A la mémoire de l'abbé Jean Mande Sigogne

Journal
Année
1889
Mois
7
Jour
31
Titre de l'article
A la mémoire de l'abbé Jean Mande Sigogne
Auteur
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Page(s)
7
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A LA MEMOIRE DE L’ABBE JEAN MANDE SIGOGNE L'APOTRE DE LA BAIE STE.-MARIE ET DU CAP-SABLE Projet d'Erection d’une Maison d’Education Francaise pour Perpetuer son Œuvre [Du Moniteur Acadien] Sur un tombeau en marbre dans le cimetière qui se trouve à côté de l’église Sainte Marie, à la Pointe de l’Eglise, Baie Sainte-Marie, N. E., on y lit une inscription latine dont voici la traduction : “O Dieu, très puissant. Cigit le corps du Rév. P. D. Jean Sigogne, prêtre français de la province de Touraine, qui à cause des troubles des temps exilé de sa patrie durant 47 ans à la Nouvelle Ecosse, fut missionnaire pieux et fidèle et propagea la religion catholique. Enfin plein de mérite et beaucoup regretté, il s’endormit dans le Seigneur, le 9 novembre 1844, dans sa 85ième année. Bon Jésus qu’il repose en paix. Ainsi-soit-il.” Celui dont les cendres reposent en paix dans la tombe que couvre horizontalement une table de marbre portant l'inscription précitée est un héros chrétien, un grand bienfaiteur des fils des confesseurs de la foi, c’est M. l'abbé Jean Mandé Sigogne, d’heureuse et sainte mémoire, l’apôtre zélé de la Baie Sainte Marie et du Cap Sable. Ce missionnaire par excellence naquit vers 1760, cinq ans environ après la tourmente néfaste de 1755, dans l’ancienne province de Touraine, France. Il fit un brillant et solide cours d’études et embrassa ensuite l’état ecclésiastique. Après son ordination, l’abbé Sigogne exerça son saint ministère dans sa province natale, pendant au moins une dizaine d’années. Mais dans les troubles qui surgirent en France, sous le Directoire, en 1797, il échappa miraculeusement à la guillotine, et pour sauver sa tête du couteau il se réfugia à Londres, chez une dame anglaise où il passa deux années à enseigner le français aux demoiselles de cette dame, qui, en retour, lui apprirent l’anglais. A la demande des Acadiens établis à la Baie Ste-Marie et au Cap Sable, John Wentworth, gouverneur de la Nouvelle-Ecosse, selon la tradition, de quelques vieillards de la localité, et d’après d’autres octogénaires acadiens le révérend père John Jones, prêtre capucin irlandais, résidant à Halifax, s’adressa à Londres, où s’étaient refugiés beaucoup de prêtres français pendant la révolution, afin obtenir un de ces prêtres pour la desserte des missions acadiennes des côtes occidentales de la province. Le choix tomba sur l’abbé Sigogne, qui quitta Londres au commencement d’avril 1799, sur le brig Stag et arriva à Halifax le 11 juin. Il se rendit immédiatement à Sainte- Anne du Ruisseau-de-l’Anguille, à bord d’une goëlette de pêche, après avoir rendu ses hommages au gouverneur Wentworth. Dans tout le territoire de la municipalité d’Argyle, autrement dit le Cap Sable, dans le comté de Yarmouth, il n’y avait alors qu’une pauvre petite chapelle sise à Eelbrook. Peu de jours après son arrivée, l’abbé Sigogne se rendit à la Baie Sainte-Marie, et le 30 juillet il débarquait à la Pointe de l’Eglise où se trouvait également une autre petite chapelle, construite sur la pointe de terre qui porte encore ce même nom. C’était à cette époque le seul temple qui existât dans ce qui forme aujourd’hui le comté de Digby. Avant l'abbé Sigogne, nul missionnaire n’était passé à la Baie Sainte-Marie et au Cap Sable depuis cinq ans. Le dernier avait été un prêtre irlandais, M. Thomas Grâce, qui donna deux missions à la Baie Sainte-Marie, la première le 25 mars 1790, et l’autre le 23 mai 1794. Ce fut donc avec une joie sans borne que les 70 familles acadiennes du Cap Sable et les 115 de la Baie Ste Marie, saluèrent la présence