Les Acadiens de la Louisiane

Year
1909
Month
8
Day
12
Article Title
Les Acadiens de la Louisiane
Author
Antonio Huot
Page Number
01
Article Type
Language
Article Contents
Les Acadiens de la Louisiane (Suite) Qu’il y ait eu antipathie ouverte et continue ou non de la part des autorités espagnoles envers les colons acadiens, il n’en reste pas moins vrai que ce fut grâce à la charité française – puisque Foucault administrait encore la Louisiane au nom de Louis XV en 1765 – que les pauvres exilés purent se construire de nouveaux foyers pour y mettre à l’abri, le plus tôt possible, leurs femmes, leurs vieillards et leurs enfants harassés, n’en pouvant plus après une aussi longue et aussi lamentable odysée. Leur établissement se fit en deux colonies : les uns s’installèrent dans la paroisse Saint-Jean-Baptiste, sur le Mississippi, à peu de distance au nord de la Nouvelle-Orléans et finirent même par remonter jusqu’à la Pointe-Coupée (aujourd’hui New Roads) et à Bâton Rouge, d’où le nom de Côte des Acadiens que cette partie du pays porte encore aujourd’hui; les autres allèrent s’établir là où l’Etat leur avait concédé des terres, aux Attakapas (Saint Martinville) et aux Opelousas (Opelousas encore de nos jours) et, plus tard, par extension, au bayou Lafourche (maintenant Thibodaux). Culture, chasse et pêche, telles furent leurs premières occupations; elles sont encore celles d’un grand nombre d’entre eux. La Louisiane est toujours le paradis des chasseurs, comme au temps où notre compatriote LeBoucherville écrivait son fameux Une de perdue deux de trouvées – un livre, disons le en passant, joliment étonnant par la fidélité de ses descriptions et de ses études des mœurs louisianaises “d’avant la guerre.” Grâce à leurs nombreuses familles, les Acadiens eurent vite fait de s’emparer de tous les bayous du sud de l’Etat et, de tous les bayous du sud de l’Etat et, de nos jours, dans toute la Basse Louisiane, on trouve un très grand nombre de Bourgeois, de LeBlanc, de Boudreaux, de Landry, de Comeaux, de Breaux, de Thibaudaux, de Richard, de Thériaux, de Dugas, de Babin, de Dupré, de Robichaux, de Gaudet, ou Gaudé, de Lirette, de Hébert, de Poirier, d’Arceneaux (on écrit ce nom ainsi en Louisiane) et même, dans la paroisse Terrebonne (Houma, Montégut, Gros Caillou, Petit Caillou, etc.) beaucoup de Bergeron et de Bélanger (ces derniers certainement d’origine canadienne et descendants de Nicholas Bélanger, natif de Québec et marié à Marguerite Lejeune, des Illinois, le 26 janvier 1768 à la Pointe-Coupée). On est étonné d’entendre tous ces descendants acadiens parler encore si bien le français quand on sait que, depuis la guerre de Sécession, il n’existe pas une seule école publique ou paroissiale qui soit exclusivement française dans la campagne louisianaise. A Thibaudaux, par exemple, sur le bayou Lafourche, peu s’en est fallu que nous nous soyons cru dans une de nos vieilles paroisses de la Côte Beaupré. Là, nous avons eu le plaisir de causer avec des Thibodeaux, des Aucoins, des CAillouet et des Richard. Pas un, jeune ou vieux, qui ne fût prêt a répondre à tout en français. Il faut dire, aussi, que le vénérable abbé Dubourg, le curé de la paroisse, n’a jamais laissé prononcer un seul mot d’anglais dans la chaire de son église et qu’il a toujours tenu à faire ses catéchismes en français. Bon nombre de curés imitent ce fier Breton de Saint Malo; et c’est encore aux prêtres que cette autre minorité française devra, pour une bonne part, la survivance de sa langue maternelle. De plus, les Acadiens de la Louisiane ont pour eux deux éléments de force nationale extrêmement puissants : l’attachement à la terre et l’absence presque générale de mariage mixtes. Laboureurs ils étaient quand ils sont arrivés en Louisiane, laboureurs ils sont restés, au moins pour le plus grand nombre. Lisez, plutôt, cet inventaire de la propriété “de Jean H. Lirette et de sa défunte femme Marie Th. Braux fait à l’habitation dudit Jean Lirette de la paroisse de terrebonne, le 16 mai 1835 :” Premièrement : 1 jument et son poulin estimés vingt-cinq piastres. 2e item. une pouliche estimé huit piastres. 3e it. : un bœuf estimé vingt-trois piastres. 4e it. : Deux cochons au parc estimés ensemble douze. 5e it : Un lot de seize cochon estimé onze piastres. 6e it. : Une vieille paire de roues de charrette à bœuf estimée hit piastres. 7e it. : Une autre paire de roues estimée trois piastres et demie. 8e it. : Un lot d’outils estimé trois piastres et demie. 9e it. : Cinquante volailles estimées douze piastres et demie. 10e it. : Une vieille charrue et son grément estimés trois piastres. 11e it. : Un lit estimé vingt et une piastres. 