Jacques et Marie: Souvenir d'un peuple dispersé

Journal
Année
1889
Mois
3
Jour
27
Titre de l'article
Jacques et Marie: Souvenir d'un peuple dispersé
Auteur
Napoleon Bourassa
Page(s)
4
Type d'article
Langue
Contenu de l'article
JACQUES et MARIE Souvenir d’un Peuple Disperse Par NAPOLEON BOURASSA TROISIEME PARTIE III [Suite] Aussitôt après, les soldats déposèrent leurs armes qu’ils n’avaient pas quittées depuis six ans; les quelques sauvages qui nous étaient restés fidèles dirent adieu au grand chef des Français et à leurs compagnons d’armes, regagnèrent la forêt; pour eux, leurs anciens alliés étaient un peuple déchu; les troupes régulières s’acheminèrent vers les vaisseaux qui devaient les rendre à la France, et les miliciens, devant les magistrats militaires pour subir un supplice pire que celui des fourches caudines, celui de jurer leur allégeance à l’Angleterre ainsi qu’avaient été forcés de le faire tous les habitants des rives du St.-Laurent. Ceux-là, la nécessité, les besoins pressants de la famille les rivaient à la terre conquise; il fallait qu’ils passassent sous le joug!... Alors, il y en eut qui firent entendre des imprécations contre cette cour de Sardanapale qui régnait en ce moment à Versailles, et veillait dans ses débauches sur l’honneur de la nation; qui laissait, dans son épuisement et sa gueuserie, écraser ses héros sans secours, démembrer l’empire, ruiner le prestige et l’influence de la France de Louis XIV, et borner son action civilisatrice dans le monde; qui, par l’impudeur de ses vices et la mollesse de sa conduite, n’inspirait de hardiesse qu’aux fripons dissolus; gouvernement marqué par la main de la justice divine, et que le peuple, soulevé comme la tempête, allait bientôt briser et rejeter dans l’ombre du passé avec les choses vieillies et souillées. O vous, lâches courtisans! qui durant ces jours de deuil fatigués d’entendre le son des clairons et ces histoires de batailles qu’on livrait [pour] quelques arpents de neige, passiez vos heures à aduler bassement votre souverain afin qu’il n’exigeât pas de vous des sacrifices pour soutenir l’Etat ébranlé, ah!... vous ne saviez pas, dans votre égoïsme aveugle, ce qui se passait dans le cœur de plusieurs milliers de vos compatriotes d’Amérique quand on venait leur dire, en leur mettant un fer sur la gorge et une torche au seuil de leur demeure; “Jurez d’être Anglais! Donnez votre nom, votre parole, votre pensée, votre génie, votre travail, votre postérité à la nation que vous détestez le plus, et qui vous a fait le plus de mal; jurez d’aimer ce qu’elle aimera et de combattre ceux qu’elle vous désignera, fussent-ils vos frères!...” Non, non, vous n’avez pas pu comprendre cela, car autrement, vous n’aurez pas balancé à jeter aux pieds du trône de ce bon Louis XV cette fraction de vos revenus qu’on vous demandait pour venir à notre secours; et puis vous ignoriez ce que deviendraient un jour ces quelques arpents de neige, qui s’étendaient depuis le pôle jusqu’à l’équateur! VI Pour Jacques en particulier l’heure de la capitulation fut poignante; ce fut une heure d’irrésolution où il dut livrer dans son cœur des combats plus désespérés que ceux où il avait déployé toute sa valeur. Sa situation ne lui permettait pas de temporiser; elle ne lui offrait que deux chemins pour y jeter sa vie : il faillait choisir de suite entre la France ou l’Angleterre; renoncer à la première, ou abandonner sa famille et Marie qui devaient rester quelque part sur la terre conquise; et puis, en se donnant au vainqueur, il demeurait encore entre l’incertitude de pouvoir retrouver les objets de ses affections et la nécessité d’un serment abhorré... Il était d’ailleurs accablé par l’insuccès de son dévouement et par la pénible indifférence avec laquelle le gouvernement avait vu tant de sacrifices; la carrière militaire n’avait plus pour lui de but, il ne tenait pas à la poursuivre sur un autre continent et contre d’autres ennemis; il ne s’était fait soldat que par haine contre les Anglais, et pour défendre ses foyers, il était maintenant rassasié de cette tuerie que n’avaient pas voilée les fumées