Correspondances: Notre fête nationale, etc.

Année
1881
Mois
9
Jour
15
Titre de l'article
Correspondances: Notre fête nationale, etc.
Auteur
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1
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Correspondances. NOTRE FETE NATIONALE, ETC. (Suite) En relisant l’autre jour l’histoire des Acadiens (« Une colonie féodale ») par M. Rameau, je suis arrivé à une période vers la fin du volume qui m’a suggéré une idée en rapport avec celles que je viens d’émettre. Voici le passage en question : « Nous avons laissé les Acadiens travaillant comme une ruche industrieuse au perfectionnement de leurs établissements, tandis que leurs familles patriarcales estimaient de toutes parts avec une activité persévérante, dans les cantons nouveaux où déjà surgissait la vue, la fécondité, l’ordre et le progrès. » Si notre grand ami M. Rameau, continue son histoire, si belle et si pleine de sympathie pour nous, il pourra dire des Acadiens d’aujourd’hui, et prédire des générations qui nous succèderont, si seulement il tient compte de notre détermination, de nos désirs et de nos espérances, ce qu’il a pu dire des Acadiens tels qu’ils existaient à la fin du XVIIe siècle et au commencement du siècle dernier. Maintenant l’idée : la voici tout simplement. C’est l’adoption de la ruche pour emblème! Pour ajouter au conte, je dirais que, comme nous faisons le sucre, nous autres aussi la feuille d’érable ne doit pas nous être étrangère; ceci soit dit en passant seulement. Tout ceci et tout cela ne nécessite pas cependant l’adoption de mes idées, lesquelles pourraient ne pas être fort emblématiques des idées des autres. Voici la dernière que je mettrai en fil avec celles que je viens d’aligner. Il me semble qu’à l’occasion de notre fête nos jeunes Acadiennes paraitraient bien (je ne veux pas dire qu’il en est jamais autrement,) en vêtements blancs, avec garniture bleue d’une teinte plus ou moins faible pour relief; et j’ajouterai que nous ne serions pas du tout fâchés que quelques personnes plus âgées, nous rappelant l’Antique costume de la Normandie. Ce n’est pas, soyons en bien convaincus, ni au costume, ni au drapeau, ni aux canons (pourvu toutefois qu’ils ne soient pas forgés de terre glaise), ni à aucune autre petite démonstration de joie convenable à l’occasion qu’aucun trouvera à redire. En ne nous égayant à nos réunions de fête que de la manière mentionnée ou suggérée dans le cours de mes remarques, nous ne ferons que nous émoustiller un peu à la petite bière, et personne n’aura rien à dire sur notre compte. Nous laisserons au moins encore pour quelque temps les vins mousseux et les batteries de mortiers chargés à la grosse bière (on la préfère quelquefois à l’autre!) tels qu’illumination, banquet national, chars allégoriques, etc., à ceux qui affrontent les vagues et voguent à pleines voiles sur la mer du progrès intellectuel et matériel et qui à point nommé peuvent compter sur cent bouches d’or pour chanter la gloire et les triomphes de leur patrie. C’est au discours que l’on pourrait être invité à faire dans les circonstances qu’il faudra faire particulièrement attention; c’est cela, bien plus que grondement du canon ou le flottement bruyant des drapeaux, qui tiendra les oreilles alertes. Nos bouches d’argent (nous en avons de plus précieuses, comme on le verra tout à l’heure) feront donc bien, en ces occasions, de ne pas tirer leur lardons trop loin, ni à brûle pourpoint, surtout si le sujet venait à tomber sur les persécutions et les différents genres d’épreuves que nous avons cru avoir rencontrées sur notre chemin. Ils n’oublieront pas non plus que nous ne sommes pas les seuls qui soient ou qui aient été éprouvés. Il est des cordes qu’il ne faut toucher qu’avec une extrême délicatesse pour ne pas déranger l’harmonie et produire un mauvais effet, comme il est aussi des souvenirs qui, évoqués pour un trop long moment et sous des couleurs trop fortes, pourraient être trop tristes et douloureux pour un jour de fête. Toutefois, il ne faudrait pas, en aucune de ces choses, donner dans l’extrême d’une crainte servile ou puérile. Nous sommes assurément sur un terrain assez libre pour donner quelque peu de latitude à nos idées. Je ne pense pas cependant que l’on ait en rien, au moins rien de grave, à nous reprocher jusqu’à présent au point de vue d’où je parle ici. Au contraire, on aurait peut-être sujet de nous donner des louanges et nous féliciter de notre modération et de notre bonne conduite. Les discours en français et en anglais de l’hon. M. Landry à l’ouverture de notre convention, ainsi que le sermon de circonstance prêché à cette occasion par le Rév. M. Richard, sont pour ne parler que de ces pièces-là, d’admirables modeles pour