Les Acadiens de la Louisiane

Year
1909
Month
8
Day
5
Article Title
Les Acadiens de la Louisiane
Author
Antonio Huot
Page Number
4
Article Type
Language
Article Contents
Les Acadiens de la Louisiane Il ne faut pas oublier ce que nous enseigne l’histoire sur le grand dérangement de 1755 pour bien comprendre comment s’est fait l’établissement des malheureux exilés d’Acadie en Louisiane. On sait que les membres d’un bon nombre de familles se trouvèrent brutalement séparés dans l’embarquement sur les vaisseaux anglais qui les emportèrent loin du sol natal, pendant la période de l’année terrible qui alla d’octobre à la fin de décembre. D’après l’abbé Le Guarne, dans les seules maisons de Petitcoudiac (Petitcodiac) et des environs, il n’y eut pas moins de soixante mères de famille qui furent séparées de leurs maris. Hutchinson, dans son History of Massachusetts Bay (vol. III, p. 40), écrit : “En plusieurs circonstances, des maris qui s’étaient trouvés absents lors de la capture de leur famille, furent embarqués à destination de certaines colonies anglaises, tandis que leurs femmes furent mises sur d’autres navires destinés à des colonies très éloignés des premières…” Enfin, un journal du temps, le New York Mercury (numéro du 30 août 1762), disait, à propos d’une seconde expulsion d’Acadiens (de Halifax à Boston en 1762), sous Belcher, le successeur de Lawrence : “Leurs femmes et leurs enfants n’eurent pas la permission de s’embarquer avec eux, mais furent mis sur d’autres vaisseaux.” Après cela, comment nous étonnerons-nous d’avoir entendu raconter, cette année même, en Louisiane, cette légende qui veut que, plusieurs années après l’arrivée des Acadiens dans ce pays, un curé d’une paroisse louisianaise, en train de s’assurer qu’il n’y avait pas de parenté entre deux fiancés acadiens tout près de se marier, ait trouvé dans ses registres la preuve certaine que les deux jeunes gens qu’il avait devant lui étaient frère et sœur? Sept mille de ces malheureux furent ainsi chassés de leur patrie. Les uns furent disséminés par les capitaines anglais sur les côtes de la Nouvelle-Angleterre; d’autres furent conduits jusqu’aux Antilles; un troisième groupe parviendra, plus tard, à se réfugier au Canada et en France. Personne de ceux qui s’intéressent à cette question d’histoire n’a oublié l’incident dramatique qui marqua le voyage de la première escadre lorsque, le sloop de guerre Baltimore qui convoyait les vaisseaux portant les exilés ayant jeté l’ancre dans le port de New York à l’arrivée de la flotte, un des senaux reçut l’ordre de continuer, seul, jusqu’à la Caroline du Sud pour y transporter ses passagers. L’un des exilés qui était sur le vaisseau, l’héroïque Charles Belliveau, après s’être concerté avec six de ses compagnons, se jeta à l’improviste, une fois le senau en pleine mer, sur le capitaine et l’équipage anglais, les maîtrisa en un clin d’œil, puis, prenant la barre, fit virer le vaisseau vent de bout, le dirigea sur l’Acadie et le conduisit jusqu’au port de St-Jean, où il arriva le 8 janvier 1756. Ce fut en 1764, au mois de février, que les premiers Acadiens touchèrent le sol hospitalier de la Louisiane. Quatre familles (vingt personnes) arrivèrent, à cette date, de New York à la Nouvelle-Orléans. Bientôt, les bonnes nouvelles que donnèrent les premiers arrivés aux exilés de la Nouvelle-Angleterre et des Antilles déterminèrent un courant d’immigration considérable qui devait se couronner, en 1785, par l’arrivée en masse des réfugiés de France. Le 28 février 1765, Foucault, commissaire du roi Louis XV en Louisiane, écrivait au ministre de France : “J’ai l’honneur de vous informer qu’il est arrivé ici, il y a peu de jours, plusieurs familles acadiennes, faisant nombre de cent-quatre-vingt-treize personnes. Elles ont passé de l’Acadie à Saint Domingue où elles se sont embarquées sur un bâtiment marchand pour se rendre ici.” Le généreux commissaire recommande ces familles à la charité royale, les ayant trouvées, écrit il, “pauvres