Nos écoles

Newspaper
Year
1889
Month
6
Day
19
Article Title
Nos écoles
Author
---------
Page Number
2
Article Type
Language
Article Contents
NOS ECOLES Nous lisons dans le dernier rapport des écoles, par M. Morse : “Les écoles parmi les Français dans le comté de Digby sont nécessairement plus élémentaires que celles des autres parties du district. Le principal empêchement au progrès rapide dans ces écoles, est la nécessité qu’il y a d’étudier les deux langues. A peu d’exceptions près, les écoles françaises sont grandes, dirigées par les instituteurs de la troisième classe, dont la plupart ne sont pas au fait des Méthodes Normales d’Enseignement. Les avantages d’un cours d’études à l’Ecole Normale, non-seulement pour eux-mêmes, mais aussi pour les écoles sous leur direction, ont été signalés, mais sans résultats pratiques quant à présent. Dans ces dernières années nul n’a décidé de se poser en candidat pour l’obtention de diplômes de l’Ecole Normale.” “Il y a d’année en année des progrès sous le rapport de la capacité des écoles.”—“Le cas le plus remarquable d’insuffisance dans la capacité des écoles, se trouve à la Rivière Météghan, dans la municipalité de Clare. Dans ce cas le Bureau des Commissaires a donné aux syndics avis de pourvoir de l’espace pour deux départements au lieu du seul département d’aujourd’hui. A Météghan aussi la capacité de l’école n’est pas ce qu’elle devrait être. A présent, deux écoles indépendantes sont maintenues. Une d’enseignement diversifié, et l’autre une école gradué pour deux départements. Une grande école centrale à quatre départements est beaucoup à désirer. Les dépenses imposées aux contribuables de cette section et de la suivante dans la construction d’une Eglise de $50,000 à peu près terminée, nécessiteront une extension de temps pour l’accomplissement de cette amélioration dont le besoin est si grand.” Nous voyons par le rapport de M. l’inspecteur Morse que le progrès est très-lent dans nos écoles françaises. On ne dit pas pourquoi d’une manière qui nous satisfasse, et nous nous permettons de chercher plus minutieusement la source du mal. Nous allons indiquer quels sont les obstacles qui viennent en conflit avec le progrès désiré, et en même temps nous ferons connaître quelques remèdes. De prime abord, il est facile à constater que trop de classes retardent considérablement le succès général, et c’est là le premier inconvénient; trop d’élèves dans chacun des départements, voilà le deuxième. Avec un tel ordre de choses, l’attention du maître ou des maîtres est paralysée, et la discipline de l’école souffre autant que l’intelligence des élèves. Il faut d’abord un maître qui connaisse son programme et que l’ordre préside dans la division et la subdivision des classes. A cause des inconvénients que nous venons de signaler, il arrive que des élèves sortent de l’école six ou sept ans après qu’ils y sont entrés, et ce qu’ils ont puisé à cette source n’est pas du tout ce qu’il faut à des hommes qui veulent gagner leur vie autrement que par des travaux manuels. Selon le même rapport, les écoles anglaises sont plus avancées; on y constate beaucoup plus de progrès. Nous avons dit que sans ordre, sans bonne organisation, le progrès était impossible, et il faut chercher dans l’ordre et la symétrie le succès des écoles anglaises quand on les compare à nos écoles françaises. Une autre chose, la langue française n’est pas enseignée dans les écoles anglaises, quand dans nos écoles françaises l’enseignement des deux langues est de rigueur. Les instituteurs compétents pour l’enseignement des deux langues sont peu communs, et de là une grande raison du retard dans le progrès de nos écoles françaises. Avant de poursuivre, disons que les rapport [sic] des fonctionnaires du département de l’inspection ne parlent de l’état des écoles qu’au point de vue de l’enseignement de l’anglais. Ce que font nos écoles françaises considérées comme telles, personne ne le sait, hormis ceux qui ont la direction de ces écoles. Or, il est rationnel d’après ce qui précède, que les progrès soient lents. Il ne faut pas croire que les Acadiens peuvent apprendre l’anglais aussi facilement et en un temps aussi court que les