Interpellation au Ministère

Journal
Année
1895
Mois
7
Jour
4
Titre de l'article
Interpellation au Ministère
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3
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INTERPELLATION AU MINISTÈRE. Séance du 10 Juin 1895. M. Poirier demande s’il est intervenu entre les autorités impériales et le gouvernement de la Nouvelle-Ecosse ou le gouvernement fédéral, quelque convention par laquelle les terres de l’artillerie dans la Nouvelle-Ecosse et au Cap-Breton, auraient été transférées à l’un ou l’autre de ces gouvernements. S’il en est ainsi, quand la convention a-t-elle eu lieu et à quelles conditions? Quelles terres de l’artillerie sont-elles maintenant en possession du gouvernement fédéral dans la Nouvelle-Ecosse et au Cap-Breton? Le gouvernement fédéral a-t-il la possession de toutes les terres de l’artillerrie situées dans la Nouvelle-Ecosse et au Cap-Breton, auxquelles il aurait droit en vertu de la dite convention? Le gouvernement fédéral n’a-t-il pas droit à la possession du site et des anciennes fortifications de Louisbourg? HONORABLE M. POIRIER.—J’ai vainement essayer d’éclaircir ce point. C’est pour cela que je m’adresse au gouvernement. Il n’y a apparemment rien aux ministères de la Milice et du Revenu de l’Intérieur qui puisse jeter quelques jours sur la question. D’un autre côté on m’apprend que la correspondance échangée à ce sujet entre le gouvernement impérial et les provinces du Canada avant et depuis la confédération—disons de 1862 à 1872—doit se trouver aux archives du Conseil Privé, auxquelles je n’ai pas eu accès. Je voudrais bien savoir comment il se fait que la formidable forteresse de Louisbourg dont la construction coûte jadis à la France de 25,000,000, à 30,000,000 de livres, et dont la prise et la démolition coûta presque autant à l’Angleterre, ne fasse pas partie, aujourd’hui, des terres de la Milice, et n’appartienne pas soit à la Nouvelle-Ecosse soit à la Puissance du Canada. S’il faut en croire les journaux, ce sont des particuliers qui ont cédé à nos amis de Boston le site, le terrain sur lequel ils ont élevé leur monument, et ce site est un des bastions de l’ancienne forteresse. Or, si je comprend bien la question, quand il fut décidé que les troupes impériales seraient retirées du Canada, certains arrangements furent consentis entre les parties intéressées. Les autorités impériales cédèrent d’avoir les terres de la Milice et autres propriétés publiques relevant d’elles, au gouvernement de la Nouvelle-Ecosse. A l’époque de la confédération ces terres, spécifiées au cédule de certains Acts du Parlement, devaient être remises au gouvernement de la Puissance. Le site de Louisbourg n’est pas nommément mentionné dans les actes ni les cédules en question; mais, selon moi, cela n’empêche pas que nous avons droit d’entrer en possession de toutes les terres militaires possédées à la date de la confédération par la Nouvelle-Ecosse, quelles soient ou non nommément spécifiées. Si cela est, alors je demande que nous en prenions possession au plus tôt. Il n’est pas du tous vraisemblable que les autorités impériales aient eu l’intention de laisser un terrain rappelant des épisodes historiques si considérables, devenir la propriété d’un premier occupant quelconque, lequel, après un certain nombre d’années pouvait se prévaloir d’un droit de prescription (en supposant que la prescription pût s’établir contre le gouvernement, ce qui est douteux) qui lui permit de vendre ce terrain à des étrangers, voire à des citoyens canadiens. Je ne le crois pas. D’après les divers arrangements consentis, la province de la Nouvelle-Ecosse eut les premiers droits à ces terrains; puis ce fut au tour du gouvernement de la Puissance. Je dois admettre n’avoir pas en main les pièces nécessaires pour prouver cette assertion; mais je l’infère des documents qu’ils m’a été permis de consulter, et des Actes du parlement qui ont été passés. Tel étant le cas, le gouvernement fédéral devrait, sans délai, établir ses droits à la propriété du vieux site de Louisbourg, lequel, dans la distribution des terres de l’artillerie, devrait être rangé dans la classe A, où se trouve le vieux site d’Annapolis. Cela aurait du être fait auparavant : mais mieux vaut tard que jamais. Il est de notre devoir de conserver religieusement ces reliques historiques. Ce sont des monuments du passé, qui rappellent, sans amertume, les épopées militaires de l’Angleterre et de la France; qui nous font voir comment l’Angleterre est devenue la maîtresse de ces magnifiques territoires qui s’appellent aujourd’hui la Puissance