y calquer au moins en partie les sermons ou harangues qu’il pourrait être désirable de faire en circonstances analogues. Je pourrais rappeler ici avec le même éloge les discours faits à Québec l’année dernière par le Revd Père Bourgeois et l’honorable monsieur que je viens de nommer, ainsi que le coup d’épaule que nous a donné alors M. Pascal Poirier et l’éloquente harangue qu’il a faite devant la foule à la convention. Oui, nous avons au moins quelques touches d’or parmi nous, qui en rappellent d’autres et nous encouragent en même temps qu’elles nous font honneur. A propos de modèles, je pourrais dire ici que la belle et sympathique réunion que nous avons eue à Memramcook offre une excellent exemplaire pour nos rendez-vous de fête de chaque année ou de circonstances analogues à celles-là. Pas n’est besoin d’ajouter qu’elle reflète le plus grand honneur sur le digne et vénéré prêtre qui en fut l’âme et le soutien. Si tout se passait comme alors à l’occasion de réunions de ce genre ou de toute autre que nous puissions avoir, jamais personne ne pourrait trouver à redire cette conduite. Il n’en serait jamais autrement non plus, et nous aurions toujours un plein succès, si nous pouvions toujours trouver une colonne ou une base solide et inébranlable pour y étançonner nos entreprises, quelque rudes et difficiles qu’elles puissent être, et y asseoir l’organisation même de nos plus belles fêtes. Quoiqu’on puisse dire sur la manière de chômer notre fête nationale, il faut de toute nécessité que l’élément qui y domine sont celui de la religion et de la piété. La fête que nous avons choisie pour nôtre est éminemment religieuse et cela même convient mieux que bien l’autre, sinon toute autre, à un peuple dont l’esprit de foi et de religion fait sa principale gloire. Tous nous l’avons choisie—il ne serait pas bien loyal d’insinuer qu’elle nous a été imposée—non pas précisément parceque la Vierge Immaculée qui en est l’objet est la plus puissante protectrice que nous puissions avoir au ciel, ce qui est très vrai, ou encore parce que nous aurons envers elle plus de dévotion que nos co-religionnaires, ici ou ailleurs, ce qui serait contestable, mais bien parceque le peuple acadien n’a de dévotion spéciale et véritablement populaire en ce qui regarde les saints que pour la Reine de tous les Saints. Par conséquent, il convenait au souverain degré de l’acclamer comme sa patronne et de choisir celle qui a toujours été considérée comme la principale fête de cette Auguste Reine pour sa fête nationale. Les membres de la plupart des autres nationalités ont l’insigne privilège de pouvoir invoquer avec les autres saints du paradis des enfants de leur nation, des saints qui pendant qu’ils étaient sur la terre travaillaient de concert avec eux au bien spirituel et temporel de leur patrie. Inutile de dire que leur dévotion envers ces saints qu’ils vénèrent et qu’ils aiment en même temps comme leurs compatriotes, doit être bien grande et bien populaire. Ou bien encore, un grand nombre de ces différentes nationalités–il va sans dire qu’il ne peut être question ici que des peuples qui professent notre sainte religion–outre leur grande dévotion envers la Très Sainte Vierge, ont pu avoir acquis une dévotion spéciale envers quelque saint particulier,–quelque saint ou sainte dont ces peuples chérissent peut-être la mémoire à cause de grâces et de bienfaits plus ou moins grands, une protection plus ou moins frappante dont ils auraient été favorisés de leur part. Pour eux il est tout naturel–s’il convient d’employer l’expression–de choisir pour patron national quelqu’un au nombre de ces saints. Pour le peuple acadien, il n’y a vraiment que la Très Sainte Vierge qui soit de sa part l’objet d’une dévotion spéciale et que l’on pouvait appeler nationale. Il convenait donc éminemment de la choisir entre tous les saints comme patronne de ce peuple. Tout en chômant chez nous nous chaque année notre fête nous serons heureux d’aller de temps à autre, comme nous l’avons déjà fait, fêter la St Jean-Baptiste avec nos frères les Canadiens. Cela leur fera d’autant plus plaisir et affermira d’autant plus notre alliance et nos relations fraternelles avec eux que nous ne serons pas dans l’obligation de la chômer comme étant notre fête propre et que nous le ferons seulement par l’estime et la considération que nous avons pour eux. Ils seront eux-mêmes heureux de s’unir de temps à autre à nous à l’occasion de notre fête. Ils nous réjouiront le cœur par de bonnes paroles, comme ils l’ont fait à notre convention et nous leur serons d’autant plus reconnaissants pour leur concours et leur participation à notre fête, ainsi que, pour les bienveillants secours qu’ils nous prêteront en toutes circonstances, qu’ils ne