et dignes de pitié.” Puis, il ajoutait : “Je n’ai pu me refuser à leur accorder la subsistance, jusqu’à ce qu’elles aient choisi des terres au quartier des Opelousas et qu’elles soient en état de se passer de secours.” Dans une nouvelle lettre, datée du 13 mai de la même année, Foucault signale au ministre l’arrivée de quarante-huit autres familles acadiennes : “Comment les transporter sur ces terres (des Opelousas et des Attakapas) – écrit-il? Comment les faire vivre, jusqu’à ce que la culture les ait mises à l’abri du besoin? Comment leur procurer les instruments de culture nécessaire?” Pendant quelques années, les groupes d’immigrés acadiens se succédèrent, à intervalles irréguliers, sur la levée (digues) et sur les places publiques de la Nouvelle-Orléans, affrant aux Louisianais le triste spectacle du dénuement le plus complet et de la douleur la plus profonde et leur fournissant aussi l’occasion d’exercer leur charité envers de malheureux frères, victimes du plus infâme guetapens que l’histoire ait jamais enregistré. En 1780, on comptait, en Louisiane, 1,800 Acadiens. Ce nombre, grossi par les naissances et par l’émigration de France de 1785, s’élèvera, bientôt, jusqu’à 2,600. Huit ans plus tard, un recensement de la colonie donne le chiffre de 3,500. Dénués de tout, sans protection de la part d’aucun gouvernement, pleurant encore la perte de leur chère patrie, troupeau brutalement séparé de ses pasteurs, à la charge des pays où ils étaient venus successivement s’échouer, --tels étaient les exilés acadiens à leur arrivée dans ce doux et clément pays de la Louisiane. Avec quelle charité ils y furent accueillis, les lettres du commissaire Foucault en font foi. Non seulement on leur concéda des terres, mais leur donna des outils et on leur distribua même, dans les premiers temps de leur établissement, les rations destinées aux troupes de la colonie. Fallait-il que ces courageux et fidèles enfants d’Acadie fussent profondément attachés à leur race pour oser, il y a cent quarante quatre ans, au milieu de difficultés immenses, traverser la moitié des États-Unis pour aller rejoindre le grand fleupe qu’ils savaient devoir porter leurs barques jusqu’à la Nouvelle-Orléans. Ni la Nouvelle-Angleterre, en effet, à la cause de la prépondérance énorme de l’élément anglo-saxon et où les pauvres exilés se sentaient complètement perdus, ni les Antilles, a cause de la trop grande différence qui existe entre le climat de l’Acadie et celui des Iles, où les Acadiens furent décimés par la fièvre, ne purent retenir les enfants du pays d’Evangéline. Presque tous finirent par se diriger vers la Louisiane : ceux des Antilles sur des vaisseaux qui durent probablement à la générosité des Créoles, et ceux de la Nouvelle-Angleterre par le Mississippi, tous invisiblement attirés vers cette terre française, par le drapeau de la mère-patrie et par le doux parler des aïeux. Nous croyons – nous pouvons nous tromper – qu’il n’existait pas, avant 1907, un ouvrage ou même un document public qui pût faire revivre à nos yeux les péripétis dramatiques de cette odyssée unique de tout un peuple à travers un continent. Grâce à M. Félix Voorhies planteur de Saint-Martinville, Louisiane, fils et petit-fils d’Acadiens, qui publia, il a deux ans, ses touchantes Acadian Reminiscences, nous pouvons, aujourd’hui, nous faire au moins une idée, plus ou moins exacte, de ce que durent endurer, dans ces terribles pérégrinations, nos malheureux frères d’Acadie. Sans doute, il ne faudrait pas attacher à ce nouveau livre l’importance historique d’une pièce d’archives bien et dûment authentiquée. L’auteur lui-même serait le premier à nous le reprocher, s’il nous arrivait de commettre une aussi lourde faute d’appréciation que le serait celle d’accorder à un simple récit d’aïeule la valeur d’un ouvrage parfaitement documenté. Tout en réservant les droits de la critique historique sur ces nouveaux Mémoires, il nous a semblé intéressant d’en faire connaître la substance