La Nationalité Acadienne et son Drapeau.

Année
1889
Mois
12
Jour
12
Titre de l'article
La Nationalité Acadienne et son Drapeau.
Auteur
Lucius
Page(s)
2
Type d'article
Langue
Contenu de l'article
La Nationalité Acadienne et son Drapeau. V Le pitoyable plaidoyer en faveur du drapeau de la France révolutionnaire, publié dans le COURRIER de la semaine dernière sous le titre Américain : “Rouge, Blanc et Bleu,” par un Yankee du nom de “Tricolore Etoilé,” fait un digne complément aux lettres apologétiques déjà publiées par Acadie sur cette odieuse bannière. A la célébration du centenaire catholique des Etats-Unis, la cathédrale de Baltimore était décorée des couleurs papales et de celles de la nationalité américaine. Rien d’étrange en cela. Mais voilà bien que l’apologiste de l’étendard de la révolution française s’en va ineptement confondre le Red, White and Blue des Yankees – c’est par ce nom qu’ils désignent souvent leur drapeau – avec le tricolore français! Une pareille bévue pouvait lui suggérer une foule de réflexions et de conclusions en faveur du “Tricolore Etoilé,” et il n’a pas manqué de la mettre à profit. Tout le monde sait que le drapeau américain comprend dans sa composition les trois couleurs : rouge, blanc et bleu, mais il faut être extrêmement “naïf” – green diraient les Yankees – pour aller à cause de cela identifier leur drapeau avec celui de la république française, et croire que les observations que l’on peut faire sur l’un sont également applicables à l’autre. Bien que les couleurs soient les mêmes, il y a autant de différence dans l’aspect des deux drapeaux qu’il y en a entre la révolution française et […]. Le drapeau américain est composé de plusieurs bandes horizontales rouges et blanches, avec un carré bien étoilé, c’est-à-dire, par […] d’étoiles, à l’angle supérieur du côté de la hampe, tandis que le drapeau adopté par la révolution française est composé aussi des trois couleurs : bleu, blanc et rouge (c’est toujours dans cet ordre qu’on les nomme) mais disposées verticalement en trois parties égales, le bleu près de la hampe et le blanc au milieu. Quand les Anglais ou les Américains mentionnent le drapeau tricolore […] davantage, […] tricolore français qu’il […] parler. “Tricolor, ‘The national French banner of three colors, blue, white and red, adopted on the occasion of the first French Revolution.’” (Worcester’s Dictionary.) “The Tricolor took its rise at the commencement of the French Revolution as the badge of the National Guard.” (Chamber’s Encyclopedia.) Ces citations sont en même temps de nouvelles preuves qui montrent que le drapeau auquel on a apposé le sceau de la nationalité acadienne est bel et bien l’étendard de la révolution française. Il n’y a pas que le drapeau des Etats-Unis, le Star Spangled Banner, qui partage les couleurs : bleu, blanc et rouge, avec le tricolore français : le drapeau de la Hollande en est un autre composé de ces mêmes couleurs. (Chamber’s Encyclopedia; Dictionnaire des Sciences, des Lettres et des Arts, de Bouillet.) Elles y entrent même en parties égales comme dans le tricolore français; seulement, les bandes sont horizontales. Les drapeaux du Chili ou de la Bolivie sont composés aussi de ces trois couleurs, avec une étoile dans le bleu par dessus le marché. Mais la disposition particulière des couleurs ne permet pas de confondre aucun de ces drapeaux avec celui de la république française. Il n’y a que ceux qui ne voient pas de différence entre un “Tricolore Etoilé” (le star-spangled banner de nos voisins répond seul à ce nom) et un drapeau orné d’une seule étoile, qui seraient incapables de saisir la différence qui existe entre les autres drapeaux mentionnés. *** Qu’est-ce que notre perspicace Yankee vient nous rahâcher avec ses “couleurs révolutionnaires?” Qui lui a jamais parlé de couleurs révolutionnaires? De ce que le drapeau dont il est question entre nous est celui que la France officielle, s’est choisi à l’époque de l’inique révolution française, s’ensuit-il que les couleurs dont se compose ce drapeau soient en elles-mêmes “révolutionnaires,” “détestables,” comme si le déshonneur, la honte, qui se rattache au drapeau en tant qu’il est l’étendard, le signe de ralliement, le symbole de la France révolutionnaire, était quelque chose d’inhérent aux couleurs mêmes? Et chaque fois que l’on verra un assemblage de blanc, de rouge, de bleu, dans n’importe quel ordre, faudra-t-il y avoir l’emblème de la république française? Ce n’est pas en divaguant comme ils le font qu’Acadie et son continuateur réussiront à “élucider” la question du drapeau. Ils en parlent tous deux comme un aveugle des couleurs. Quelqu’un, d’Erlanges, si je ne me trompe, insinuait qu’ils sont assez parents pour se server de la même plume. Cela ne se peut pas, puisque, à en juger par les signatures, l’un est acadien, et l’autre, yankee! La représentation d’une équerre n’offre rien de “détestable,” ni l’image d’un compas, mais représentez ces deux objets posés d’une certaine manière l’un sur l’autre, et vous avez l’emblème de la franc-maçonnerie. De même, réunissez les trois couleurs : bleu, blanc et rouge, de la manière qu’elles