Échos d’une Grandiose Démonstration Nationale

Year
1910
Month
8
Day
25
Article Title
Échos d’une Grandiose Démonstration Nationale
Author
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Page Number
1, 8
Article Type
Language
Article Contents
Échos d’une Grandiose Démonstration Nationale Discours de M. l’abbé Th. Albert Chacune des nations qui se partagent le globe terrestre a un trait particulier, une qualité dominante et propre, qui ne se trouve pas au même degré que les autres. C’est la caractéristique d’un peuple, que l’on qualifie quelquefois de « génie d’une nation. » Les peuples ont des qualités et des défauts de race, des vertus et des vices héréditaires. Dieu l’a voulu ainsi. Il a réparti avec une admirable variété, sur toutes les nations, les dons de sa libéralité divine. Aux uns, il a donné la force physique, aux autres, les qualités de l’esprit et du cœur. Certains peuples sont doués de l’esprit d’entreprise, sont âpres au gain et courageux à la guerre. D’autres dirigent leur activité vers les choses du goût et de l’art. Mais il est un trait, un sentiment qui se retrouve chez tous les peuples au même degré, parcequ’il découle de la nature même de l’homme et des conditions de son existence : c’est l’amour de la patrie. Tout homme bien né, et dont les doctrines perverses n’ont pas obscurci l’intelligence et perverti la volonté, a au cœur deux amours : l’amour de Dieu et l’amour de la patrie. Cet amour de la patrie peut revêtir des formes diverses selon les divers besoin de la patrie elle-même; il peut s’orner, s’agrandir, s’enrichir des autres vertus nationales, subir des modifications et s’affaiblir; mais disparaître et s’éteindre, jamais, tant que les peuples auront des autels, des foyers, des lois, de la fierté, de la dignité dans l’âme; car cet amour a été implanté au cœur de l’homme par la main du sage Créateur. Il est le même chez les peuplades barbares que chez les nations civilisées. Il se traduit se traduit par le même orgueil, les mêmes sentiments, les mêmes sacrifices, le même courage, les mêmes joies et les mêmes tristesses. Quel est le jeune homme qui, dans la vigueur et la générosité de ses vingt ans, n’a pas rêvé pour son pays la gloire dans le sacrifice, la réparation par le don de soi même? Quel est le cœur de vingt ans qui n’a pas tressailli de joie et d’orgueil au récit des grands faits de ses ancêtres? Quel est aussi celui qui n’a pas versé des larmes en lisant les malheurs de son pays, les pages tristes et sombres de l’histoire de sa patrie? Quel est l’Acadien, dont l’enfance a été bercée au récit des souffrances de ses pères, qui n’a pas, par un mouvement instinctif et spontané, porté la main à la garde intangible de l’épée que son imagination, ou plutôt que son amour blessé suspendait à son front haletant pour venger dans le sang de l’oppresseur l’exil du grand-père et les tristesses qu’il lisait sur le front de l’aïeule inconsolable? Aujourd’hui, quel est l’Acadien qui ne sente son cœur battre plus fort à la vue du relèvement et de l’avancement de sa patrie? Relèvement matériel, résultat de nos efforts persévérants. Relèvement intellectuel qui a suivi l’ouverture des collèges, qui sont la gloire et l’orgueil de l’Acadie. Relèvement social : aujourd’hui, dans toutes les sphères de la société, nous avons des compatriotes qui brillent, et qui, par leurs talents et leur compétence, anéantissent à jamais le préjugé exotique qu’un Acadien n’est pas apte au même degré que ses concitoyens d’autre origine à travailler d’une manière intelligente et effective à la direction des affaires de son pays, aux destinées de la patrie canadienne. Notre patriotisme à nous n’est pas un amour étroit et égoïste. La persécution, la souffrance n’a pas desséché notre cœur, ne l’a pas fermé aux élans généreux. Au contraire, la douleur l’a ouvert, l’a agrandi et fait vibrer de sympathie pour toutes les grandes épreuves et les malheurs des autres. Notre patriotiste est fait de douleur chrétienne, de respect, d’amour et de soumission, Nous n’avons pas encore connu les grandes allégresses nationales des nations plus heureuses. L’épreuve s’est abattue sur notre berceau; elle a été la seule compagne de notre adolescence. Les croix de bois élevées sur les tombes de nos pères sont trop dispersées le long des routes de l’exil; nos voix ont été trop accoutumées aux accents des Dies Irae pour que nous de réjouissances patriotiques les Te Deum triomphants des peuples plus forturés; mais notre Acadie, nous l’aimons plus parce qu’elle a plus