aux lecteurs de la Revue. La grand’mère de M. Voorhies, une Acadienne des temps héroiques, avait l’habitude de raconter souvent à sa famille, le soir, au coin du feu, les incidents dramatiques auxquels elle avait été mêlée elle-même. Ce sont ces souvenirs de sa grand’mère que le distingué planteur de Saint-Martinville a eu l’eureuse idée d’offrir au public sous ce titre attachant : Acadian Reminiscences. La grand’mère acadienne, dont on nous offre le récit, faisait partie du groupe d’exiles qui alla s’échouer au Maryland. Elle était de la paroisse de Saint Gabriel. Après nous avoir émus avec les détails si pénibles et si indignants de l’embarquement pour l’exil, la grand’mère de M. Voorhies nous décrit l’arrivée sur les côtes américaines : “Enfin, notre vaisseau jeta l’ancre, et on nous dit que nous étions arrivés un lieu de notre destination… On nous fit débarquer avec la même rudesse brutale qu’on avait mise à nous embarquer. On nous fit descendre sur un rivage rocailleux et à pic, et, nous laissant quelques rations, on nous salua de force coups de bérets en se moquant de nous et en nous appelant les nobles patriotes… Le seul espoir qui nous restait était la miséricorde d’une bonne Providence et, le cœur rempli d’une trop grande émotion pour pouvoir prononcer une seule parole, nous nous jetâmes à genoux d’un commun accord et nous suppliâmes en silence le Dieu des exilés de nous accorder la pitié et la protection qu’il accorde à la plus misérable de ses créatures. Jamais prière plus profondément sincère ne monta vers le trône de Dieu. Lorsque nous nous relevâmes, l’espérance, nous souriant de nouveau, illuminait nos cœurs et avait chassé, comme par enchantement, les sombres pensées qui avaient agité nos âmes.” Les pauvres abandonnées couchèrent, cette nuit-là, à la belle étoile Le lendemain, dès l’aurore, ils eurent le bonheur de voir deux cavaliers s’approcher d’eux. C’étaient Charles Smith et Henry Brent, les deux planteurs du Maryland dont les noms sont restés si chers aux descendants des exilés acadiens. “Nous apprécions, dirent aux Acadiens ces généreux Américains, que vous êtes des exilés et que vous avez été jetés sans ressources sur nos côtes. Nous sommes venus vous saluer et vous prier d’accepter l’hospitalité de nos maisons.”—“Bons messieurs, répondit Réné LeBlanc, le vieillard acadien qui s’était fait le chef des deux cents et quelques personnes qui étaient avec lui, vous voyez, en ce moment, devant vous, un malheureux peuple chassé de ses foyers et dont le seul crime est son amour pour la France et son dévouement à la foi catholique. Nous vous remercions de tout cœur pour vos souhaits de bienvenue et pour l’hospitalité que vous nous offrez si généreusement. Voyez, nous sommes plus de deux cents personnes et ce serait taxer trop lourdement votre générosité; rien qu’un roi pourrait mettre à exécution votre noble projet.”—“Monsieur, répondirent les deux Américains, nous sommes citoyens du Maryland et nous possédons de grandes propriétés. Nous avons tout en abondance avec vous. Acceptez notre offre, et les familles Brent et Smith seront toujours reconnaissantes à Dieu de ce qu’il nous a donné les moyens de vous secourir, d’apaiser votre douleur et de diminuer vos peines.” Était-il possible de résister à tant de bonté au milieu de pareilles misères? Trois années durant les Acadiens vécurent sur les plantations Brent et Smith, se rendant utiles, sans nul doute, du mieux qu’ils le pouvaient et s’efforçant de faire moins lourde la magnanime tâche de l’hospitalité chrétienne, si libéralement entreprise par ces derniers. Quelque large que fût cette hospitalité des deux planteurs du Maryland, elle ne parvint pas, cependant, à consoler leurs hôtes des douleurs que leur avait causées l’éloignement de la patrie et la séparation cruelle d’avec leurs parents et leurs compatriotes. Aux premières nouvelles que les Acadiens du Maryland reçurent de l’établissement en Louisiane d’un certain nombre de leurs frères, ils commencèrent