de la gloire, et qui n’avait pu détourner aucun de ses malheurs; il ne pouvait pas se faire à l’idée que cette terre qui lui avait donné une substance, un ciel, un espace, des eaux, une manière de vivre devenu propre à ses sens, n’était plus la patrie. Oh! si j’avais la certitude, s’écriait-il en ce moment, de retrouver, au fond de quelque solitude, mon vieux père et Marie!... J’y fixerais ma vie, et ce serait encore là du bonheur!... Il nous sera facile, durant bien des années, dans ces forêts sans limites, de cacher notre existence et d’ignorer le joug du conquérant : nos enfants qui n’auront pas servi d’autre drapeau verront arriver le nouveau au milieu des travaux de la paix et ils ignoreront, eux, sur quelle cendre il a passé, et quelles ruines il a laissées derrière lui!... le décret de la Providence n’aura déchiré que nos entrai1les, il ne laissera à notre postérité que des regrets… Mais ce serment qu’il me faut, avant tout, aller proférer pour moi et pour eux, que je ne puis éluder, qui va lier mes pensées, mon bras, mon sang! Oh! qu’il m’est dur d’imposer cela à ma conscience, de river ce lien sur mes reins et sur mon cou!...et si, après m’être enchaîné, je ne retrouve jamais dans ces espaces immenses ni mon vieux père, ni Marie, ni aucun des miens, s’ils ont suivi des routes inconnues, s’ils n’existent plus!...oh! alors, mon Dieu! vous me soutiendrez!... En articulant ces paroles, Jacques promena un instant ses regards sur cet horizon plat qui s’étend autour de l’île de Montréal jusqu’à l’infini, et qui à cette époque devait apparaître comme un océan de verdure, et il sembla demander à cette immensité quel gage de bonheur elle réservait à ses espérances. Puis il tira de sa poche cette lettre de Winslow que George lui avait remise devant Québec. Il l’avait si bien et si souvent fait traduire, depuis, qu’il la lisait et la comprenait maintenant comme s’il eût toujours possédé la langue anglaise; il se mit donc à la parcourir pour la centième fois et à en méditer chaque point avec une grande attention. Nous allons la lire avec lui : “Mon cher Capitaine, “Depuis notre départ, nous n’avons pas cessé de nous occuper de vos protégés et nous avons usé largement des moyens que vous nous avez donnés de soulager les Acadiens. Votre banquier trouve que nous faisons honneur à votre munificence. Nous faisons distribuer tous les jours des aliments à tous ceux qui ne peuvent rien gagner. Nous avons fait visiter les malades par les médecins. Grâce à vos bonnes intentions et au plaisir que nous éprouvons d’ailleurs de soulager ces infortunés, leur état s’améliore. Quant à la famille Landry, qui nous intéresse plus que jamais, je dois vous en parler plus en détail. “J’ai continué les recherches que vous aviez commencées, pour réunir ensemble ces tendres cœurs déchirés, et j’ai le chagrin de vous mander que j’ai peu réussi. Ces recherches étaient d’autant plus difficiles que les armateurs n’avaient pas pris la peine d’enrégistrer le nom des déportés; comme il leur suffisait, pour toucher leur salaire, de constater le nombre de ceux qu’ils avaient à leur bord, ils ne se sont pas donné plus de peine. “J’avais ouï dire que le vieux notaire Leblanc venait d’arriver à Philadelphie; j’y fis faire aussitôt des perquisitions qui n’eurent d’autres résultats que de m’apprendre la fin déplorable de ce vieux serviteur de notre gouvernement. Accosté d’abord dans le port de New-York avec sa femme et deux de ses plus jeunes enfants, il n’avait pas voulu s’y reposer sans avoir retrouvé quelques autres des siens. Mais sa santé était déjà trop délabrée pour supporter plus de fatigue et de chagrin, il expira en rejoignant trois autres membres de sa famille. On ne sait ce que sont devenus les seize qui manquent encore. Quelques rapports recueillis en Pensylvanie m’ont fait soupçonner que le Père Landry serait mort lui-même à bord de l’un des pontons, et aurait été jeté à la mer. D’ailleurs, près de trois cents de ceux qui sont arrivés dans cette province ont déjà péri de maladie et de misère. “Pour se délivrer de la dépense qu’entraîne le soutien de ceux qui survivent, le