La Force des Acadiens

Journal
Année
1911
Mois
2
Jour
28
Titre de l'article
La Force des Acadiens
Auteur
Pacifique
Page(s)
1
Type d'article
Langue
Contenu de l'article
LA FORCE DES ACADIENS D’où vient la force de résistance des Acadiens? Nous avons promis de tenter une explication; le moment de tenir parole est arrive. La première, on n’en savrait douter, réside dans la conservation de la langue. Ici, des ennemis que leur ignorance rend superbes, répondent en plissant les lèvres : “Parlez-vous du patois acadien?” Eh! oui. La langue des Acadiens diffère quelque peu du parler canadien; les différences sont même assez caractéristiques. En somme, les Acadiens parlent le français populaire du XVIIe siècle. Une preuve en passant. Une ancienne grammaire recommande de ne pas prononcer moi (moa), toi (toa) comme les gens du peuple, mais “moé,” toé”, comme à la cour, comme Louis XIV! Or, les Canadiens prononçaient “moé,” toé” comme madame de Sévigné et les Acadiens “moa”, “toa” ainsi que le “bûcheron” de Lafontaine. Les Français s’étant ralliés à la prononciation populaire, les Acadiens, sur ce point, n’ont donc rien à modifier. Ils sont en plein dans le courant. Fermons cette longe parenthèse. Une autre cause de la résistance triomphante des Acadiens se trouve dans la fécondité des familles, fécondité qui suppose une race forte, saine, indemne encore de légoïsme féroce qui étreint d’autres race te les achemine lentement à la mort. La troisième cause de l’endurance acadienne réside dans l’énergie que donne à un peuple une brillante histoire. La leur est vieille de trois siècles, la plus vieille de l’Amérique septentrionale; elle est héroïne, elle est dramatique, elle est navrante, elle est pure et si elle tachée de sang, c’est le sang des martyrs le sang acadien; elle est tachée de leur propre sang! Il y a dans l’histoire d’un peuple, une force, une force irrésistible que l’on peut contester, mais que l’on n’empêchera point d’exister, elle produira, cette force, les résultats qu’elle a produit ailleurs. L’histoire acadienne a un avantage; elle est l’histoire du sol; elle n’est pas une série de légendes transplantées d’un continent à l’autre; ce n’est pas une histoire de croissance artificielle : elle est logique dans ses aspirations; ce que le peuple acadien voulait au XVIIe siècle, il le voulait au XVIIIe; il s’estime heureux de n’être pas tiré en sens contraires, comme d’autres qui sont ultra-anglais dans un pays, et anti-anglais dans un autre. L’Acadien ne s’appuie pas sur la haine; la justice qu’il réclame pour lui, Il est prêt à la rendre au centuple aux autres et Il en fournit des preuves qui étonnent les rivaux, sans les désarmer, et exaspèrent les patriotes à tous crins, ceux voudraient que l’on gratiquât la peine du talion. Afin de se disposer de répondre, on rira de ce que j’ai avancé – les hommes sérieux savent qu’il y a une force historique qu’il n’est pas au pouvoir de l’homme d’endiguer. Brunetière l’a bien compris lorsqu’il disait que les Américains n’ayant pas d’histoire, sont en train de s’en fabriquer une; de là leur culte pour des héros français, de là l’admiration pour Marquette “the western man”! Une force encore pour les Acadiens, est celle des injustices dont ils sont les victimes. E ne porte pas d’accusations précises; pour le moment, j’affirme que les Acadiens accablés dans le passé sous le poids d’iniquités sans nom, s’insurgent en leur cœur contre les injustices actuelles. Des gens s’étonnent, qu’ils murmurent; ils oublient que la nature humaine n’a pas changé depuis des siècles et que les innocents se sont toujours réclamés des lois divines contre toute sorte d’oppression. Les Irlandais, en Irlande, ressentent encore les traitements dont ils furent victimes; personne ne saurait arracher du cœur des Polonais le sentiment des injustices qui les accablent. Dans l’univers, le sentiment public est avec les victimes contre les bourreaux. Quand l’opinion catholique connaîtra les épreuves passées des Acadiens, quand elle saura ce qui se passe maintenant, elle sursautera et ce jour là le faible recevra le réconfort qu’il sollite. PACIFIQUE.