à discuter la possibilité d’aller se joindre à eux. Les plus timides traitaient de chimère l’idée d’une aussi audacieuse entreprise. Toutefois, la voix du sang eut vite fait de couvrir les protestations de la crainte. Malgré les représentations de tous les membres des familles Brent et Smith qui s’efforcèrent de persuader aux Acadiens que de nombreux dangers les attendaient s’ils se décidaient à partir, les exilés, après avoir dit un touchant et reconnaissant adieu à leurs bienfaiteurs, se lancèrent, montés sur de grandes charrettes tirées par de vigoureux chevaux, dans la direction de l’Ouest. Ce que fut leur voyage à travers la Virginie, la Caroline du Nord et le Tennessee, on peut assez facilement se l’imaginer. “Notre voyage fut long et ennuyeux, raconte la grand’mère de M. Voorhies. Nous rencontrâmes des cours d’eau rapides et profonds que nous ne pouvions traverser, faute d’embarcations. Nous voyagions à travers des défilés, où la route était étroite et dangereuse, ayant à gravir souvent des montées ardues et à descendre des pentes abruptes où un faux pas de nos chevaux eût pu nous précipiter dans des abîmes et des pluies très abondantes, et, la nuit lorsque nous nous arrêtions pour reposer nos membres fatigués, nous n’avions que la toile de nos tentes pour nous protéger contre l’inclémence de la température.” Enfin, la caravane arriva sur les bords de la rivière Tennessee. Là, nos voyageurs firent la rencontre de trappeurs canadiens, qui les traitèrent royalement : chaudes effusions, joyeuses veillés autour du feu, sans doute, provisions largement renouvelées et, pour couronner le tout, probablement, quelques unes de ces regaillardissantes chansons dont nos pères avaient le secret. Malheureusement, les larmes devaient vite revenir aux yeux des Acadiens. Réné LeBlanc, leur chef, brisé par l’âge et par les fatigues d’un aussi pénible voyage, rendit sa belle âme à Dieu au camp même des Canadiens, consolant encore, à ses derniers moments, ses compatriotes et leur commandant la plus entière confiance en Dieu. On enterra son corps au pied d’une colline; et sur le chêne qui ombrageait sa tombe, on inscrivit son nom et l’on grava une croix au dessus à l’aide d’un couteau. Nos braves Canadiens, touchés de l’affliction de leurs frères d’Acadie, s’empressèrent, on peut bien le croire, d’offrir le concours de leurs bras puissants à ces malheureux en les aidant à construire les barques dont ils avaient besoin pour descendre le Tennessee jusqu’au Mississippi et pour se rendre, par le grand fleuve, jusqu’à la Louisiane, objet de leurs rêves. Après de longs ours d’un travail opiniâtre, où Acadiens et Canadiens durent rivaliser de courage et d’entrain, de robustes pirogues emportaient les exilés vers le Meschacébé. Ne marchant que de jour, amarrant, la nuit, leurs barques aux arbres du rivage afin de prendre un repos bien gagné, relevant, de temps à autre, le courage des rameurs par quelques vieilles chansons apprises à Saint-Gabriel, ils purent, enfin, toucher le sol louisianais au bayou Plaquenmines, à cent milles, à peu près, au nord de la Nouvelle-Orléans, d’où ils repartirent, presque immédiatement, pour le bayou Téche sur les bords duquel se trouvait le poste des Attakapas, aujourd’hui Saint-Martinville. Là, des frères arrivés peu de temps auparavant leur firent oublier, dans la joie des premières etreintes, trois ans de souffrances cruelles et d’humiliations profondes. Le récit de la grand’mère acadienne s’arrête ici. Terriens dans l’âme, les Acadiens, depuis leur arrivée en Louisiane jusqu’à nos jours, ont toujours été, en majeure partie, des travailleurs agricoles. Garçons de ferme sur les plantations, petits propriétaires ou, comme ils disent encore aujourd’hui à la mode canadienne-française, “petits habitants”, ils se sont comme rivés au roi d’où rien n’a pu les arracher dans les petites villes de la Basse Louisiane, cependant, comme Saint Martinville, Thibodeaux, Abbeville, Nouvelle Ibérie, New Roads (autrefois