souffert. La souffrance épure notre amour en l’agrandissant. Notre idéal, c’est de rester fidèles à l’Eglise Catholique, notre mère, la mère de ceux qui souffrent persécution pour la justice; notre mère qui a béni nos souffrances en nous aidant à les supporter, qui les a rendues méritoires en nous les faisant accepter avec soumission. Notre idéal, c’est de rester fidèles à notre origine et à notre nationalité. C’est d’être toujours fiers du sang français qui circule en nous. Notre idéal, c’est de rester attachés à nos traditions nationales, à notre langue qui est l’une des plus harmonieuses et claires qu’il soit donné à un peuple de parler; à notre langue, qui pour nous est la seule formule de la prière sentie est vraie, qui s’associe à notre foi et s’en constitue la gardienne; qui répond si admirablement à notre caractère, nos aspirations à notre âme tout entière. Nous voulons la conserver comme marque distinctive d’une nation; un peuple sans idiome propre n’est pas une nation complète. Nous voulons parler cette langue française qui la première des langues d’Europe a réveillé les échos des forêts vierges de l’Acadie et du Canada, la langue des premiers missionnaires qui ont apporté la lumière de l’Evangile à ces régions assises à l’ombre de la mort, et qui ont versé leur sang pour étendre le royaume du Christ. Notre idéal, c’est, de plus, de protéger et de défendre nos droits contre ceux qui les méconnaissent ou qui tenteraient de les violer. L’injustice faite aux autres nous indigne et nous révolte. Faite à nous, pourquoi nous trouve-t-elle indifférents? N’est-ce pas parce qu’on nous croit capables de tout telérer, qu’on ose tout contre nous? Non, l’injustice doit nous trouver unis et forts pour la repousser au fond des autres ténébreux d’où elle est sortie. Ayons un idéal pratique; que notre patriotisme soit, j’oserais dire, utilitaire. Mettons les grands intérêts particuliers et souvent mesquins des factions politiques. Soyons unis et forts sur le terrain de la religion et de la nationalité : soyons nationalistes avant tout. N’ayons pas honte de notre religion et de notre race. Les étrangers qui nous connaissent nous aiment. Notre histoire les touche, les émerveille, les passionne. Aux jours de nos assises patriotiques, nous pouvons regarder le ciel sans craindre que le nuage du reproche ou du remords ne vienne en voiler l’azur limpide. Nos héros sont sans tache, et nos gloires sont pures. Nous sommes chez-nous sur le sol d’Acadie plus que toutes autre race. Les fils de ceux qui ont défriché ce sol, qui l’ont fécondé de leurs sueurs, qui l’ont reconquis par leurs labeurs après les jours néfastes de l’exil, seront-ils traités comme des parias et des ilotes dans leur propre patrie? Non, non, mille fois non! mais, fils de l’Acadie, revendiquons nos droits. La liberté nous la voulons pour les autres; nous la prendrons pour nous. Aimons l’Acadie, comme jadis l’aimaient sur la terre, et l’aiment toujours dans le ciel, Gabriel, Evangéline, le Père LeFebvre. Discours de M. Henri Bourassa M. Bourassa, salué d’acclamations prolongées, dit qu’il est heureux de se trouver au milieu des Acadiens, dont son père, né à L’Acadie, paroisse acadienne située près de St-Jean d’Iberville, a narré les malheurs et les vertus dans le roman historique de Jacques et Marie. Il n’est pas acadien, mais il n’est pas besoin de dire à ce vaste auditoire que les Acadiens ont toutes ses sympathies. Les Canadiens sont vos frères par le sang, par la langue, et par la foi. Vous vous êtes choisi une fête nationale spéciale et pour patronne vous avez pris Marie, l’Etoile de la mer, en cela vous avez sagement usé de la liberté que chacun réclame. Liberté, nous la voulons pour nous, Acadiens et Canadiens, comme nous la concédons avec empressement aux autres, à ceux qui nous entourent. Nous vivons sous le sceptre de la couronne anglaise et les institutions qui nous régissent sont les plus belles et les plus libres du monde. Aussi sommes-nous fiers de de nous proclamer sujets anglais. Quand, après de grandes vicissitudes, la victoire resta finalement aux armes anglaises, les Français du Canada prêtèrent le serment d’allégeance et ils y restés fidèles envers et contre tout. Et il est bon de signaler ici le fait historique que ce sont des Français qui les premiers volèrent aux frontières du pays pour repousser l’envahisseur américain tandis que de riches anglais de Québec se sauvaient à l’île d’Orléans pour attendre l’issue de la lutte. La loyauté des Canadiens et des Acadiens