Conventions nationales des Acadiens (Robidoux) - 1884 - p168-171

Année
1884
Titre de l'article
SERMON DU RÉVÉREND PÈRE ANDRÉ D. CORMIER
Auteur
Rév. P. A. D. Cormier
Page(s)
168-171
Type d'article
Langue
Contenu de l'article
Beatus populus cujus Dominus Deus ejus. Bienheureux le peuple qui a le Seigneur pour son Dieu. Mes bien chers frères, - En jetant un coup d’œil sur cette vaste assemblée réunie autour de cet autel érigé à l’ombre du clocher de cette église devenue trop petite pour contenir les représentants, venus de tous les coins du pays, d’un peuple relativement petit en nombre mais grand dans ses malheurs et par sa foi; en présence du clergé nombreux, vénérable et distingué qui se presse à votre fête en ce jour remarquable, il semble que je devrais me taire, et que la parole, à ce moment de la fête qui nous réunit ici, appartiendrait à une bouche plus autorisée que la mienne. Nul plus que moi ne ressent mon insuffisance devant cette assemblée de l’élite de la nation acadienne, et je ne me serais jamais rendu à l’invitation qui m’a été adressée ces jours derniers seulement, sans les vives et pour ainsi dire irrésistibles instances [insistances?] de plusieurs amis auxquels je dois reconnaissance et déférence. Pris à l’improviste, l’instruction que je suis appelé à vous donner se ressentira inévitablement du manque de préparation: laisse-moi, [laissez-moi?] seulement, donner libre cours aux sentiments dont mon cœur déborde en contemplant ce tabernacle, demeure de notre Dieu, en respirant cet air si fortement imprégné de patriotisme et de foi religieuse. C’est à l’ombre de la croix que le peuple acadien est né, qu’il a grandi et qu’il s’est développé, au milieu d’épreuves et d’infortunes dont l’histoire n’offre guère d’exemple; ce qui a fait sa force dans le passé et qui la fait dans le présent, la fera dans l’avenir; c’est par la croix qu’il parviendra à la grandeur et remplira la mission que Dieu lui a indubitablement réservée. Lorsque nos pères quittèrent notre ancienne mère-patrie, que la colonie acadienne se détacha de ce beau et grand pays, la France, pour établir la civilisation sur ce coin du nouveau monde, le plus grand trésor qu’ils apportèrent avec eux, - trésor qui devait être leur bouclier dans les luttes inégales, - fut la foi, une foi vive et ardente, qu’ils gardèrent profondément gravée dans leur cœur. Ce fut le flambeau qui les dirigea et les soutint à travers les déserts et les difficultés sans nombre qu’ils rencontrèrent sur leur route; ce fut l’arche qui les sauva du déluge de persécutions qu’ils eurent à endurer; ce fut la manne qui les nourrit et les fortifia dans les fléaux et les calamités sans parallèle qui ont marqué les pages les plus mémorables de l’histoire de ce pays. Leurs frères séparés comprirent le lien qui les rattachait à l’Église, et lorsqu’ils voulurent les bannir, les faire disparaître, pour s’emparer de leurs biens, ils eurent recours à la ruse en les appelant du haut du clocher paroissial. C’était, on le savait, le meilleur moyen de réunir ceux qu’on voulait perdre. Vous savez ce qui arriva. On procéda de suite à leur exil, séparant l’époux de l’épouse, l’enfant de la mère, on les embarqua sur divers bâtiments et on les dispersa aux quatre coins de l’Amérique. C’est alors que la foi vint à leur secours, releva leur courage. Ils se soumirent, comme autrefois le saint homme Job, en disant: que la volonté de Dieu soit faite, nous acceptons l’épreuve. Lorsqu’ils furent loin de leur clocher natal, privés des consolations spirituelles que leur avait jadis prodiguées leur grand conseiller, le missionnaire, c’est alors qu’ils comprirent toute l’étendue de leur malheur; ils prirent la résolution de revenir dans la patrie bien aimée. Ici encore c’est la foi qui ramena ces exilés sur nos plages. La grande gloire de nos aïeux et de leurs descendants, c’est d’avoir conservé intacte la foi qu’ils tenaient de leur mère, la fille aînée de l’Église. La foi fut l’étoile qui les guida à travers les écueils d’une existence pénible et malheureuse; la sauvegarde qui les arracha à la mort nationale à laquelle les avaient voués d’implacables ennemis. Où trouve-t-on les héros et les chefs-d’œuvres, sinon chez les nations attachées et fidèles à l’Église. Toute nation qui s’écarte de la voie et perd la foi finit par décliner. Voyons la France. Tant qu’elle reste fidèle à ses traditions religieuses, tant qu’elle conserve son glorieux titre de fille aînée