Reminiscences Baix Saint Pierre, I. P. Edouard

Année
1881
Mois
12
Jour
22
Titre de l'article
Reminiscences Baix Saint Pierre, I. P. Edouard
Auteur
Louis Bourque, A. J. Trudelle
Page(s)
1
Type d'article
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Contenu de l'article
REMINISCENCES BAIX SAINT PIERRE, I. P. EDOUARD 9 Décembre 1881. M. le Rédacteur, Un ami des Acadiens me charge de vous passer le Mémoir qui suit, avec prière d’insertion et place d’honneur dans un prochain Moniteur. Ce sont quelques souvenirs historiques d’un octogénaire, écrits d’une main un peu tremblante, mais assez facile pour son âge, coulante même, simple, honnête et aimable on ne peut plus. Je transcris mot à mot et lettre à lettre de souvenirs du vulnérable vieillard de Clare; et je suis sûr que les lecteurs du Moniteur ne liront pas sans un vif intérêt ces quelques lignes, si attrayantes et si pleines de charme d’un de nos bons vieux, formé à la vieille école du bon sens, de la vérité et de la vertu. J’ai l’honneur d’être, monsieur, Tout dévoué, A. J. TRUDELLE, Ptre. SAINTE MARIE, CLARE, le 24 octobre 1881. MONSIEUR : –J’ai l’honneur de produire, selon le désir que vous m’avez exprimé, un « Souvenir » de ce qui a eu lieu, à ma connaissance, et aussi puisé par communication, concernant les Acadiens qui se sont réfugiés à Clare, Baie Ste Marie, et au Cap Sable, comtés de Digby et de Yarmouth, après le dérangement si cruel des anciens Acadiens. Je suis né dans la paroisse de Ste. Anne, comté de Yarmouth, le 31 octobre 1800, étant le quatrième de la famille de Joseph Bourque et de Véronique Arsenault, de la descendance authentique de l’Acadie. À l’âge de trois ans je fus placé sous les soins de l’abbé Sigogne, jusqu’à l’âge de seize ans, ce qui fut un grand avantage, dès ma jeunesse, et me fournit aisément l’occasion de faire pleine connaissance avec plusieurs anciens réfugiés dans Clare et au Cap Sable.–D’abord le récit vérifié de ces émigrés, Pabomcon, dans le comté de Yarmouth aurait été premièrement établi avant l’an 1737 par des Acadiens du nom de d’Entremont et Latour, originaires de Port Royal. Dans l’année du désastre ils furent transportés au Massachussetts où ils rejoignirent leurs compagnons exilés de l’Acadie, l’an 1755. Après plusieurs années de misère et de chagrin, une partie seulement de ces pauvres infortunés revinrent chercher un asile dans Clare et au Cap Sable en l’an 1766. Les d’Entremonts alliés avec les Latour, ayant retourné une seconde fois à Pabomcon, y furent rejoints par les familles des Amirentes et de Duon et neuf autres familles, savoir : Pottier, Babin, Bourque, Surette, Doucet, Boudreau, Frontin, Corporon et Mius, qui s’établirent dans les paroisses de Ste. Anne à St. Michel, à 20 milles de Pabomcon. Les anciens émigrés qui s’établirent dans Clare, entre 1766 et 1770 furent Poney Gaudet, Jean Belliveau, Jean Janot Melançon, Prudent Robichaud, Pierre Ambroise Melançon, Claude et René Saulnier, Salomon Maillet, Paul Dugast, Amand Lanoue, Amable Doucet, Justinien Comeau, Hilarion Thériau, François Comeau, Joseph Deveau, Joseph Boudreau, Ives Thibault, Charles Leblanc surnommé Joppé, Pierre Doucet surnommé Pitre, et Pierre Leblanc. Il se trouve maintenant de ces familles parvenues à la sixième génération. Le susdit Pierre Leblanc vint à cette époque avec une famille de neuf enfants. Nous avons en connaissance de madame Belliveau qui était de cette famille, née à Grand Pré, l’an 1755, et décédée à Clare en 1854, âgée de 99 ans. Elle nous a souvent raconté l’histoire déplorable, la misère et les souffrances de ces