dépend de la liberté qu’on nous accorde. Les Acadiens et les Canadiens, étant frères, doivent se donner la main, car l’union fait la force. Il est venu ici en frère, le cœur sur la main, pour voir et connaître des frères. Il est nécessaire de s’unir pour protéger notre existence et sauvegarder nos intérêts communs. D’abord nous devons avoir la fierté de ce que nous sommes et le courage de nous affirmer au grand jour devant tous, si nous voulons jouir du respect de deux qui nous entourent. La honte, l’asservissement ne sont point les qualités de celui qui veut se faire respecter. Les Acadiens avaient prêté le serment d’allégeance à la condition de ne point porter les armes contre la France et ils ont tenu parole, ils ont observé leur serment. Il ne suffit pas de se réunir, de se glorifier, de parler haut et fort de ce qu’on doit faire, il faut aller plus loin, il faut agir, il faut mettre en pratique nos bonnes résolutions et surtout les enseignements des morts illustres qui, comme le Père Lefebvre, laissent des œuvres durables, immortelles et glorieuses. Nous sommes de loyaux sujets anglais, des sujets paisibles et obéissants, mais jamais nous ne devons pousser le sacrifice jusqu’à l’abandon de nos droits et de nos libertés. Nous ne conquerrons point le respect des Anglais en nous humiliant. La race anglaise possède l’art de gouverner; elle respecte les forts, ignore et méprise les faibles. Apprenons à nos enfants le respect d’eux-mêmes, de leur sang, de leur langue, de leur langue, de leur foi. C’est un dépôt sacré qu’il faut défendre et conserver au risque de perdre notre identité nationale et religieuse. L’attachement au sol a fait la force des français, de vos pères, qui sont revenus ici reconquérir leur patrimoine. Ce sont les fondateurs de la race acadienne. Vous avez le droit, vous avez le devoir d’aimer cette terre. Vous n’avez pas le droit de l’abandonner, car ce serait votre suicide national. Tournez donc, bien chers amis, vos yeux et vos efforts vers la colonisation qui vous rendra possesseurs du sol et garantira l’avenir de votre race. C’est ce que prêcha jadis aux Canadiens le curé Labelle, de sainte mémoire, et c’est ce cri de colonisation, entendu d’un peu partout, qui a fait naître comme par enchantement tant de nouvelles paroisses florissantes. Si vous ne l’avez encore fait, hâtez-vous de commencer et de prêcher une croisade en faveur de la colonisation. Vous avez des collèges, des couvents en bon nombre, je le sais, envoyez vos enfants y puiser une saine éducation chrétienne et française qui leur permettra de travailler avec courage, avec persévérance, avec succès, à la vraie grandeur de votre patrie. Veillez aussi à l’école primaire, qu’elle soit bonne, qu’elle soit un foyer ardent de patriotisme et de piété, qu’elle devienne un rempart de votre édifice, de votre caractère national. Est-il sage, demande-t-on quelque-fois, d’inculquer à l’enfance, à la jeunesse, l’amour des croyances et de la race? La foi se gagne et se perd par bien des moyens. On ne saurait trop s’imprégner de l’esprit de foi. Cultivons-la (illisible) l’enfant sur les genoux de sa mère – qu’on la cultive au foyer, puis à l’école, au collège, au couvent. C’est le meilleur soutien de notre race. Si les gouvernements comprenaient bien leur devoir, il serait facile de contenter toutes les aspirations louables du peuple. Si le Canada veut et doit rester uni, il faut que l’Acadien, le Canadien, se sente chez lui dans le pays, et qu’il jouisse de toute la liberté nécessaire pour se développer normalement. Les tentatives d’asservissement rendent le plus mauvais service à la couronne de l’Angleterre. Quand les Etats-Unis levèrent l’étandard de la révolte contre l’autorité de l’Angleterre, les Canadiens volèrent à la défense de la suprématie anglaise. Conservez vos traditions, cultivez vos qualités et vos dons, développez-vous sous l’égide de Marie votre puissante et glorieuse patronne. A l’assemblée du soir, nos lecteurs le savent déjà, M. Bourassa parla en anglais. Il y avait, dans l’auditoire, un bon nombre de citoyens de langue anglaise, et ceux-ci acclamèrent bien des fois les sentiments exprimés par l’orateur. Il déclara tout d’abord que toute question d’intérêt public doit être discutée librement et franchement, et que l’hyprocrisie n’était pas de mise. Au cours de sa vie publique, qui remonte à une vingtaine d’années, il a eu l’occasion de rencontrer un grand nombre de personnes d’origine anglaise ou autre, et quelques-uns étaient d’opinion qu’au Canada