le sont dans le tricolore français et vous avez là un emblème “détestable,” non pas à cause de la simple réunion de ces couleurs particulières dans un certain ordre, mais parceque ce sont ces trois couleurs réunies dans l’ordre indiqué que les coryphées de la grande révolution française ont choisies pour désigner et signaler la France nouvelle, la France ennemie de Dieu et de son église, la France qu’ils ont créée à leur image et à leur ressemblance détestables. Quelle farce, s’écrie “Tricolore Etoilé,” que de vouloir attribuer à ces couleurs favorites toutes les scélératesses de la France révolutionnaire! Quelle farce que l’écrit de “Tricolore Etoilé,” y compris le titre et la signature! Qu’est-ce donc qu’un drapeau à ses yeux? Apparemment, ce n’est qu’un morceau d’étoffe qu’on élève au bout d’une perche pour avoir le plaisir de le voir flotter au vent, et rien de plus! Veut-il que les actes déshonorables d’une nation s’impriment en souillures matérielles, visibles, sur le drapeau qu’elle arbore pour qu’il en soit déshonoré? Le drapeau tricolore porte l’infamie des scélératesses de la révolution française, parce que ces scélératesses ont été commises à l’ombre de ce même drapeau, ce qui veut dire qu’elles furent perpétrées avec la connivence et à la faveur des principes de la France gouvernementale d’alors, quand elles n’étaient pas ouvertement sanctionnées et formellement ordonnées par elle. Parler d’un drapeau, c’est parler de la puissance qu’il représente : il est honorable et respectable, ou déshonoré et avili, dans la même mesure que la nation qui l’arbore l’est elle-même. Une “farce” que de considérer le drapeau tricolore comme étant souillé des crimes de la révolution française! S’il en est ainsi, M. Maynard, publiciste distingué, et le Rév. Père Huguet, qui, dans un livre approuvé par Pie IX, endosse les sentiments de M. Maynard sur l’origine et la valeur du drapeau tricolore (voir le COURRIER du 14 novembre) sont des farceurs! Le comte de Mun, Claudio Jannet, et avec eux, tous les français qui détestent les principes de la révolution française et qui savent à quoi s’en tenir sur l’origine du drapeau tricolore, sont tous des farceurs! Et le Pape Pie VI, qui repoussa avec indignation cet ignoble chiffon, était un grand farceur! Si le drapeau tricolore ne tirait pas son origine de la révolution française, s’il n’avait pas été formellement sanctionné et adopté par la France révolutionnaire comme son drapeau, à elle, par un décret passé au fort du règne de la Terreur (“le 27 pluv. an II,” Dictionnaire des Sciences, des Lettres et des Arts, par Bouillet), si ce drapeau ne se trouvait pas souillé des infamies du gouvernement de Robespierre et de sa tendre fraternité, serait-il digne du choix de la nationalité acadienne? Non, mille fois non, et c’est le drapeau de la France républicaine d’aujourd’hui, et la France républicaine d’aujourd’hui est saturée de principes corrosifs de la révolution française. Loin de répudier cette inique révolution, elle la glorifie solennellement aux yeux de tout l’univers. Elle fête la révolution, qui, dit l’historien Guizot, “détruit parmi nous, depuis un siècle, toutes les plus belles espérances du genre humain.” La France révolutionnaire a rejeté les vrais principes de reforme formulés dans les “cahiers” présentés à la première réunion des Etats-Généraux en 1789 et sanctionnés par Louis XVI, le clergé et la noblesse, et elle a adopté des principes subversifs de la religion et de l’ordre social. “Si cette volonté unanime de la France pour l’adoption des vrais principes de reforme n’avait été, tout aussitôt et jusqu’aujourd’hui, foulé aux pieds par les tyrants, la France serait depuis un siècle la lumière des nations au lieu d’en être le scandale.” (La Morale et la Loi de l’Histoire, par le Révérend Père Gratry.) Non, mille fois non, le drapeau “qui n’a jamais été déployé que par la main de la Révolution” (M. Maynard) ne peut convenir à la nationalité acadienne. Adopter un tel emblème, c’est proclamer notre sympathie pour la France anti-chrétienne, qui foule aux pieds la foi et les principes que nous ont légués nos pères, et c’est tourner le dos à la France catholique, qui seule mérite nos hommages et notre affection. Il serait intéressant, dit mon adversaire, de lire tout ce que la France catholique a opéré de bien, à l’ombre de ce même drapeau. Oui, vraiment, cela serait fort intéressant, parce que ce serait si nouveau! Ce n’est pas à l’ombre du drapeau tricolore, mais en dépit de ce même drapeau, que la France catholique a opéré et opère encore tout le bien qu’elle trouve moyen d’accomplir et qui excite l’admiration du monde entier. La république athée qu’elle subit gêne toutes ses démarches et contrecarre ses meilleurs efforts. Malgré les signaux trompeurs de la bannière de la Révolution, elle ne s’écarte pas du bon chemin. La tyrannie du règne de la Liberté-Egalité-Fraternité lui déchire les entrailles mais ne peut éteindre la flamme de sa charité. Laissons le drapeau tricolore à la main qui l’a toujours déployé, et adoptons-en un qui soit en rapport avec nos principes religieux et notre situation présente. LUCIUS.