de l’Église, elle est la maîtresse du monde. Elle s’écarte du droit sentier, elle donne asile à l’infidélité, aussitôt elle tombe, elle est livrée aux horreurs de la révolution, c’est une nation déchue. Voyez les Canadiens-Français, dignes fils aussi de la vieille France. S’ils forment un peuple si remarquable, c’est qu’ils sont restés fidèles à leur foi et à l’Église. C’est ce qui fait leur force et leur gloire. Imitons nos ancêtres et suivons les exemples qui nous sont donnés par ces nations. Soyons avant tout enfants dévoués de l’Église, respectons toujours ses dogmes, soyons fidèles à nos traditions religieuses. Qu’il m’est doux de voir cette fête de notre peuple, qui sera un grand événement dans son histoire, commencer sous les auspices de la sainte religion, par un acte de foi solennel et public! Qu’il est consolant de voir cette multitude prosternée au pied de cet autel, autour duquel se pressent nos prêtres, nos hommes publics, nos instituteurs, notre peuple; le sang de l’auguste victime sera pour nous une bénédiction qui portera des fruits de vie. Puissions-nous par le saint sacrifice, mériter et obtenir de conserver intacte et toujours vivace la foi de nos pères. En conservant la foi, nous conserverons également la langue française, dans laquelle nous avons appris à prier. Notre langue! précieux dépôt qui vient immédiatement après celui de la foi, qui en est comme la garantie. Ne l’oublions jamais, qu’elle occupe la première place. Parlons-la dans nos familles, parlons-la au foyer, parlons-la toujours entre nous. Toutes les nationalités se font une gloire de garder leur langue et leurs coutumes. Dans les affaires et dans nos rapports avec nos voisins, parlons, s’il le faut, une langue qui n’est pas la nôtre. C’est une nécessité à laquelle il faut savoir se soumettre. mais ailleurs, mais dans nos familles, mais dans nos réunions intimes, que la langue française soit la langue de nos entretiens, quand même nous la parlerions imparfaitement. Au congrès national de Montréal, un grand évêque, Mgr Laflèche, parlant de la nécessité de la conservation de la langue française, a dit qu’il aimait voir un Canadien parler mal l’Anglais. Pour un Français, la langue est un lien qui l’unit étroitement à la religion. Un grand moyen de conservation nationale et religieuse c’est d’observer avec toute la solennité possible la fête patronale des Acadiens - l’Assomption de la Très Sainte Vierge. Ne vous semble-t-il pas que Marie, qui est devenue notre patronne officielle, notre protectrice nationale, ait de tout temps veillé sur nous et présidé à nos destinées. C’est à elle que nous avons recours dans les occasions difficiles, c’est elle que nous invoquons dans le danger; c’est elle sans doute qui nous a protégés et dirigés à bon port à travers les écueils et les périls auxquels notre peuple a été si longtemps exposé. Redoublons d’amour et de filial attachement envers la reine du ciel, ayons confiance pleine et entière en notre puissante protectrice, mettons notre avenir entre ses mains, soyons fidèles à ses inspirations, et nous exécuterons sûrement les desseins de Dieu sur nous. Que chaque année, le 15 août vous trouve au pied de l’autel de Marie; vous vous y compterez, vous y compterez vos forces, vous y resserrerez les liens qui vous unissent les uns aux autres; votre patriotisme, votre foi religieuse s’y réchaufferont au foyer le plus pur de l’amour pour la religion et pour la patrie. La sainte Vierge est la grande protectrice des nations fidèles à Dieu. Elle a sauvé la France; elle a maintes fois détourné le bras vengeur de son divin Fils levé sur le pays de nos ancêtres. Maintenant que nous nous sommes spécialement consacrés à elle, mis sous sa toute puissante protection, elle s’intéressera plus particulièrement à nous; si nous savons nous montrer dignes de ses faveurs, elle obtiendra de son divin Fils que le peuple acadien grandisse et prospère, qu’il avance et progresse dans les choses matérielles comme dans la foi religieuse. Adressons-nous à elle avec confiance dans tous les périls. Marie a manifesté sa protection à travers tous les siècles. Qu’elle soit désormais notre étoile, puisse-t-elle briller à nos yeux d’un éclat toujours grandissant. Qu’elle soit l’étoile qui conduise notre faible barque à travers les récifs de la vie, qu’elle nous conduise, comme autrefois les bergers au berceau de l’éternité, au port du salut et nous y fasse jouir à jamais du bonheur céleste.