ici, son esprit est avec nous, et cette convention générale elle-même, il l’a demandée, il l’appelle de ses vœux depuis de longues années. Avant de nous séparer, je propose que nous fassions quelque chose pour M. Rameau qui a tant fait pour nous; et faire quelque chose qui soit agréable à l’auteur d’Une Colonie Féodale en Amérique, c’est travailler à nos propres intérêts. Voici de quoi il s’agit. L’histoire de l’Acadie de M. Rameau ne remonte qu’à la grande dispersion de 1755. Lorsque je l’ai rencontré à Paris, il y a quelques années, je lui demandai s’il n’avait pas l’intention de finir notre histoire. Oui, m’a-t-il répondu, pourvu que le premier volume s’écoule. Eh bien! ce que je propose, c’est que nous achetions, nous tous qui le pouvons, un exemplaire du premier volume d’Une Colonie Féodale. Si M. Rameau ne termine pas son histoire, personne d’entre nous ne peut continuer l’œuvre commencée. Pour prévenir une telle perte nationale, et pour notre propre instruction, il faut que l’ouvrage de M. Rameau se place parmi nous. En conséquence, cet hiver, aussitôt que je le pourrai, j’enverrai à Messieurs les délégués des listes de souscription à l’histoire de M. Rameau, et ces listes, j’en ai la conviction, se rempliront. Avec le souvenir de nos pères et de nos traditions, avec le culte de notre religion, n’oublions pas nos bienfaiteurs et nos amis. Or, parmi nos bienfaiteurs et nos amis, il n’en est peut-être pas de plus grand que M. Rameau.