gouvernement leur a offert de les vendre comme des esclaves!.. Vous savez déjà qu’ici la ville s’est crue généreuse en offrant de placer, dans la maison des pauvres, les enfants que leurs parents ne peuvent pas alimenter. Nous leur avons enlevé une partie de leurs affections et nous leur demandons, par charité, de leur arracher le reste. Nous les avons fait prisonniers sans raisons légitimes et nous trouvons lourd de leur donner à manger; et nous nous étonnons qu’ils refusent de pareils témoignages de bienveillance! Vraiment, nous allons laisser une belle preuve de notre esprit de justice à la postérité! “Malgré tous mes efforts, je n’ai pu me mettre sur la trace d’aucun des frères de Marie; il n’est pourtant pas probable qu’ils aient tous succombé; quelques-uns auront réussi, je l'espère, à s’échapper du côté du Canada ou de la Louisiane. Je sais qu’un convoi s’est dirigé vers le Mississipi : que deux vaisseaux ont été saisis par les prisonniers et forcés de rebrousser chemin vers la Baie-des-Français, d’où personne ne les a vus revenir, et qu’un autre s’est perdu, corps et biens, sur les côtes de la Pensylvanie. On m’a dit qu’une partie de ceux qui avaient été déposés sur le littoral de la Géorgie s’acheminaient vers le nord avec l’espoir d’atteindre l’Acadie. Quoiqu’ils n’ignorent pas l’immense étendue de côtes qui les séparent de leur patrie, ils ne désespèrent pas d’y arriver. Plusieurs ont atteint New-York; et ils rapportent qu’un grand nombre d’entre eux ont péri dans ce long voyage. Pauvres gens! ils ne se doutent pas de ce qui les attend ici. Lawrence vient d’expédier l’ordre de les disperser de nouveau!... “Depuis quelques mois, j’ai dû négliger vos intérêts devant les occupations incessantes que m’a donnée le service. “Vous le voyez donc, mon cher capitaine, toutes nos peines n’ont abouti à constater des pertes irréparables pour nous protégés. Comme il n’y avait aucun avantage à leur rendre compte de ce triste résultat, j’ai préféré leur laisser tout ignorer. Le hasard et le temps leur révéleront toute l’étendue de leur malheur. Cependant, comme leur isolement me paraissait les accabler de jour en jour davantage, je leur ai proposé de les acheminer vers le Canada. Ils acceptèrent ma proposition avec reconnaissance. Un échange de prisonniers avait eu lieu, je profitai du départ de quelques Français pour leur confier les proscrits. Un convoi de nos troupes qui partait pour la frontière les accompagna jusqu’au lac Champlain. Je doute que la mère Landry et la veuve Trahan aient pu survivre à ce long voyage. Si le succès couronne vos efforts sur Québec, vous saurez bientôt si mes prévisions se sont accomplies. “Adieu, mon ami, “ JOHN WINSLOW.” Après cette nouvelle lecture, Jacques se leva; sa résolution était arrêtée : il allait l’exécuter. S’il restait quelquefois indécis entre deux grands intérêts de sa vie, aussitôt qu‘il avait fait son choix, il ne consultait plus que son énergie. Il se rendit donc au quartier où était cantonné le corps désarmé de M. Boishébert pour faire ses adieux à ses confrères et à son commandant. Celui-ci, qui soupçonnait les motifs secrets de la conduite de son capitaine, ne voulut pas lui adresser de questions sur ce qui le faisait renoncer au service de la France. Jacques lui sut gré de sa discrétion : il avait trop combattu dans son propre cœur pour aimer à lutter encore avec un ami pour lequel il avait tant de considération. Cet adieu fut presque silencieux; on se pressa vivement poitrine contre poitrine, avec des larmes dans les yeux. En apercevant quelques lambeaux de son drapeau de Montmorency et de Sainte-Foy, que son chef rapportait sans doute en France comme une relique, Jacques s’en empara et, les embrassant étroitement, il ne put s’empêcher de s’écrier: Adieu! je ne te reverrai plus que dans mon souvenir et dans mon amour passé... que dans mes heures de désespoir! c’est fini!... Maintenant, il me faudra prier pour que tu ne reparaisses jamais sur cette frontière... je serais obligé de te combattre!... Quelques compagnons d’armes qui n’étaient pas dans l’intimité du proscrit acadien, moins