Pointe Coupée), etc., on trouve, aujourd’hui, un certain nombre d’Acadiens qui sont juges, avocats, médecins, marchands, comme, par exemple, le juge Caillouet, de Thibodeaux, et le maire Aucoin, de la même ville. On n’ignore pas non plus, au Canada, que le juge en chef actuel de la Cour Suprême de la Louisiane est un Acadien, M. A. A. Breaux. Ce que l’on ne sait, peut être, pas aussi bien, c’est que la race acadienne a donné trois gouverneurs à la Louisianne : MM. Henri S. Thibaudaux (le fondateur de la ville qui porte son nom), Alexandre Mouton et P. O. Hébert. Preuve que si l’on ne trouve pas un plus grand nombre de ces descendants acadiens dans les hautes sphères sociales de la Louisiane, --nous voulons parler des grandes villes – cela est dû moins à l’ignorance dont les accusent en bloc certains Américains (alors que ceci n’est que le cas exceptionnel de certain colons des bayous très éloignée des grands centres) qu’au fait de leur inébranlable attachement à la terre. Il faut avouer qu’ils sent indéracinables. Nous connaissons un planteur qui emploie, sur sa propriété située près de Lockport, trois cent fermiers de descendance acadienne. Ils ont chacun leur lopin de terre où ils cultivent la canne à sucre et reçoivent du planteur une part des bénéfices réalisés par la vente de leurs produits. Là, ils vivent heureux et le plus simplement du monde, toujours fidèles à la foi et à la langue des aïeux, et n’ayant pour tous défauts qu’un trop grand amour des amusements et une absence un peu trop marquée d’économie. Quelle est la race qui n’a absolument rien à se reprocher? Et pourtant – il est pénible de le reconnaître – ce beau nom d’Acadiens qu’on a corrompu ici en celui de Canadiens, est un peu un terme de mépris dans la bouche d’un bon nombre d’Américains. C’est à tel point vrai que certaines familles de la campagne louisianaise – elles font exception, heureusement! – dont l’origine purement acadienne est parfaitement établie par les registres paroissiaux, rougissent, aujourd’hui, de revendiquer ce noble titre et préfèrent se dire Créoles (descendants d’Espagnols ou de Français du pays) pour qu’on ne les appelle pas Cadiens. Après enquête, nous sommes parvenus, heureusement, à découvrir que cette espèce de dédain pour les descendants acadiens n’a qu’une futile motif. Les citadins louisianais se sont toujours amusés de la tenue et de l’air campagnard de nos Acadiens que celui-ci viennet en ville, tout comme le gavroche québecois s’amuse encore innocement aux dépens de ceux qu’il appelle les habitants. Rien de bien grave, comme vous voyez. La Louisiane était espagnole depuis deux ans (traité de Fontainebleau du 8 novembre 1763) lorsqu’y arrivèrent les émigrés acadiens. Une révolution, qui devait être trop durement réprimée en 1769, couvait déjà dans le cœur des colons français, inconsolables d’avoir été séparés, sans leur consentement, de la mère-patrie. De quel œil le représentant de l’Espagne dans ce pays, Don Antonio d’Uiloa, qui débarqua à la Nouvelle Orléans le 5 mars 1266, devait-il regarder cet afflux nouveau de l’élément français sur ce territoire, ou il sentait son gouvernement si profondément détesté? Sans les persécuter ni les opprimer d’aucune façon – l’Espagne était trop généreuse pour cela! – les autorités gouvernementales donnèrent ils aux nouveaux venus l’appui, l’encouragement et la sympathie dont ils avaient un si criant besoin? S’il faut en croire Villiers du Terrage si solidement documenté Uiloa ne sut pas toujours réprimer les mouvements d’irritation que lui causaient les menées de certains colons français contre son gouvernement. Il manqua même, un jour, très gravement aux traditions chevaleresques de son pays et à la charité en vendant ou en laissant louer “Il s’empresse, heureusement, huit mois.” Il s’empresse, heureusement, de réparer les conséquences de ce honteux marché en rachetant, le jour où il apprit que l’officier les avait trafiqués à son tour, ces malheureux enfants d’Acadie. (A continuer)