d’un prêtre français, résident au milieu d’elles. Pendant nombre d’années M. Sigogne resta le seul missionnaire sur le parcours s’étendant de Port Royal à Pombcoup [Pubnico], distance d’environ 120 milles. Dans toute cette étendue, il n’y avait, à son arrivée, que deux petites chapelles tandis qu’aujourd’hui on y compte une vingtaine de jolies églises desservies par une douzaine de prêtres. Dans les comtés de Yarmouth et Digby, où la population acadienne se chiffrait alors à 185 familles, cette population s’est accrue aujourd’hui à environ 20,000 âmes. Lorsque l’abbé Sigogne aborda sur la côte ouest de la Nouvelle-Ecosse, il avait environ 39 ans. D’une santé robuste, d’un zèle ardent, il consacra le reste de ses jours, c’est à-dire quarante-cinq ans, à l’avancement spirituel et temporel des habitants confiés à ses soins. Il déploya toute son énergie à faire disparaître et régler les différends qui s’étaient élevés de temps à autres parmi ses paroissiens. Il fut non-seulement leur père spirituel mais encore leur notaire, leur juge de paix, leur maître d’école. Respecté et aimé, on acceptait sans murmure ses décisions. Son nom comme sa personne était vénéré des protestants aussi bien que des catholiques. Il jouissait auprès des autorités civiles d’une influence presque sans borne et il en usait pour obtenir des concessions de terrain pour ses paroissiens. Le gouverneur de la Nouvelle-Ecosse ne passait jamais devant le presbytère de M. Sigogne sans y arrêter. Il en était de même de tous les autres dignitaires de la province. Il lut l’ami intime de l’historien Haliburton, et c’est grâce à lui que Haliburton, alors député du comté d’Annapolis (Digby compris), réussit à faire abolir l’abominable serment du Test. L’abbé Sigogne ne restait jamais oisif. Tantôt on le trouvait enfermé dans son cabinet d’études, au milieu de sa riche bibliothèque, écrivant ses sermons dont la plupart existent encore; tantôt il était dans son champ, travaillant au défrichement et à la culture de sa ferme, mais toujours prêt à suivre en toute saison et quelle que fût la distance, celui qui venait demander son ministère pour les malades. Il a fait construire plusieurs églises et encourageait fortement la colonisation. Il forma des paroisses modèle où la pureté des mœurs édifiait les étrangers. Presque tous ces paroissiens apprirent à lire et à écrire. Il fit venir de bons instituteurs français, et quand ceux-ci ne pouvaient suffire pour répandre l’instruction il ouvrait lui-même des classes dans son presbytère. Si les Acadiens de la Baie Sainte-Marie et du Cap Sable sont restés attachés au catholicisme et à la France, nul n’y a plus contribué que l’abbé Sigogne. Aussi son nom est-il prononcé avec vénération dans chaque famille acadienne des comtés de Yarmouth et de Digby. Voilà quarante-cinq ans que la belle âme de ce saint prêtre s’est enlevée au ciel et le souvenir de ce pieux missionnaire est encore aussi vivace qu’à l’heure de sa mort. En effet, il est justement question dans ce temps-ci d’ériger un monument à sa mémoire sous forme d’une maison d’éducation française à la Baie Sainte-Marie, avec la haute approbation de Sa Grandeur Mgr l’archevêque O’Brien. Celui qui est à la tête de ce noble et patriotique mouvement “ est un jeune homme aussi intelligent que pieux et actif, M. l’abbé Alp. B. Parker,” curé de Saint Bernard, Baie Sainte-Marie. L’abbé Parker, d’origine irlandaise, “s’est fait acadien depuis qu’il est de venu leur curé et a embrassé chaleureusement leur cause.” On trouvera ci après sa magnifique lettre à propos de la fondation d’une maison d’éducation française, dans la Ville française, que nous reproduisons de L’EVANGÉLINE. Il va sans dire que le Moniteur appuie fortement ce projet et prêtera tout son concours pour le faire réussir. Nous reviendrons encore sur ce sujet.