réfugiés dans Clare, la faim, la soif et l’état douloureux qu’ils eurent à subir en traversant les bois pour revenir se rétablir et planter leurs demeures dans ces places inhabitées. L’imagination seule peut en concevoir le tableau. Les Acadiens réfugiés à Clare et au Cap Sable se sont multipliés d’une manière inouïe, et sont maintenant parvenus à un grand nombre de familles. Nous avons aussi visité Joseph Dugast le premier né dans Clare au mois d’octobre 1766, vingt jours après l’arrivée de ses parents, et décédé l’an 1858, âgé de 92 ans. A l’arrivée de ces réfugiés dénués de tout, le premier devoir était de bâtir de petites maisons, pièce sur pièce, (log houses) près de la mer, pour se mettre à l’abri du temps, et ensuite de défricher la terre pour la faire produire. La pêche à la morue et la chasse étaient aussi un moyen effectif pour se procurer de la nourriture dans ces établissements nouveaux. Après quelques années de culture, la cueillette de patates montait jusqu’à mille boisseaux, en diverses familles; et chaque habitant moissonnait de l’orge pour nourrir sa famille. On avait construit un moulin pour moudre le grain, et aussi des moulins à planches. L’occupation des femmes et filles était de travailler la laine et le lin, faire l’étoffe et le linge pour l’habillement de leurs familles, et aussi de travailler à la culture en cas de nécessité. Ces anciens Acadiens, sans éducation, avaient entièrement le langage français; mais on le parlait d’une manière bien imparfaite, et il y avait beaucoup de patois, comme il en est maintenant. La langue anglaise leur était peu intéressante après la triste expérience qu’ils avaient des férocités et barbaries de l’Angleterre. Leur manière de vivre était simple, honnête et sincère. Les marchés faits de bouche entre eux étaient suivis par une obligation absolue. Les instructions édifiantes qu’ils avaient reçues des prêtres missionnaires pour leur bien spirituel, étaient fixées et confirmées dans leur mémoire. Les révérends messires Ledru, Bourque, acadien, et Degrace, (Father Grace,) Irlandais étaient les seuls prêtres passant dans Clare et au Cap Sable avant l’abbé Sigogne. Il y avait aussi une obligation spéciale à remplir pour chaque chef de famille. Il devait pourvoir avant sa mort à ce qu’une certaine somme d’argent fût réservée pour le repos de son âme après sa mort. Cette ancienne coutume parmi les Acadiens est encore pratiquée de nos jours : dix messes de Requiem sont ordinairement chantées pour un défunt. L’ABBÉ SIGOGNE. Le vénérable abbé Sigogne, décédé à Clare N. E. le 9 novembre 1844, fils de R. Sigogne, maire de Lyon, France, naquit à Tours. Après plusieurs années de prêtrise au temps de la révolution en France, il fut conduit à la guillotine pour avoir refusé de prendre le serment qu’on exigeait alors des prêtres. L’abbé Sigogne s’étant échappé miraculeusement du bourreau, prêt à lui donner le coup fatal, s’enfuit à Londres, où il fut reçu avec grande cordialité; mais se trouvant sans moyen d’exercer son ministère il enseigna pendant deux ans, la langue française parmi ses amis, et put aussi, lui-même, étudier avec avantage la langue anglaise qu’il savait grammaticalement. Les réfugiés parvenus alors à une population considérable, dans la grande nécessité d’avoir un pasteur résident parmi eux, s’adressèrent à M. Jones, prêtre d’Halifax, afin d’obtenir un prêtre de leur langue. M. Jones après avoir fait une réquisition à Londres, eut le bon succès de trouver l’abbé Sigogne. Ce bon pasteur, à son arrivée dans un pays nouvellement établi, dût trouver la tâche dur