12e it. : Un autre lit estimé vingt piastres. Total…….. $159,00 Au dire des vieux Acadiens de Terrebonne, les Lirette ont toujours été considérés comme “les habitants les plus à l’aise” du district. Que pouvaient bien avoir les “petits habitants” de la paroisse? On n’a qu’à feuilleter, ici, les registres paroissiaux pour comprendre combien difficilement la langue anglaise peut avoir accès aux foyers acadiens. Voici, par exemple, quelques extraits de baptême que nous avons cueillis dans les registres de Thibodeaux et de Houma : 135. Ermogène Robichau Le 30 janvier 1821, j’ai supplée les cérémonies du baptême à Ermogène fils d’Etienne Robichau et de Henriette Arseneau né vers la fin de novembre 1820, le parrain a été Valentin Robichau, et marraine Clémentine Robichau. (Signé) P. Borgna, prêtre missionnaire. 751. Josephine Arseau L’an mil huit cent vingt-quatre le vingt huit décembre a été baptisé sub-condition Séraphine fille lèg’e de Nicolas Arsenaux et de Carmélite Breau, née le dix-neuf février à dix heures du soir. Le parrain a été Louis Breau et la marraine Angélique Bourgeois. (Signé) A. Potini, curé. 306. Camille Eve Leblanc L’an mil huit cent Cinquante huit et le onze juillet, je soussigné ai baptisé Camille Eve, né le vingt quatre mars dernier, fille légitime de Jean Marie LeBlanc et de Marie Aglaé Boudraux; le parrain a été Homère Babin et la marraine Lima LeBlanc. (Signé) Fr. Fasset, curé. Nous pourrions en citer ainsi des centaines. Sauf de rares exceptions, au témoignages des curés eux-mêmes, c’est en 1909 comme c’était en 1790, en 1800 et en 1850. Il n’y a pas l’ombre d’un doute que nous avons là une des principales causes de la survivance de la race acadienne en Louisiane. Les Acadiens ont certainement apporté aux Louisianais un puissant appoint dans la lutte pour la conservation du français en ce pays. Il est même arrivé que bon nombre de familles d’origine allemande (établissement du Chevalier d’Arensbourg au XVIIe siècle) ont vu leurs noms et leurs mœurs se franciser au contact des Acadiens et, par exemple, les Foltz devenir Folse et des Tups se transformer en Toups. Certains Américains paraissent être sous l’impression, malgré tout, que les Acadiens parlent un patois. C’est toujours la légende du parisian french et de l’acadian french, aussi absurde en Louisiane qu’au Canada! Il est certain que les Acadiens du peuple ne parlent pas la langue d’un Frédéric Maçon prononçant un éloge académique; pas plus, d’ailleurs, que le peuple américain ne parle la langue de Roosevelt faisant le panégyrique de Lincoln devant le corps diplomatique. Ce qui n’empêche pas le peuple acadien de parler français, avec, évidemment, des archaïsme, des anglicismes, ici et là, et quelques pittoresques expressions de terroir. Ainsi, un jeune Acadien à qui un voyageur demandera quand part le bateau de Houma pour le Petit-Caillou lui répondra : “Drès que la malle est arrivée.” Un autre montrera du doigt à ce même voyageur le bateau à vapeur quittant le bayou Terrebonne pour la Nouvelle Orléans en lui disant : “Le bateau gouvarne comme ça jusqu’à Petit Caillou, et là y dévire.” Ce sera, un autre jour, une vieille Acadienne qui demandera à son curé de bénir ses chandelles (cierges) tout de suite parce qu’elle est “su la parlance”. Une mère de famille dira de son fils qui est au collège qu’elle l’a trouvé tout maigrechine, la dernière fois qu’elle l’a vu. Les Acadiens répéteront “comme ça” vingt fois pour rien : “Je luis dis comme ça…. Il m’a répondu comme ça…” Ils amarent leur cheval, débarquent du buggy et rembarquent, tout comme chez nous. Vous les entendrez dire couramment naviguer pour voyager. “Il faut naviguer pour apprendre”, disait une bonne bonne vielle a son fils qui n’était pas encore allé voir la paroisse voisine. Ils diront : une cousine germine, un grand-t-inguélingue (un grand-élingué au Canada), un chemin méchant, une routine (sentier), les agrès du cheval (harnais), piasse (piastre), claion (barrière au Canada), un cheval des chemins (un cheval qui amble, lambreur au Canada), du farcir (farce), frédir et fret (refroidir et froid), une anso (clairière en forme de demi-cercle sur la lisière d’un bois), hucher et héler (appeler), crier pour la pirogue (appeler au secours), être dans les fardoches (être dans l’embarras), aller à la macorne (mariage) à la fille à X., faire chaudière ensemble (se marier), etc. Des puristes pourront se scandaliser de ces expressions et de beaucoup d’autres semblables. Quant à nous, nous ne pouvons qu’admirer la puissance vraiment étonnante de cette force conservatrice qu’est la tradition nationale. Lorsqu’on a presque désespéré de la survie d’un groupe français perdu au fond d’un pays de langue étrangère et qu’on la retrouve, cent-cinquante-quatre ans après sa séparation de la mère patrie, plein de vitalité, n’ayant peut-être pas perdu un seul de ces vieux mots du terroir qui sont souvent l’expression la plus fidèle de l’âme nationale, fier – le groupe louisiano-acadien l’est encore en grande majorité – de se rattacher par le souvenir aux ancêtres qui ont si cruellement souffert pour garder intactes leur foi et leur race, on se prend à remercier Dieu d’avoir donné à ce malheureux peuple la force de léguer à l’histoire un aussi bel exemple de fidélité. Antonio Huot.