La lecture du Professeur Hind sur "l'Expatriation des Acadiens."

Journal
Année
1890
Mois
1
Jour
2
Titre de l'article
La lecture du professeur Hind sur "l'Expatriation des Acadiens."
Auteur
PH. F. B.
Page(s)
2
Type d'article
Langue
Contenu de l'article
LA LECTURE DU PROFESSEUR HIND SUR “L'EXPATRIATION DES ACADIENS.” [Suite] Nous avons dit intolérance presque domitienne : distinguons. Domitien était du 1er siècle de l’ère chrétienne; Lawrence et Winslow vivaient au dix-huitième. Le dernier des Césars persécutait ouvertement, loyalement. Il plongeait saint Jean dans l’eau bouillante, il étranglait les sénateurs, invitait ses amis chez lui pour souper en face de leurs cercueils, et quand les victimes humaines lui manquaient, il s’enfermait dans son palais, s’armait d’un petit poinçon d’acier, de terçait des mouches. Depuis deux ou trois siècles, le système des persécutions est bien plus intelligent : où serait donc le progrès? Du temps de Shirley et de Mascarène, on savait déjà harceler sournoisement sans en avoir l’air; on détruisait sûrement mais avec lenteur : pourvu qu’on pût affaiblir l’ennemi sans l’effaroucher par trop de précipitation, c’était là tout le secret. Nos conférenciers d’aujourd’hui— surtout ceux dont il est question dans cet article—veulent justifier la déportation de 1755 en improuvant les actes des missionnaires Daudin, Leloutre et autres. Ces prêtres, disent-ils, étaient arrogants, pleins d’intolérance, casseurs dans leurs procédés, ne professaient aucun respect pour leurs supérieurs civils, etc. Tout ceci est faux; au contraire, ces zélés apôtres prêchaient l’obéissance à l’autorité civile, le pardon des ennemis, l’oubli des outrages, et de fait, ils étaient, dans ces temps de trouble et d’anarchie, les avocats de la loi morale comme les défenseurs reconnus de la justice. Mascarène, Cornwallis et leurs subalternes n’ignoraient pas cela, et tandis que, d’un côté, ils voulaient contrôler ces missionnaires dans l’exercice de leur ministère, de l’autre côté ils ne cessaient de les envoyer du nord au sud et à tous les points de la colonie pour apaiser les séditions et prévenir les attaques des Indiens. On aurait cru que les gouverneurs ne voyaient dans ces apôtres que les gardes-côtes d’Annapolis, les gardes-chiourme de notre colonie. Pourtant, ils avaient une autre mission, celle d’y implanter la foi, d’y garder la religion catholique : ils étaient venus pour administrer les sacrements, instruire les fidèles, annoncer l’évangile et la parole de Dieu dans le désert. Leur tâche était onéreuse, leurs devoirs et leur travaux toujours pénibles. Or, lorsqu'au milieu de tels labeurs lorsqu’au moment où le salut des âmes exigeait leur présence au milieu des fidèles, des gouverneurs inquiets et soupçonneux les sommaient de paraître devant leurs tribunaux, les accusaient de fomenter l’esprit de révolte contre l’autorité établie, leur reprochaient de ne pas savoir pacifier leurs ouailles, leur défendaient d’exercer, dorénavant, leur ministère dans telle partie du pays ou dans le pays tout entier,—devons-nous être étonnés si ces hommes de l’Evangile, à l’instar des premiers apôtres, jugeaient bon d’obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes. Les missionnaires étaient intolérables, crie-t-on, aujourd’hui, dans les lectures publiques.—Oui, quelques-uns disent cela, mais ceux-là semblent avoir oublié les injustices faites à ces envoyés du Christ, les affronts lancés à la figure d’hommes dont les uns appartenaient à la haute noblesse de France, et qui, tous, avaient reçu le haut caractère du Christ. En 1740, Mascarène, le gouverneur huguenot, défendait à M. St. Poney d’exercer ses fonctions sacerdotales parce que ce vénérable prêtre avait eu le tort de ne pas s’entendre avec lui sur certaines questions de la religion. La même année, il censure les abbés De la Gandalis et Vauquelin parce que, conformément aux régies de l’Eglise, ces derniers refusaient les sacrements à Mafils, un bigame scandaleux. Il somme ces deux prêtres de venir à Annapolis : M. Vanquelin reçoit même l’ordre de comparaître devant le tribunal—et, le lendemain de cet appel en cour, le sieur Mascarène faisait sortir une proclamation par laquelle il défendait aux missionnaires de placer, désormais, leurs sujet sous aucune censure ecclésiastique. D’où part ici l’influence indue? Est-ce de la bouche des missionnaires ou de celle de leurs supérieurs civils? Deux ans plus tard, en 1742 Mgr de Pontbriand envoyait les abbés Miniaic et Girard dans nos parages dans le but, surtout, d'aider au grand-vicaire De la Gandalis, dont les travaux étaient trop multipliés et la santé très épuisée. L’évêque de Québec avait ou soin d’en prévenir le gouverneur d’Annapolis par une belle lettre où il recommandait ces nouveaux envoyés à la protection de Mascarène. Pour toute réponse, ce dernier écrivit de suite aux susdits prêtres qu'il leur défendait d’exercer leur ministère en Acadie. Comme la saison était avancée en automne il leur permettait de passer l’hiver à Cobequid ou aux Mines, mais il leur enjoignait bien positivement de retourner à Québec à l’ouverture de la navigation, au printemps. Ecrivant à ce sujet au duc de Newcastle, Mascarène s’expliquait ainsi : “Si j’accorde à l'évêque le droit de nous envoyer ici des missionnaires, selon son bon plaisir, nous ne pourrons jamais réduire les habitants français à une véritable soumission aux ordres du gouvernement de Sa Majesté.” Et quand, en 1749, le même évêque exprima, dans une lettre au gouverneur Cornwallis, le désir de visiter la N.