du Canada, Louisbourg est un lieu consacré dont la propriété et le titre devaient appartenir au gouvernement fédéral. Intrinsèquement cet endroit à une valeur considérable. Louisbourg et Québec sont peut-être les plus importantes, de toutes les anciennes forteresses de l’Amérique. Si le gouvernement en avait eu la propriété nous n’aurions pas été témoins de la manifestation d’avant hier. Je n'élève pas la voix pour récriminer contre ce qui a été fait. Je désire simplement exprimer mes regrets respectueux de ce que la flotte anglaise était représentée là; et que notre Gouverneur Général s’y soit fait remplacer par un délégué qui a fait à sa place le dévoilement du monument. J'apprends même qu’il a envoyé à ces messieurs des lettres de regret pour excuser son absence. C’était son droit d’en user ainsi, je ne le conteste pas; mais je regrette qu’il en ait usé ainsi. Mes honorables collègues me laisseront attirer leur attention sur un mal entendu qui existe dans le public à propos de cette question de Louisbourg. Je m’aperçois que les journaux mêmes partagent cette erreur. On s’imagine généralement que la prise de Louisbourg, commémorée avant-hier, est la prise de cette même ville par Wolfe et Amherst, en 1758. C’est là une erreur. C’est le triomphe de Pepperelle qu’on a célébré; et ce triomphe a été en quelque sorte répudié par l’Angleterre, neuf ans plus tard, en 1754, quand Louisbourg et le Cap-Breton furent rendus à la France pour le traité de Six-la-Chapelle. Le résultat immédiat de la prise de Louisbourg, en 1758, fut la reddition de Québec, l’année suivante, et la cession à l’Angleterre de la moitié d’un continent, faisant encore aujourd’hui partie de son empire sous le nom de Puissance du Canada—Résultat glorieux pour l'Angleterre et durable. Les conséquences de la prise de Louisbourg par Pepperelle et ses “iconoclastes puritaires” comme les appelle M. Bourinot dans son Cape Breton and its Memorial, furent la destruction immédiate des paisibles établissements acadiens du Cap-Breton et de l’Ile-du-Prince-Edouard; puis, dix ans plus tard, l’expulsion violente de tout le peuple acadien. Atroce et sanglante exécution dont l’Angleterre aujourd’hui porte l’odieux devant l'histoire, mais dont les auteurs responsables sont les ancêtres de ces messieurs qui sont venus chez nous, lundi dernier, élever un monument à leurs guerriers victorieux. Ce mal entendu est regrettable. J’imagine que si la véritable portée historique de cette fête avait été bien comprise, les autorités impériales n’y auraient pas participé, et que notre gouverneur général n’y aurait pas pris part. Sans doute la chose est faite maintenant. Mais n’oubliez pas, honorables messieurs, qu’un pied à terre sur notre sol a été donné là à des gens dont l’amitié pour nous et pour l’Angleterre n’est pas forte. Ils sont venus et ont joué le premier acte. Ils vont vraisemblablement revenir. Leur seconde célébration sera ce qui fut le résultat do la prise de Louisbourg en 1745, l’expatriation à main armée des Acadiens, en 1755, le sujet du poème immortel de Longfellow. Nul doute qu’ils trouveront encore parmi nous des âmes sympathisant avec aux, et que notre Gouvernor Général, en personne, ou par ses délégué, y sera représenté, “si césar prend la peine de lui faire signe d’y aller.” HONORABLE M. ALMON—Pas du tout. HONORABLE M. POIRIER—Quand nos amis Américains viendront à la Nouvelle-Ecosse pour la troisième fois, comme ils y ont maintenant un pied à terre, ils s’arrangeront pour y rester. Tout ceci, honorables messieurs, est regrettable. On a affirmé que l’idée de ce monument n’était pas de célébrer uniquement les gloires américaines, mais d’exalter en même temps les soldats anglais et aussi les soldats français. Voyons l’inscription que porte ce monument—“Pour commémorer la prise de Louisbourg en 1745.” “Erigé par la société des guerres coloniales à nos mortes héroïques.” Remarquez bien que ce granit est à la gloire des mortes héroïques de la Nouvelle-Angleterre. Vous voyez le nom du Commodore Warren, et la mention des mortes héroïques français? Ma lettre portant la signature de l’honorable Everett P. Wheeler, et parue dans plusieurs journaux, née qu’il s’agisse d’une démonstration américaine, et affirme, au contraire, que le monument est tout autant à la gloire des Anglais et des Français que des Américains. Les inscriptions que nous venons de lire répondent à cette prétention. Les Loyalistes Canadiens de l’Empire-Uni, ont, il y a de cela quelque temps, attiré l’attention des messieurs de la Nouvelle-Angleterre sur l’inconvenance de cette inscription, et ont en même