Échos d’une Grandiose Démonstration Nationale

Year
1910
Month
9
Day
1
Article Title
Échos d’une Grandiose Démonstration Nationale
Author
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Page Number
1, 3, 8
Article Type
Language
Article Contents
Échos d’une Grandiose Démonstration Nationale Discours de M. Antoine J. Léger, Avocat. Quand tombent les fins d’années, il est d’usage parmi les commerçants, les industriels, les hommes voués aux professions libérales, les banquiers, et même les cultivateurs soigneux, de dresser un bilan général et de l’actif et du passif pour le service écoulé. Ces chiffres mis en regard indiquent clairement le mouvement des affaires, ou vers la fortune, ou vers la ruine. De même, le peuple désireux de maintenir son rang avec les autres nationalités fait halte à ses affaires, lui aussi, à des fêtes données, et dresse le bilan de l’époque passée. Il considère et les revers essuyés et les succès obtenus. Et, instruit des leçons du passé, il tâche de mieux se préparer pour affronter les dangers à venir et pour activer son mouvement toujours vers l’avant. Mesdames et messieurs, après trente années de combats, de travail aux choses acadiennes, il me semble qu’en ce jours consacré à la célébration du 30e anniversaire du choix de sa fête nationale, il conviendrait de demander à la patriotique Acadie : Acadie, qui est-tu? Acadie, où vas-tu? Acadie, que veux-tu? Et tout d’abord, qui es-tu? Issue de la France dont le sang généreux coule dans tes veines, tu n’as cessé de proclamer hautement que tu étais française et catholique; tu as, pour conserver ces titres glorieux, connu les horreurs de la guerre, les monstruosités d’une déportation arbitraire et toutes les tyrannies d’un long et cruel exil. Tu as supporté des supplices qu’aucune main hérodienne n’aurait infligés. Tes ennemis avaient jugé d’effacer ton nom du nombre des peuples; et quand, après la violente tourmente de 1755, l’on vit surgir tes épaves du naufrage, tes bourreaux, surexcités à la pensée qu’une main providentielle veillait sur toi, eurent, dans leur rage infernale, recours à un nouveau moyen d’extermination : de t’humilier dans ta nationalité; et l’Acadie a eu plus à souffrir de cette dernière persécution morale que de toutes les autres tyrannies ouvertes. L’Acadien né glorieux qu’il a été humilié dans sa nationalité et qu’il s’est cru ridicule parce qu’il était français, et ridicule, il l’était. Mais la voix providentielle, qui dit aux vagues envahissantes : vous irez jusqu’ici et vous n’irez pas plus loin, ne permit pas l’annihilation de ce peuple aimé de Dieu, de ce peuple qui, agonisant, murmurait encore, à l’exemple de Gracia Moreno assassiné : Deo non morire – Dieu ne meurt pas. En effet, le Christ étant ressuscité, il ne peut mourir. Le peuple acadien aussi a ressuscité, et comme la résurrection ne meurt pas, le peuple acadien ne saurait mourir. Oui, les Acadiens sont vivants, vivants dans le Nouveau-Brunswick, vivants dans la Nouvelle-Ecosse, vivants dans l’Ile du Prince-Edouard, vivants dans le Massachusetts, le Rhode Island, le Connecticutt, et vivants dans la Louisiane. Plus que cela, mesdames et messieurs, les Acadiens nous donnent aujourd’hui dans cette fête patriotique une manifestation bien admirable de leur vitalité. Quel ravivant et consolant spectacle tout à la fois que de voir en cette belle et ancienne paroisse de Memramcook, en ce jour de gala, les représentants des victimes des bourreaux que Haliburton à flétris. Oui, ils sont ici pour témoigner aux Monkton, aux Winslow et aux Murray, ces exécuteurs de hautes œuvres militaires, qu’ils ont survécu et qu’ils sont demeurés acadiens, français et catholiques. Mesdames et messieurs, je ne fais qu’effleurer une page de notre histoire, mais elle suffit pour expliquer notre patriotisme et notre ferme propos de rester fidèles aux glorieuses traditions de nos ancêtres. Acadie, où vas-tu? Mesdames et messieurs, il conviendrait d’avoir une réponse de ceux qui ont visité nos paroisses, qui nous ont connus il y a trente ans et qui nous revoient aujourd’hui. Je suis certain qu’ils se demandent avec