Les Acadiens

Journal
Année
1903
Mois
4
Jour
9
Titre de l'article
Les Acadiens
Auteur
Le Pionnier
Page(s)
2
Type d'article
Langue
Contenu de l'article
Les Acadiens Qui ne connaît les Acadiens? Peuple brave et loyal, peuple de martyrs à cause même de sa trop grande loyauté! Cela peut paraître étrange; c'est la vérité historique, rien ne peut l'obscurcir. Dès 1713 et jusqu'en 1760 tout fut employé par les gouverneurs de Nouvelle-Ecosse contre ses malheureux mais paisibles habitants, dont l'unique tort était d'être catholiques et français. Puisqu'ils se montraient loyaux envers le roi d'Angleterre, on leur imposa le serment de Test, ce blasphème idiot niant la divinité de l'Eucharistie. Ils ne pouvaient prêter ce serment : et loyalement, mais énergiquement, ils refusèrent toujours de le prêter. Jusque sous le règne de la reine Anne, ils furent soumis aux vexations des plus atroces par suite de ce refus. Anne, cependant, prise de pitié, ordonna de les laisser jouir de la liberté accordée à tout sujet soumis aux lois britanniques et de ne plus exiger d'eux l'ignoble serment. On fit donc, vers 1713, une nouvelle rédaction de serment que les Acadiens ne pouvaient pas plus accepter : ils devaient, en effet, jurer qu'ils porteraient les armes contre leur mère patrie, la France! On l'a dit, dans des discours retentissants, dans des ouvrages soi-disant historiques, que le gouvernement de la métropole n'eut jamais connaissance de ce que firent les gouverneurs depuis Nicholson jusqu'à ce boucher galonné, Lawrence, l'auteur de la déportation en 1755. Quarante-sept années d'exactions, de vols légaux (?!), de terreur; une déportation que l'enfer seul pouvait rêver aussi barbare et qui dura près de six ans, tout cela pouvait être ignoré du gouvernement de Londres? —Dire semblable énormité partout ailleurs qu'au Canada, suffirait pour se faire passer pour imbécile, à tout le moins pour fou. Que la persécution dure encore en ce XXe siècle, qui oserait en douter? Mais, hélas! ce n'est plus de Londres ni du gouverneur qu'elle part!.... Le croiriez-vous? —Cette persécution, que nous osons qualifier de plus odieuse que la première, vient.. .il faudrait une plume de feu pour écrire ces horreurs. ..elle vient du gouvernement même du Canada; ... elle vient d'une partie de l'épiscopat d'Acadie! Quelle religion éclairée doivent posséder nos chers Acadiens pour ne pas se lever comme un seul homme contre tous les dénis de justice qui leur sont faits! Ils ont été trop longtemps abandonnés par nous, leurs frères, leurs compatriotes. Inutile de vouloir ergoter, scruter, chercher : nous, avons été coupables au plus haut point envers eux. Reconnaissons franchement notre faute—et essayons de la réparer. Il faut que tout journal vraiment canadien revendique, pour nos Chers Acadiens, les bénéfices auxquels leur chiffre de population leur donne droit : qu'il s'agisse de députés, de sénateurs, de juges, etc. Un peuple qui produit des hommes comme les hons. MM. Poirier sénateur; P. A. Landry, juge à la Cour Suprême du N. B., des prêtres distingués comme ils en ont jusque dans les chapitres des évêques, et tant d'autres dans le commerce, l'industrie, la navigation; ce peuple a droit à des égards— surtout quand la constitution les lui garantit. Si tous les journaux du Canada disaient à Sir Wilfrid : "Il faut aux Acadiens un sénateur acadien comme successeur de l'hon. M. Primrose", sir Wilfrid nommerait un sénateur acadien. Si tous les journaux du Canada disaient : "Les Acadiens forment un peuple qui a droit à ses prêtres, à ses évêques," les noms des prêtres éminents qui sont sur toutes les lèvres en Acadie seraient mis en avant par les évêques, en cas de vacances d'un siège épiscopal. Et le pape, qui veut pour les Italiens des Etats-Unis des prêtres italiens et prend même la peine de leur en envoyer, le Pape nommerait avec joie ces prêtres comme évêques pour nos bien-aimés Acadiens. Quand on se désintéresse de la justice, surtout envers les siens, on n'a plus soi-même droit à la moindre équité, ne l'oublions pas. — Le Pionnier.