et pénible. Il fut immédiatement chargé de sept paroisses étendues à une distance de près de 80 milles, où les chemins n’étaient pas encore passables. Il fallait alors prendre la route du rivage de la mer, qui était très difficile pour les chevaux. Dans la traverse des rivières et des ruisseaux dégorgeant la mer, il fallait attendre quelquefois le reflux de la mer, pour traverser ces obstacles qui existaient dans ces temps durs pour les voyageurs. Lorsque la saison le permettait, l’abbé Sigogne était conduit en bateau ouvert de Ste. Marie à Ste. Anne, une distance de 50 milles. L’épreuve que j’ai eue moi-même de cette navigation est gravée pour toujours dans mon souvenir. Il n’y avait alors que deux anciennes églises; une à Ste. Marie (Church Point); l’autre au Cap Sable, Ste. Anne, où j’ai servi la messe bien des fois dans ma jeunesse : et ces églises ont été en usage jusqu’au temps que d’autres furent construites sous la direction de l’ancien pasteur. Il y a maintenant au Cap Sable 6 églises, 1 chapelle, 2 couvents des Sœurs de la Charité, et à la Baie Ste. Marie, Clare, 7 églises et 2 couvents des mêmes sœurs. Les talents du vénérable abbé Sigogne étaient distingués au plus haut degré par sa science, sa piété et l’exécution de son saint ministère. Il était lui-même l’avocat dans les difficultés qui surgissent; il donnait des avis comme prêtre, et il était le juge de tous ses paroissiens. Il écrivait aussi de sa main, les contrats, les testaments et autres documents nécessaires; et cela gratuitement. Il défendait strictement que les procès ne fussent aux yeux des protestants, et il était interdit de dépenser son argent mal à propos pour des avocats ou les frais de la Cour Suprême. Ce bon pasteur agissait avec la plus grande exactitude dans tous ses travaux, et il ne passait pas un moment sans être dans une occupation sérieuse. Il prenait son sommeil de nuit à 9 heures précises; à son réveil, il se mettait à lire sa Bible de 12 volumes, imprimée en gros caractères en latin et en français, et il n’arrêtait que lorsque le temps était venu de retourner au lit. L’abbé Sigogne avait étudié la langue Micmac qu’il parlait facilement; il s’était procuré une grammaire française et micmac, écrite à la main par un nommé Joseph Gueguin, résidant à Memramcook; homme bien instruit qui avait appris cette langue parmi les sauvages. Conséquemment les Micmacs qui s’étaient aussi réfugiés dans ces places où il y avait des Acadiens, étant un peu nombreux, s’assemblaient annuellement, à la fête de Noël et à la Ste. Anne pour remplir leurs devoirs de chrétiens; ils chantaient la messe et les vêpres dans leur langue; et ils recevaient des instructions, aussi dans la même langue, de leurs pasteurs qu’ils regardaient avec la plus grande vénération. Je remarquerai aussi que l’abbé Sigogne eût la charge continuelle de différentes paroisses dans Clare, et bien des années au Cap Sable, sans assistant, jusqu’à l’arrivée de M. Ansart, prêtre français, en 1837. Ce prêtre fût placé à St. Martin et St. Vincent, où plusieurs prêtres ont résidé depuis. Les diverses autres paroisses, Ste. Marie, St. Bernard et Corbery ont toujours été desservies par l’abbé Sigogne jusqu’au temps où il fut frappé d’une attaque d’apoplexie. Je suis prié d’ajouter à ce rapport, que le sieur Basile A. Robichaud, âgé de 75 ans, maître de chœur dans l’église St. Martin, paroisse du Rév. M. Daly, a été maître chantre pendant 56 ans, et que, en toute probabilité, il le sera encore longtemps. Veuillez agréer &c., (Signé) LOUIS BOURQUE, Elève et exécuteur de feu l’abbé Sigogne.