étonnement s’ils sont les hôtes du même peuple. Nous avons fait des progrès, nous avons changé d’aspect sous bien des rapports. L’agriculture était négligée, le sol infertile, et nos cultivateurs étaient exploités. Leurs terres glissaient sous leurs pieds; maintenant ils rachètent ces terres perdues et en acquièrent de nouvelles. Les Acadiens étaient étrangers au commerce, aujourd’hui l’on trouve des négociants acadiens partout. Les professions libérales ne comptaient point de nos représentants, mais grâce à nos collèges, à nos maisons de haute éducation, nous pouvons figurer encore avec les autres nationalités sous ce rapport. Il est vrai que nos maisons d’éducation ont été le flambeau de notre civilisation et le phare de nos espérances; ce sont elles qui peut-être ont largement contribué à notre rapide régénération; mais d’autre part, il ne faut manquer d’attribuer une juste mesure de nos progrès dans l’état social et intellectuel aux qualités inhérentes des sujets eux-mêmes; de faire justice, dis-je, à la force, à la persévérance, au courage, à la sobriété, à la prudence, à l’industrie, à l’économie et à la concorde du peuple acadien. Voici, mesdames et messieurs, la liste des vertus qui ont en quelque sorte présidé à notre relèvement et à notre avancement matériel, intellectuel et moral; nous avons avancé parce que aussi nous avons persévéré; tant il est vrai de dire que la faiblesse trouve une arme puissante dans la détermination, dans l’obstination, dans la répétition des mêmes endroits. Cependant, quelque progrès que nous ayons fait, nous n’avons pas encore, comme Tarquin le Superbe, besoin d’abattre les têtes des pavots trop élevés. Le terrain est immense et il reste toujours de l’espace pour agrandir. Soyons animés de l’esprit d’un César qui croyait n’avoir rien fait quand il restait quelque chose à faire. Emparons-nous de l’avenir, et forçons le succès à se courber sous nos vaillants efforts pour la conquête de nos droits. Surtout, jamais de lâcheté parmi nous. Bannissons la peur en courant de l’avant. Il est évident que nos chances de succès avec celles des nationalités avoisinantes sont inégales; il est vrai qu’on a porté et que l’on porte souvent encore contre nous, Acadiens, l’accusation d’ignorance et d’obscurantisme. Mais que cela ne tienne. C’est le cri du préjugé et de la haine, et nos accusateurs nous donnent nullement crédit des conditions difficiles de notre existence nationale de 1755; ils ignorent l’abandon dans lequel nous avons été relégués pendant plus d’un siècle; ils ne pensent pas que notre existence comme peuple tient quasi du miracle. Toutefois, malgré ces désavantages, nous pouvons démontrer à nos accusateurs que si le plus grand nombres des Acadiens n’ont su tenir la plue, ils ont du moins laissé les traces de leurs labeurs sur le sol de la patrie, et si profondément imprimées que tous les efforts des persécuteurs, des conquérants et des spoliateurs n’ont pu les effacer. Oui, mesdames et messieurs, ce n’a pas été en vain que nos pères soldats et martyrs ont arrosé cette terre de leurs sueurs et de leur sang; ce n’a pas été en vain qu’ils ont souffert le martyre et l’exil; ce n’a pas été en vain qu’un groupe d’hommes luttant contre tous les obstacles s’est accru si rapidement. Tel père, tel fils, et nous, leurs descendants, nous leurs enfants, nous voulons perpétuer leurs traditions dans les âges à venir. Acadie, que veux-tu? Tu veux demeurer française, religieuse, et patriotique. Tu veux que tes enfants soient dignes de toi, soient des fils de caractère. Tu veux demeurer française, parce que tu veux conserver les glorieuses traditions de tes ancêtres. Tu veux conserver ta langue, la langue française, parce que de cela dépend la conservation de ta foi. Tu veux continuer à parler ta langue, la langue française, dis-je, parce qu’elle est la langue diplomatique, la langue aristocratique, la langue la plus belle, la plus douce qu’il y ait. Tous les grand hommes depuis mille ans ont parlé le français. C’est en français que les gaulois nos ancêtres entonnaient leurs chants guerriers. Guillaume le conquérant l’imposa à