-Ecosse, le président d’Annapolis répondit qu’il serait content de le voir, mais que, en demeurant, il ne pouvait lui permettre d’exercer les fonctions épiscopales au sein de la colonie. Dans cette réponse à Mgr de Québec, Cornwallis, après avoir dénigré, sans mesure, le zélé missionnaire LeLoutre, ajoutait qu’aucun prêtre qui, dorénavant, exercerait le ministère en Acadie sans une autorisation spéciale du gouverneur, serait puni d’une manière exemplaire. Le 3 novembre 1751, lorsque le même gouverneur, envoyant son rapport à la chambre des Lords, en Angleterre, au sujet des affaires de la colonie, assurait le parlement que les indiens étaient devenus plus tranquilles et que les colons français se conduisaient avec plus de modération, il ajoutait qu'il espérait les voir devenir, même, de bons sujets. “Je suis certain, disait-il, qu’il en sera ainsi, si on peut trouver un moyen d’empêcher les missionnaires de venir au milieu d’eux. Je ne sais comment réussir à les éliminer, car ces Acadiens en veulent avoir quand même.” (Certain I am it would be so, if a method could be found to prevent French missionairies [sic] being among them. How that may be attained I can’t say, but priests of some kind they must have.) Nous pourrions remplir des colonnes entières de citations et d’extraits de ce genre tirés des archives ou des historiens de la N.-Ecosse; mais en voilà bien assez. Tout ce qu’il nous reste à dire, c’est qu’il était, dès lors, facile de voir qu’on voulait la déportation des missionnaires, ce qui entraînait, pour ainsi dire, la déportation de Dieu. Les Acadiens ne s’y méprirent pas et ne balancèrent point. Nous suivrons nos prêtres, se dirent-ils, dans les catacombes, s’il nous faut en creuser, comme les premiers chrétiens—sur les côtes de la Pennsylvanie, fûssent, par là même, tous nos liens de famille rompus, dussions-nous perdre ce que nous avons de plus cher au monde. Disons-le avec orgueil; disons-le, à leur louange, le sentiment du devoir, chez nos pères, ne connut pas alors de faiblesse. Il devait y avoir irritation, par contre, il n’y eut pas de lâcheté. Le serment d’allégeance sans condition n’obtint pas plein succès; il ne fut pas pris par tous nos ancêtres, parceque les dispositions de leurs chefs, vis-à-vis la religion, leur étaient trop connues. Il leur semblait impossible d’aller jurer obéissance éternelle et une alliance inviolable avec ceux qui leur enlevaient leurs prêtres, sans raison, qui leur enlevaient les consolations de l’église, les sacrements à leur dernière heure,—le seul adoucissement dans leurs peines, le seul appui moral qui leur restât au milieu des souffrances de leur exil. Enfin, grâce au système de compression suivi depuis plusieurs années; grâce à ce mode d’écrasement linéaire, comme disent les chirurgiens, qui affaiblissait notre peuple, on s’aperçut que le temps était venu où l’autorité voulait en finir avec ses victimes. Reus est mortis, tolle eum. Il est digne de mort, enlevez-le.” Et le 10 septembre passa, disséminant les Acadiens aux quatre coins de la terre…….. Cependant, le peuple acadien était destiné à revivre, comme il a survécu et grandi, depuis lors. Maintenant, nous n’avons plus les inquiétudes, ni les agitations du 18e siècle. De nos jours, la tolérance coule dans un lit plus vaste; partout, il y a liberté de conscience. Les anciennes antipathies ne sont plus dans nos cœurs; mais les faits restent à l’histoire. Pour conclure, si M. le professeur Hind se fût contenté de faire ou de composer une lecture intitulée “Quelques inexactitudes de M. l’abbé Casgrain” ou les “Vivacités de M. le grand-vicaire Leloutre,” le sentiment public de justice n’aurait pas été blessé, comme il l’a été, en voyant des hommes sérieux se servir de faits historiques de très mineure importance pour la justification d’une mesure de sévérité qui n’a pas eu son parallèle dans nos temps modernes. Comme l’a fait remarquer si justement Mgr l’Archevêque d’Halifax; dans son admirable lettre à “L’Evening Mail,” “le trident, qui a agité jusque dans ses profondeurs, et d’une manière si visible, les eaux tranquilles de la Société historique d’Halifax, était tenu, évidement, par une main vigoureuse.” Ajoutons que ceux qui, comme Sir Adams Archibald et le prof. Hind, voudront désormais “jeter des rayons de lumière” sur ces vieilles querelles rebattues, auront droit à nos remerciements et à notre bon accueil, pourvu qu’ils n’attribuent pas la destruction de Troie aux flèches lancées par le grand-prêtre Laocoon, mais bien plutôt au stratagème de Sinon et à la perfidie des Grecs. PH. F. B. Memramcook, le 20 décembre 1889.