Le système d'enseignement dans nos écoles et les besoins des élèves Acadiens-français

Année
1900
Mois
12
Jour
6
Titre de l'article
Le système d'enseignement dans nos écoles et les besoins des élèves Acadiens-français
Auteur
P. P. Morais
Page(s)
3
Type d'article
Langue
Contenu de l'article
Le système d’enseignment dans nos écoles, Et les besoins des élèves Acadiens-français CONFÉRENCE DONNÉE PAR M. P. P. MORAIS, INSTITUTEUR, A L’INSTITUT TENU A BATHURST, LE 12 OCT. 1900. Mons, le Président, Mesdames et Messieurs. Le sujet que je vais m’efforcer de traiter est d’une si grande importance pour nous, français, qu’il eût été désirable que la tâche de le discuter fût tombée dans des mains plus habiles. Cependant, ayant beaucoup à cœur l’avancement de nos élèves Acadiens, je n’ai pû résister au désir d’en dire quelques mots, sachant bien que dans votre indulgence vous sauriez me pardonner mes fautes et omissions. Je demande donc votre attention sur les quelques idées que je vais m’efforcer de développer. Tel qu’après l'orage, le ciel redevient calme et serein, de même, après que ce travail aura été discuté, j’espère que tout sera clair et compris; car du choc des idées jaillit la lumière. Il me semble que nous, instituteurs français, avons à combattre un grand désavantage que nos confrères anglais n’ont pas à envisager. Le maître français doit enseigner deux langues à la fois tandis que l’instituteur anglais peut donner toute son attention à une seule. Nous ne nous en plaignons pas, cependant; car de nos jours la connaissance de l’anglais se fait grandement sentir au Canada. La langue anglaise étant la langue du commerce, et celle qui est la plus en usage en ce pays, il importe que le jeune homme ou la jeune fille possède cette langue, quelque soit la carrière où ses goûts et ses aptitudes l’appellent. L’élève qui, à sa sortie de l’école possèdera la connaissance du français et de l’anglais sera ainsi doublement armé pour le combat de l’avenir, et aura beaucoup plus de chances de réussir que s’il n’en possèdait qu’une. Cependant, si l’on admet parité d’intelligence entre deux élèves, l’un français et l’autre anglais, et l’obligation pour le français d’apprendre les deux langues; l’élève français est obligé de diviser ses forces intellectuelles et faire dans une ou l’autre langue des progrès la moitié moins rapides que s’il n’avait que le français à étudier. Donc, au temps où l’anglais possèdera sa langue, le français en saura deux imparfaitement ou pas suffisamment pour s’en servir avec avantage. L’élève français ne puisera dans nos écoles un instruction avantageuse qu’en autant qu’il pourra apprendre sa langue maternelle aussi bien que l’anglais la sienne. Jusqu’ici, ou du moins dans beaucoup de localités on était de l’opinion que l’élève français était supposé d’apprendre le français et l’anglais simultanément dès son début à l’école. Selon moi, ceci est une manière de procéder qui ne peut produire que des résultats inférieurs; car, comment peut-on supposer qu’un enfant de cinq ou six ans puisse apprendre une langue étrangère lorsqu’il ne connaît même pas les premiers éléments de la sienne? La jeune intelligence de cet enfant ne va t-elle pas se heurter contre les embarras sans nombres, propres à la jeter dans un profond découragement dont les conséquences lui seront fatales? Cette dualité de langage dès le début ne présente t-elle pas des difficulltés trop compliquées et au-délà de la portée du néophite dont la raison est à peine en voie de formation? Ce jeune élève qui vient de quitter le foyer paternel, cet asile béni où il a puisé les premières lumières intellectuelles, se trouve en un instant placé dans un milieu bien différent de celui qu’il vient de laisser, où il lui faut apprendre une langue jusqu’alors inconnue pour lui. Il se trouve désorienté. Or, ne pensez vous pas qu’il serait infiniment plus profitable pour l’élève si nous prenions en considération les nombreuses connaissances qu’il possède déjà en arrivant à l’école, pour les exploiter d’une manière naturelle, rationnelle? Cet enfant doit trouyer à l’école la continuation de ce qu’il a appris à la maison. Agir autrement le décourage et lui fait perdre un temps précieux. C’est inutile pour moi de dire que l’élève doit raisonner sa leçon afin de la bien comprendre et d’en retirer quelque profit; car, connaître et exprimer résument l’éducation intellectuelle. Et comment peut-on espérer qu’il comprenne et raisonne cette leçon si elle lui est présentée dans une langue qu’il ne comprend pas? A cet âge, il est déjà assez difficile pour lui de s’exprimer dans sa propre langue sans lui créer de nouveaux embarras en le forçant de causer dans un langage qui n’est pas le sien et qui ne dit rien à son intelligence. (LA SUITE AU PROCHAIN NUMÉRO)