feront que par une considération désintéressée et par amitié pour nous. L’adoption de la St. Jean Baptiste comme fête générale–nationale, si vous voulez–de tous les groupes d’origine française de l’Amérique du Nord ne peut préjudicier en rien à la solennisation de l’Assomption comme fête propre de la nationalité acadienne. S’il en était autrement, si l’adoption de la St Jean Baptiste considérée au point de vue que je viens de le faire nous avait interdit tout choix de fête spéciale, quelques-uns au moins des membres du comité d’organisation pour notre convention n’auraient pas permis, dussent-ils avoir eu besoin d’exercer une influence indue sur les autres pour avoir au moins une majorité apparente, que l’ont eût mis en tête de son programme comme formant une des bâses des délibérations de la convention : Du choix et de l’adoption d’une fête nationale pour les Acadiens des provinces maritimes voir le Moniteur du 19 juillet dernier. Il est probable aussi que chacun de ceux qui ont adopté la St Jean Baptiste comme fête générale des populations d’origine française en Amérique auraient su que les autres du même nombre la considéraient comme exclusive de toute autre à notre égard, si réellement tel eut été le cas. Mais il paraît qu’il n’y avait pas même d’entente loyale entre eux à ce sujet puisque les uns nous ont formellement déclaré à notre convention qu’ils ignoraient pour quelle fête les autres opinaient. L’essentiel, c’est de bien nous entendre en tout et partout pour ne pas nous trouver divisés, et de travailler en frères à l’avancement de nos intérêts communs. Le jour de la St Jean-Baptiste, en quelque année qu’on la fêtera d’une manière extraordinaire, et en quelque lieu où de nombreuses délégations de toutes les parties du Canada et des Etats-Unis se donneront rendez-vous, nous irons nous promener en Canada, nous ne pouvons à peine nous faire à l’idée que nous y sommes en étant chez nous, et nous nous dirons avec les amis sincères que nous y rencontrerons tous Canadiens-Français. Nous écouterons avec le plus grand plaisir parler ce jour-là les vieux Canadiens-Français. Ils parleront de ce dont ils sont légitimement fiers–de leurs grands hommes du passé, de leur prospérité nationale, de leurs lois, leurs institutions, leur enviable système d’éducation, en un mot de tout ce qui fait l’honneur et la gloire de leur nationalité. Comme notre histoire en autant que Canadiens-Français n’est pas bien longue, nous pourrons, après les avoir félicités cordialement de leurs grands œuvres et de leurs succès, leur faire un peu d’histoire acadienne qu’ils seront sans doute toujours contents d’écouter, et en leur serrant de nouveau la main, nous leur dirons l’adieu au revoir. Ce que nous aurons vu et entendu fera sans doute notre entretien pendant quelque temps, mais ne nous empêchera pas de remporter notre bannière, car nous en aurons besoin quelques jours plus tard. Le jour de la grande fête de notre patronne nous nous glorifierons d’être Acadiens, et nous nous encouragerons les uns les autres à avancer dans la voie du progrès, que nous nous sommes déjà tracé. Nous serons fiers ce jour-là d’être Acadiens parceque nous pourrons dire dans le langage et la langue de M. Rameau que les Acadiens sont demeurés catholiques et français avec un sentiment patriotique que la vieille France no montre pas toujours. Ce jour-là, nous serons fiers de nous dire Acadiens parceque « dans les paroisses éparses, disloquées, entourées d’étrangers » à leur nationalité que nous habitons « on parle toujours le vieux français, » et que nous pourrons montrer que « les Acadiens sont restés eux-mêmes avec une ténacité, une énergie, une fidélité sans pareille. » Nous serons glorieux plus que jamais ce jour-là de porter le nom d’Acadiens parceque « les Acadiens ne s’effraient point de la malveillance trop fréquente de quelques uns de leurs voisins, mais ils se multiplient avec une rapidité inouïe, ils s’étendent, ils grandissent, et ils le savent. » Enfin, nous nous ferons une gloire et un bonheur à la fête de l’Assomption de la Très Sainte Vierge, de penser que nous sommes et que nous resterons Acadiens parceque les Acadiens sont « religieux par une conviction froide et résolue, patriotes ardents quoique sans bavardage…….. et savent supporter sans broncher les privations et les déboires » dont est semé leur chemin. Le 1er juillet, nous nous réjouirons avec nos concitoyens de toutes les nationalités et nous oublierons que nous sommes Acadiens ou Canadiens-Français pour nous dire avec eux tous Canadiens. Nous parlerons ce jour-là en anglais et en français, de ce que nous pouvons faire et de ce que nous avons déjà fait pour la gloire et la prospérité de notre commune patrie, le Canada. S. J. DOUCET, Ptre