discrets que leur commandant, ne pouvaient comprendre pourquoi ce fier ennemi des Anglais voulait rester en arrière : ils s’écriaient en le voyant passer devant eux : Quoi, vous capitaine Hébert, vous renoncez à la France malheureuse et vaincue!... Jacques se sentit suffoqué et il hâta le pas : il lui sembla dans ce moment qu’il franchissait un océan et qu’il mettait le pied dans un autre camp : malgré les motifs purs qui le guidaient, il crut que la honte des transfuges rougissait son front, et il fut prêt de se rejeter en arrière. Mais Wagontaga, à qui il avait donné le bras, l’entraîna sans comprendre son émotion. De là, il se rendit devant les magistrats chargés de recevoir le serment d’allégeance et il le prêta; puis, ayant découvert des bateliers, il loua une embarcation et se dirigea avec son compagnon vers la mission de la Prairie de la Magdeleine, que les Jésuites évangélisaient depuis plusieurs années. Voici quel était le but de ce voyage. Jacques savait qu’un grand nombre de ses compatriotes, lors de l’émigration, avaient obtenu du gouvernement d’ouvrir quelques nouvelles concessions le long du St. Laurent. Durant les deux hivers précédents et pendant sa retraite sur Montréal, il avait pu recueillir assez d’informations pour être persuadé qu’aucun de ses parents ne se trouvait dans les établissements situés entre Québec et Montréal, mais il avait su tout dernièrement que plusieurs familles acadiennes s’étaient fixées, sous la direction des Pères Jésuites, dans un endroit isolé, en arrière de leur mission, au milieu de la vallée formée par le St. Laurent et le Richelieu. Il ne connaissait le nom d’aucune d’entre elles; mais il espérait avec raison obtenir tous les renseignements nécessaires à la maison de la compagnie : il avait connu autrefois plusieurs de ces zélés missionnaires : il espérait en rencontrer quelques-uns à la Prairie de Madeleine. Il faisait encore une hypothèse assez vraisemblable et qui n’avait pas moins de charme pour lui : Si Marie est venue au Canada par le lac Champlain et le Richelieu, comme le laisse croire la lettre du colonel où elle aura rencontré quelques-uns de ses compatriotes. Or, la Petite-Cadie, bien isolée à cette époque, se trouvait sur son chemin. VII C’est donc le cœur plein d’espérance et de crainte que Jacques monta les degrés du perron qui conduisait à l’humble habitation des Pères. Un frère vint ouvrir la porte du parloir et introduisit les voyageurs dans une petite pièce déjà remplie de monde, puis il leur dit : Vous désirez parler à quelqu’un d’ici? Oui, bon frère, répondit Jacques, je voudrais avoir un moment d’entretien avec le Père Supérieur. Le voici lui-même qui vient. Veuillez vous asseoir, en attendant qu’il ait terminé avec ces autres personnes. La plupart de ces visiteurs étaient des femmes, des vieillards et des enfants canadiens ou sauvages; en apprenant la capitulation, ils étaient accourus auprès de leurs pasteurs pour leur demander des conseils et des secours, apprendre quel sort leur était réservé et ce qui allait advenir à leurs parents restés sous les armes. Le bon religieux répondait à tous selon son cœur et comme le requéraient les besoins de chacun; il distribuait en même temps ce que sa charitable indigence lui permettait d’enlever à la vie de la petite communauté pour le donner à ceux qui demandaient les soins les plus urgents. Une table était dressée dans un coin où les habitués de l’aumône allaient prendre quelque nourriture que leur servait le frère portier. Puis il congédiait tout ce monde avec douceur, leur disant: Allez, mais enfants, espérez en Dieu et priez; soyez ensuite sans inquiétude. Regagnez vos maisons et vos cabane vous reverrez bientôt vos parents, il ne leur est pas arrivé de mal. Ce soir, à l’Ave Maria, trouvez-vous tous dans la chapelle; je vous donnerai les avis que le ciel m’inspirera... Et tous ces malheureux se retiraient, l’âme calmée par ces simples paroles qui représentaient pour eux la sagesse et la volonté divine. La paix qui régnait sur le front du prêtre descendait dans tous les cœurs naïfs. En le voyant s’approcher de lui, Jacques