temps suggéré l’idée que le monument portât une inscription commémorant la bravoure des soldats anglais et français. M. de Levy McDonald propose que l’on gravât sur l’une des faces du monument les notes suivantes : “A la mémoire des vaillants vainqueurs, et des héroïques défenseurs de Louisbourg, en 1745.” Et le président de l’Association des Loyalistes Canadiens M. le vicomte de Fronsac, leur écrivit de Montréal, en date du 8 juin dernier, une lettre dans le même sens. Il ne fut fait aucune attention à l’une ni à l’autre communication. Et aujourd’hui vous ne découvrirez aucune mention des soldats de la France, ni de ceux de la vieille Angleterre, sur la monument de Louisbourg. Il a été élévé à la mémoire “de nos morts héroïques,” c. a. d. aux morts de la Nouvelle-Angleterre, aux “sconoclastes” de Pepperell. Il ressort de tout ceci que, si cette commémoration n’a pas été faite dans un esprit absolument hostile, elle n’a pas été faite, en tous cas, dans un esprit de bienveillance, ni même de déférence suffisant, pour justifier le concours que nous y avons vu avant hier. Ce que j’en dis n’est pas inspiré par un esprit de reconnisation. Je mentionne ces faits tout simplement pour montrer au gouvernement l’importance qu’il y a pour nous d’entrer en possession de ces sites historiques, si, comme j’en ai la conviction, nous en avons le droit.” L’honorable sénateur Almon, de Halifax, après avoir félicité le sénateur Poirier, parla longuement dans le même sens, et recommanda a la sollicitude du gouvernement tous les vieux forts at tous les endroits historiques de la Nouvelle-Ecosse. Il insista surtout sut la nécessité de préserver Annapolis d’une destruction totale; et déplora le fait que le ministre de la milice et de la défense, sous le précédent gouvernement, avait laissé les gens enlever tous les vieux canons du fort de Beausejour (Cumberland) pour en faire des poêles et des batteries de cuisine. L’honorable sénateur Kaulbock fit l’historique des terres de la milice (ordonnance lands) de Lunenburg, sa ville natale. L’honorable Sénateur Scott, leader de l’opposition au sénat, fut le seul qui élevât la voix à la défense du monument de Louisbourg et des organisateurs de la grande démonstration. D’autres sénateurs, les honorables Messieurs Power de Halifax et McDonald du Cap-Breton prennent aussi la parole. Dans sa réponse, Sir Mackenzie Bowell, premier ministre, déclara. 1o Que la correspondance échangée entre le gouvernement impérial et le gouvernement canadien, touchant les terres de la milice situées à la Nouvelle-Ecosse, se résumait dans l’arrêté du conseil du 18 août 1882, par lequel la possession de certaines fortifications et de certains terrains situés dans les provinces de la Nouvelle-Ecosse et du l'Ile du Prince-Edouard était donnée au Gouverneur General du Canada. 2o Que les propriétés militaires, cédées au ministre de la milice et de la Défense par les Autorités impériales en 1883, en vertu de l’arrêté du Conseil du 18 août 1882, étaient pour la Nouvelle-Ecosse— NOM DE LA PROPRIÉTÉ. SUPERFICIE. Arp. B. P. Chester- Reserve Militaire 3 - - Lunenburg- Jesson’s Point 2 - - do Blockhouse Hill 1 - - Liverpool- Battery Point - - 8 ½ do do - 2 6 2/4 Shelburne- Hart’s Point 636 - - do Burnt Head 120 - - do Carleton Point 163 - - do Barrack House 200 - - do Harbour, Navy and Com- missary Islands 27 3 - do Sandy Head 112 - - Yarmouth-Cape Forchu 8 3 25 Digby- Blockhouse Lot 1 - - do Site of Queen’s Battery - - 25 do Raquette Point 13 - - do Prince Regent’s Battery 1 - - do or Annapolis Gut; Duke of York’s Battery and land ad- jacent - - - Annapolis- Engineer and water lots - - 30 do Fort Anne 31 1 3 do Digby Cut Reserve 150 - - Guysboro- Fort Point 3 2 - do Fort 7 3 - do do 11 3 - Sydney, C. B – 8 lots 33 - - do Chapel Point let 4 1 20 do Flagstaff Point, b’ock- house, lot, garden, &c. 2 1 7 do Point Edward 10 - - Shelburne- Stokes Head 241 - - do McNutt’s Island 11 2 - do do 23 - - Pictou- Site of Battery - 2 4 Il faut y ajouter Battery Point, dans le comté de Shelburne, et aussi les réserves navales, consistant dans les iles 1, 2, 3, 4 et 5, et l’ile des Commissaires, situées dans le havre de Shelburne, transférés du ministère de la Milice au ministère de l’intérieur le 4 novembre 1876. 3o Il semblerait que le gouvernement fédéral fut en possession de toutes les terres de la milice, au Cap-Breton et a la Nouvelle-Ecosse, qui ont été cédées par les autorités impériales. 4o Le site des vieilles fortifications de Louisbourg n’est pas inclus dans la liste des terrains concédés, et énumérés dans l’arrêté du conseil ci-haut mentionné.