l’Angleterre et jusqu’à Edouard III, l’anglo-saxon en français, conduisait les débats de ses parlements et rendait les décrets de ses tribunaux. C’est encore en français, que l’intrépide marin Jacques-Cartier écrit sur la croix qu’il planta sur les rivages de la Gaspésie en prenant possession du sol : « Pour Dieu et le roi des Francs. » En français, Napoléon dicta ses lois et ordonnances aux têtes couronnées de l’Europe. En français, sont traitées toutes les questions diplomatiques de l’univers. Et quoi, nous abandonnerions de parler une telle langue? Non, aussi longtemps que l’Acadien restera Acadien, aussi longtemps qu’il gardera son caractère primitif, il gardera aussi sa langue, la langue française. Loin de l’Acadie donc ceux qui se sont donné pour mission de fusionner les races au Canada, qu’ils sachent que l’acadien veut aimer son Dieu et sa patrie; qu’il veut demeurer, en un mot, religieux et patriotique; mais non pas cette sorte de religion et de patriotisme que le Dr Johnson definissait : « le dernier refuge du vaurien. » Non, il ne s’agit pas de ce prétendu amour dont plusieurs se servent pour arriver à leurs fins intéressées; mais bien cet amour réel et généreux du pays, ce vrai patriotisme qui émane et pénètre dans le cœur. J’irai plus loin. Il s’agit de cet attachement au foyer domestique qui est le sanctuaire de la paix et de l’amour sans mélange. Oui, Mesdames et Messieurs, après le temple où réside de la divinité, c’est le foyer domestique qui doit avoir le cœur de l’acadien. Oh! qui vaudra jamais les moments délicieux passés au milieu de ces êtres chéris que le ciel lui-même voulut unir par des liens immortels. Acadie, ne l’oublie pas, l’attachement à tes berceaux, à tes traditions, à tous les trésors d’amour de l’église la plus vivifiante source de l’église la plus vivifiante source de patriotisme. Quelqu’un a dit : La famille est une patrie. Certes, c’est la patrie des souvenirs, c’est la patrie elle-même, abrégée et concentrée à ce point vivant par où l’homme tient à elle-même et lui demeure attaché d’un invisible attachement et d’un impérissable amour. C’est par là que le sujet se sent voué, lui et les siens avec toute sa richesse, toute sa force, tout son courage à la protection et à la défense la patrie; c’est par là enfin que tout homme bien élévé devient pour elle un glaive, un bouclier, un soldat dans la guerre et un soldat dans la paix. Et vous, jeunes gens, je m’adresse à vous parce que la jeunesse parle à la jeunesse, mais plus particulièrement parce que la patrie a besoin de votre énergie, a besoin de vos services. Acquérons de plus fortes connaissances encore de notre histoire, de notre géographie, de nos ressources nationales et des besoins de notre Acadie. Et forts de ces connaissances, transmettons-les à nos compatriotes qui élisent nos gouvernants; dénonçons les mauvais, les faux politiciens, la politiquerie : sachons proclamer et faire proclamer la politique des hommes dévoués à notre cause, des vrais patriotes. Et si nous agissons ainsi, nos œuvres seront utiles et durables. Nous aurons mis nos talents au service de la patrie et nous serons en état plus tard de voir nos mérites récompensés. Mais de grâce qu’il n’y ait jamais parmi nous de ces gens qui se donnent pour mission : d’abattre ou d’avilir tout front qui les dépasse et de faire petit ce que Dieu voulait grand. Maintenant, Mesdames et Messieurs, en terminant, s’il m’était permis de faire une sugestion je dirais : Soyons un peuple de caractère. L’esprit, la science, le travail, le génie même sont rien sans le caractère. La France de nos jours nous en fournit un triste et frappant exemple. Elle abonde en hommes lettrés, en hommes qui ont tout reçu des mains de la fortune, en hommes qui n’ont pas trahi pourtant, non, parce qu’ils ne tiennent à rien et pour trahir il faut tenir à quelque chose. Non, c’est l’indifférence qui les mène. Pour eux les événements sont des nuages emportés par le vent. Ils les subissent sans résistance après les avoir préparés sans le vouloir. Ne soyons pas de cette trempe; secouons cette torpeur, et nous arriverons à l’idéal de