sentit augmenter ses espérances; il lui sembla qu’un air vivifiant venait l’envelopper, il éprouvait une sensation de repos et de satisfaction qu’il avait oubliée depuis longtemps. Et vous, dit le Seigneur en l’accostant, vous avez aussi à me parler, que désirez-vous? à qui ai-je l’avantage de parler? Je suis un proscrit acadien; depuis le jour de mon exil, j’ai servi constamment la France, et maintenant que je ne puis plus rien faire pour elle je cherche mes parents dispersés...Je venais vous demander, mon Père, si dans votre maison quelqu’un n’aurait pas entendu parler d’eux. Comment se nomment-ils? Mon père se nomme Pierre Hébert, et nous sommes alliés aux LeBlanc, aux Landry, aux Cômaux. Mon enfant, ces noms ne sont pas inconnus; je les ai souvent entendu prononcer lorsque j’étais à Québec et même depuis le peu de temps que je suis ici. Mais je ne puis moi-même vous donner aucun renseignement exact sur les familles qui les portent et sur les lieux où elles résident; depuis que j’habite la Nouvelle-France, j’ai exercé mon ministère surtout parmi les sauvages. Un des Pères de cette mission pourra vous être plus utile que moi; il a séjourné au milieu de vos compatriotes, il les a suivis après qu’ils se furent enfuis de leur pays, les a aidés dans leurs nouveaux établissements, et depuis les quelques semaines qu’il est ici, il a visité deux fois ceux qui se sont fixés à quelques lieues d’ici, sur les bords de la petite rivière de Montréal : peut-être le connaissez-vous. Puis-je savoir son nom, mon Père? C’est le Père de la Brosse. Le Père de la Brosse! s’écria Jacques, mais c’est presqu’un frère d’armes, il a vécu pendant près d’un an à côté de moi; nous couchions dans la même tente. Oh! qu’il m’a fait du bien, après les dures séparations que je venais de subir, quand nous errions dans les environs de l’Acadie, moi, pour protéger nos émigrés, lui pour les recueillir et les consoler! Que je suis heureux de le rencontrer encore! Malheureusement, dit le Père Supérieur il ne se trouve pas maintenant dans la maison; on est venu le quérir pour des malades en danger... précisément pour un Acadien de la nouvelle commune. Il ne reviendra pas, probablement, avant mardi prochain. C’est aujourd’hui vendredi; or comme les chemins sont très-mauvais, et que le Père veut donner à ces bonnes gens le service divin, les visiter tous un peu, leur offrir tous les secours spirituels, les préparer au grand coup qui vient de les frapper, il a besoin de ces quatre jours. Depuis combien de temps est-il parti? dit Jacques avec précipitation. Depuis une heure seulement. Alors, il nous sera facile de le rejoindre, n’est-ce pas, mon Père, en prenant le train d’expédition? Je n’en doute pas; le Père de la Brosse a maintenant le pas appesanti; mais je vous en préviens, la route est difficile. Alors, mon Père, permettez que nous partions; J’ai grande hâte de causer avec lui; s’il allait me conduire lui-même à la maison de ma famille!... Je vous le souhaite, mon brave; quand on sait si bien accomplir ses devoirs de citoyen et d’enfant, on mérite que Dieu nous récompense; que la bénédiction d’un vieillard vous accompagne dans vos pieuses recherches Si nous restons ici... et si le ciel vous favorise dans votre voyage, venez me conter votre bonheur, afin que je me réjouisse avec vous. Après ces paroles, le saint religieux indiqua à Jacques la route qu’il devait suivre. Un seul chemin traversait alors l’immense forêt qui séparait de ce côté, le St.-Laurent du Richelieu; c’était celui de St.-Jean, et c’est celui que le Jésuite avait désigné à nos voyageurs. Il était droit et déjà bien tracé, on ne pouvait s’y égarer : Jacques et Wagontaga s’y avancèrent rapidement, mais après avoir franchi un espace de trois lieues à peu près, ils commencèrent à s’étonner de ne pas apercevoir même dans le lointain, le missionnaire qu’ils désiraient tant rejoindre. Pour quelqu’un dont le pas est appesanti, se dit Jacques en lui-même, je trouve qu’il enjambe lestement cette route d’enfer; il faut qu’un ange l’ait voituré, ou bien qu’il soit tombé aux mains de quelque patrouille anglaise. [A suivre]