M. l'éditeur

Newspaper
Year
1889
Month
8
Day
21
Article Title
M. l'éditeur
Author
Acadien
Page Number
02
Article Type
Language
Article Contents
M. l’Editeur, Si l’on vient à ouvrir les annales des peuples, que l’on interroge leur histoire et leurs traditions, on trouve partout quelques faits mémorables consacrés par d’illustres souvenirs; répétés avec amour et avec étonnement par les générations qui s’écoulent, on les voit traverser avec gloire un certain nombre de siècles; et, quand la gloire elle-même disparait dans la nuit des âges, se fixer tristement dans l’esprit de la génération actuelle pour passer à celle qui doit la suivre. Me trouvant en promenade à Pomquet cet été, j’ai pu recueillir les quelques mots qui suivent sur la fondation de cette paroisse. Après l’expulsion des Acadiens de Grand Pré et des autres centres de l’Acadie, nos braves ancêtres se trouvèrent jetés ça et là sur les côtes de l’Amérique du Nord, aujourd’hui les Etats-Unis. Un bon nombre passèrent en France croyant y trouver un asile temporaire. Comme il n’y avait là pour eux aucun lieu de s’établir convenablement, ils prirent le parti de revenir en Amérique pour chercher sinon fortune, au moins un petit coin de terre pour y vivre tranquille. Cinq familles débarquèrent à Arichat et se dirigèrent vers Pomquet. On voit encore l’emplacement des premières bâtisses qu’ils érigèrent en attendant mieux. Comme le havre était abondant en gibier et en poisson, ils purent se créer une certaine aisance. La tradition du lieu porte qu’ils avaient leurs jours de fêtes et de réjouissance dans leur nouvelle patrie. La Nouvelle-Ecosse était alors sous la direction spirituelle de l’Evêque de Québec. Mgr Plessis les visita en 1812, lors de son voyage dans les Provinces Maritimes. Si je ne me trompe, il y avait alors 30 familles à Pomquet vivant dans la paix et le contentement; ils étaient alors desservies deux fois par an par M. Lejamtel, missionnaire à Arichat. Quoique presque délaissés sous le rapport spirituel, l’évêque les trouva pleins de foi avec des mœurs pures. Sa Grandeur ne put voir un tel abandon sans se sentir émue jusqu’au fond de l’âme. Aussi, avant de les quitter, leur promit-elle de leur envoyer quelques prêtres qui devaient se partager dans les différentes missions Acadiennes du Cap- Breton et du comté de Sydney, aujourd’hui Antigonish. A son retour à Québec, Mgr Plessis détacha de son vaste diocèse trois de ses prêtres qui plus tard ont illustré le Canada par leur science, leur vertu et leur zèle. Ce furent MM. Magloire Blanchet, Rémi Gaulin et Antoine Manseau. Le premier eut la desserte de Chéticamp, C.-B; le second comme parlant l’anglais eut Antigonish, et le troisième, Tracadie, Havre-au-Boucher et Pomquet. En parcourant les archives de la paroisse, je vois que M. Manseau avait marié un certain Louis Morel de Pomquet qui était alors maître-chantre, et qui passait pour avoir une belle voix. En 1884, me trouvant à Pomquet, j’entendis un vénérable vieillard de 92 ans chanter au chœur; malgré son âge, il pouvait encore comme dirait quelqu’un faire la barbe à beaucoup de nos chantres actuels. Je voulus converser avec ce vieux patriarche, et je le complimentai sur sa voix encore sonore et agréable. Vous deviez avoir une bonne voix dans votre jeunesse, père Morel, lui dis-je, car vous chantez encore bien pour votre âge. Oui, me dit-il, sans me vanter, M. Manseau trouvait que j’avais une voix musiciale (musicale.) En parcourant ses missions, le Père Manseau recommanda un jour à une femme du Havre-au-Bouché qui se nommait Anne Boutin, née sur l’Ile des Girouard à Arichat-Ouest, d’enseigner le catéchisme aux enfants de la paroisse, (les écoles étant alors fort rares.) Bientôt sa maison se remplit de petits garçons et filles. Comme elle n’était pas riche et que cette besogne ne lui rapportait rien, elle s’en plaignit à M. Manseau. Le bon Père se recueille un instant, et, comme sous une inspiration divine, il lui dit : Continuez ma bonne femme à enseigner le catéchisme et les prières à tous ceux qui se présenteront, et je vous prédis que vous vivrez vieille ! vieille ! vieille ! de plus vous ne manquerez de rien dans vos vieux jours. En 1880, me trouvant au Havre-au- Boucher, je voulus visiter cette vieille dame âgée de 106 ans. Elle m’a elle-même raconté le fait avec toute la lucidité d’une jeune personne. Après trois ans de mission au milieu de ses chers Acadiens, le Père Manseau dût les quitter. Depuis lors cette paroisse a eu de bons prêtres pour la desservir sans cependant faire oublier le Père Manseau dont la mémoire passera à la dernière génération. ACADIEN. Port-Royal, C.-B.