Anglais. Dans l'étude de leur langue, ils font preuve d'autant d’intelligence que leurs voisins dans la leur quand les chances d’instruction sont égales, et c’est dans leur sphère naturelle qu’il convient sur tout de les juger. Avant de passer à l’étude d’une langue étrangère, le bon sens seul fait comprendre qu’il faut connaître sa langue propre. Or, la langue des Acadiens, c’est la langue française. Pourquoi alors ne pas leur enseigner d’abord leur langue propre et en faire le principal point du programme élémentaire. Ici nous parlons d’expérience, les Acadiens n’ont rien à gagner et tout à perdre dans l’oubli de leur langue, et ils doivent faire l’impossible pour procurer à leurs enfants une bonne instruction française. Pour un grand nombre, la langue anglaise n’est pas plus intelligible que la langue grecque, et pour qu’ils apprennent la langue anglaise avec moins de difficultés, il convient qu’ils soient d'abord renseignés sur la leur propre, qu’ils puissent la parler et l’écrire convenablement. Si nous voulons retirer les plus grands bénéfices possibles de l’enseignement élémentaire, pourquoi ne pas nous borner à l’enseignement de notre langue? Nos enfants ne peuvent fréquenter les écoles publiques que 4 ou 5 ans au plus, et tout ce temps est perdu pour eux s’il est employé autrement. Rien de plus ridicule qu’un instituteur français enseignant l’anglais à des français parmi des français! C’est cependant ce que l’on voit tous les jours et c’est pitoyable. Comment ces enfants peuvent-ils se souvenir longtemps des quelques explications du maître quand ils n’entendent plus un mot d’anglais après leur sortie de l’école; dans les familles on ne parle que français, et ce ne serait pas un honneur si le contraire arrivait. Les leçons d’anglais sont perdues et l’enseignement de la langue maternelle souffre étrangement. L’expérience prouve qu’il vaut mieux connaître à fond sa langue propre que deux ou même trois idiomes étrangers d'une manière machinale. Ici, nous sommes Acadiens, et notre langue c’est encore celle de nos pères. Nous ne parlons l’anglais que par exception, et encore cela n’arrive que lors que nous allons dans des centres où la majorité de la population est anglaise. Le français donc, c’est la langue qu’il nous faut; c’est aussi celle que nous devons chercher à conserver avant tout. Lorsque les enfants des écoles primaires ont maîtrisé les premiers éléments de leur langue, alors si la langue anglaise est nécessaire (ce qui arrive assez souvent) l’instituteur peut introduire la langue anglaise. L’enfant saura mieux ce que c’est qu’une langue et il pourra faire preuve de plus d’intelligence dans l’étude de l’anglais; ses progrès seront plus sûrs et plus rapides. Dans tous les cas, ne vaudrait-il pas infiniment mieux que les français conservassent leur bel accent gaulois? Oui, que les Acadiens apprennent et parlent l’anglais si c’est une nécessité des circonstances, mais qu’ils sachent au moins montrer aux Anglais que c’est par nécessité qu’ils le font, et qu’ils seront toujours dignes de leurs ancêtres. Ce que nous déplorons ici, nous avons eu le chagrin de le constater mainte et mainte fois au Nouveau-Brunswick, mais il faut espérer que le temps fera œuvre de justice et que la langue française finira par trouver dans les écoles la place à laquelle elle a droit. Nous sommes dans un pays libre. Rien ne nous empêche de nous montrer ce que nous sommes, et l’acclimation [sic] nationale étrangère serait une pusillanimité. Soyons français jusque dans la moëlle de nos os, et honte à ceux qui rougissent de leur sang. Notre inspecteur local pourrait encourager la langue française, et on doit se demander au moins s’il s’en occupe comme de tout [sic] autre branche de l'enseignement primaire. S’il ne connait pas suffisamment notre langue il n’est pas l’homme comme il faut où il le faut, et c’est aux autorités à voir dans cette importante affaire. Acadiens, gardez l’héritage de vos pères—la belle langue française—et faite l’impossible pour le léguer intacte à vos enfants. En avant et courage! Pour la partie qui concerne les inspecteurs, disons qu’elle peut s’appliquer à tous les inspecteurs de districts français dans les provinces.