nos chefs, la juste possession de nos droits en tout et partout. Discours de M. Ferd. J. Robidoux, de Richibouctou M. Robidoux dit en substance qu’il est heureux d’assister à cette superbe démonstration nationale dont le succès et l’enthousiasme sont dignes de l’esprit d’initiative, de l’énergie et du patriotisme des Acadiens de cette prospère paroisse. Memramcook depuis la fondation de l’humble collège qui este devenu l’une des plus importantes universités du pays, a toujours été, et est resté, le château-fort du sentiment français en Acadie. Notre peuple a connu des ours malheureux; il a gémi sous le poids de la persécution religieuse et civile; il a bu jusqu’à la lie en calice amer de l’exil; Grand’Pré, Bassin des Mines, Boston, Philadelphie, évoquent un passé douloureux. Si c’est une pensée salutaire de passer en revue les grands malheurs qui ont affligé nos ancêtres sans toutefois jamais abattre leur courage, pour nous porter à souffrir avec calme et patience les inconvénients et les ennuis du présent, c’est une pensée également salutaire de rappeler et de saluer les évènements heureux de notre histoire, afin de rallumer nos espérances, réchauffer notre patriotisme et nous inspirer en l’avenir une foi vigoureuse et invincible. Et parmi les évènements qui ont exercé la plus bienfaisante influence sur les destinées de notre nationalité, il faut mettre au premier plan la fondation du collège St-Joseph, cette institution qui fait l’orgueil non-seulement de cette paroisse, du comté de Westmorland, mais de toutes les provinces maritimes, et le choix de l’Assomption comme fête nationale, choix dont nous célébrons aujourd’hui l’heureux anniversaire. L’année qui vit s’ouvrir les portes du petit séminaire de Memramcook fut en même temps le témoin du commencement de l’œuvre de la régénération, du relèvement politique de notre race. C’est à cette fontaine d’éducation supérieure que la jeunesse acadienne de l’époque vint puiser les connaissances nécessaires pour lutter avec succès pour le triomphe de nos droits et nous lui devons cette pléïade de prêtres distingués, d’hommes publics éminents et de citoyens intègres qui sont la gloire de l’Eglise et l’honneur de notre race. C’est à l’ombre des mûrs bénis de cette institution que nous avons obtenu les premières notions de notre histoire, de cette histoire remplie de faits glorieux, illustrée par les exploits de Champlain qui, avant de fonder Québec, assista au berceau de Port-Royal; de Poutrincourt, qui mérita d’être appelé le Père de l’Acadie; de Lescarbot, cet esprit ingénieux qui, s’il est au ciel, mériterait d’être le patron des instituteurs, car le premier en ce pays il consacra ses loisirs à la noble profession de l’enseignement; D’Aulnay et de Latour, et que de noms célèbres pourraient être cités. C’est ici que nous avons appris à aimer notre histoire, illustrée par le courage indomptable, intrépidité de ces hardis Normands, qui disant un éternel adieu aux côtes ensoleillées de la France vinrent se tailler dans la forêt vierge de la Nouvelle-Ecosse et du Nouveau-Brunswick une patrie nouvelle, emportant avec eux pour tout actif de bons bras, un attachement inviolable à la foi catholique et à la langue française et cet esprit, ce caractère gaulois qui a fait du français le meilleur colon du monde. Soyons fiers de notre histoire; soyons fiers de la race à laquelle nous avons l’honneur d’appartenir. Honorons nos grands hommes. La coutume d’honorer les citoyens qui ont rendu à la patrie des services signalés n’est pas nouvelle en Acadie. Elle remonte aux premiers jours de la colonie. L’histoire rapporte que Champlain, revenant d’un voyage d’exploration au cours duquel il avait ajouté au royaume français de nouveau territoires, fut reçu à Port-Royal avec les plus grands honneurs, parce qu’il avait contribué à répandre la gloire du nom français. Le Père Lefebvre, lui, a contribué à répandre la gloire du nom acadien. Dressons-lui une statue qui redira aux générations futures l’admiration et la profonde gratitude de ses contemporains envers un patriote qui dépensa sa vie au service de Dieu et de la Patrie.