il ne devrait se parler qu’une langue nationale, qu’un seul système d’écoles national, où l’on n’enseignerait qu’une seule langue. D’autres n’allaient pas aussi loin. Voulez-vous que le Canada reste et demeure un pays distinct des Etats-Unis? Voulez-vous que le Canada conserve les liens qui le rattachent à la couronne anglaise jusqu’à ce qu’il devienne le fleuron le plus brillant de l’empire? Alors vous devez désirer que les Français conservent leur langue nationale, puisque la seule chose qui puisse entraver la marche des Américains en ce pays, c’est la retention, de leur idiome national, par le tiers de la population canadienne, qui est aussi loyale que n’importe qui à la couronne anglaise. Descendant de six générations de Canadiens, je veux que le Canada reste pays à part. La grande république voisine a pris à l’Angleterre, à la France, à l’Allemagne et autres nations, des hommes et des idées, et il y a place ici sur ce continent pour deux nations. Les deux races de notre pays pourraient-elles pas se comprendre? Il croit que les descendants des Anglais et des Français peuvent vivre ensemble et se comprendre. Pendant trois siècles les deux races se sont livre combat. Les Français eurent le dessus, puis à leur tour les Anglais l’emportèrent et prirent possession de ce pays. Aujourd’hui, après cent cinquante ans, est-il nécessaire de lutter encore et de se vanter de la première ou de la seconde victoire? Tout en admirant nos voisins du sud. J’admire et respecte beaucoup plus la grande nation à laquelle nous devons allégeance, la Grande-Bretagne. M. Bourassa signale le danger qui menace le Canada, ouvrant toutes grandes les portes de son grand territoire de l’ouest à toutes les nations du monde. La force politique qui en résultera pourrait bien n’être pas de votre goût et n’être pas favorable à l’unité du Canada. Deux Américains traversent nos frontières pour un Anglais ou un Ecossais qui nous arrive. On dit que les Américains seront aussi Anglais que n’importe qui, mais il pense le contraire, on ne peut pas changer la nature humaine. Il ne dira pas de fermer nos portes au Américains, mais nous devrions cesser de faire du Canada le déversoir de toutes les nations européennes. Nous devrions implanter ici les deux langues pour assurer que le pays reste pays anglais par l’union des deux grandes races et que le Canada reste aux mains des deux grandes races. En traversant les rues de Londres, il s’était trouvé fier d’être citoyen anglais, parcqu’après des années de luttes les Anglais lui avaient avoué qu’il avait autant de liberté sous le drapeau anglais au Canada que l’anglais en avait. Les nouveaux venus ne sauraient avoir les mêmes traditions et les mêmes sentiments que nous avons. Ils iront aux prétendues écoles nationales, mais ils ne seront pas intéressés comme nous à l’unité du Canada. Dans vingt ans, si ces nouveaux venus dans l’ouest veulent modifier le tarif du Canada, les efforts de ceux qui veulent retenir le tarif actuel seront vains. En ne parlant qu’une seule langue en Amérique, les Canadiens liront plus de journaux américains. En enlevant aux français leur langue on ne les rendra pas plus anglais, mais plus américains. Ces nouvelles influences qui s’implantent au Canada ne profiteront qu’aux richards. On peut dire que l’idée de l’annexion est enterrée au Canada, mais elle ne l’est pas; elle n’est point populaire en ce moment, elle pourrait bien le devenir. Le patriotisme d’un bon nombre de politiciens est le patriotisme d’un bon nombre des nouveaux venus de l’ouest,--c’est-à-dire dans l’intérêt de leur bourse. Les anglais de ce pays devraient mettre en pratique la règle d’or de faire aux autres ce qu’ils voudraient qu’on leur fit, en matière de langues. S’ils veulent que ce pays reste anglais, ils ne devraient pas négliger la chose qui garde deux millions d’habitants séparés des États-Unis – C’est-à-dire l’usage de la langue française. L’usage des deux langues est justement ce qui gardera le Canada pays distinct et à part. Nous voulons vous prouver, dit l’orateur en terminant, que nous sommes loyaux d’abord à votre roi, et ensuite à la grande race dont nous descendons. Appelé a grands cris à parler en français par ceux qui n’avaient pas eu l’avantage de l’entendre l’après midi, M. Bourrassa s’avança de nouveau et offrit ses plus profonds remerciements à l’auditoire qui l’avait honoré de sa présence. Il est des plus heureux d’être venu au milieu des Acadiens et il emportera de sa visite le plus doux, le plus agréable souvenir.