l'Acadie

Year
1909
Month
7
Day
29
Article Title
l'Acadie
Author
Oscar Havard
Page Number
4
Article Type
Language
Article Contents
L’ACADIE (Du Soleil de Paris, France) Au commencement du XVIIe siècle, des paysans bretons et des laboureurs normands, --devançant de seize ans les premiers puritains anglais que la Fleur de Mai débarqua sur les rivages du Massachusetts, --s’établirent dans cette presqu’ile de la Nouvelle-Ecosse qui portait alors le nom d’Acadie. Agriculteurs et pêcheurs, les Acadiens vivaient au nombre de seize à dix-sept mille dans cette province soumise à l’autorité britannique. L’Américain Longfellow, dans son poème d’Evangéline, n’a fait que traduire en vers le tableau idyllique tracé de la colonie par le célèbre historien Bancroft. Le traité d’Utrecht fut le point de départ des malheurs qui fondirent sur les Acadiens. Catholiques et Français, ils ne pouvaient se résoudre à combattre contre leurs frères dans les rangs britanniques; aussi réclamaient-ils le bénéfice d’une neutralité que l’humanité faisait à leurs maîtres un devoir de respecter. Mais le fanatisme protestant ne permettait pas de respecter de misérables “papistes.” Pour les punir de leur fidélité au Credo ancestral, nulle vexation ne leur fut épargnée. Pendant un demi siècle, toute l’Amérique protestante s’acharna contre ces pauvres à les exterminer, on résolut de se délivrer d’eux par un de ces moyens atroces que le genre humain ne connaissait plus depuis l’époque des conquérants assyriens, --et que le protestantisme anglais et, quelques années plus tard, la Révolution française devaient remettre en honneur : la transportation en masse! Cette mesure infâme, réclamée par ce philanthrope cafard qui, sous le nom de Benjamin Franklin, hypnotisa tant de Français ou à l’ignorance de lord Chatham, fut exécutée avec une cruauté qui en doubla l’horreur. Les bourreaux s’appelaient Lawrence, Winslow, Murray, Saul, etc. Le vendredi, 5 septembre, tous les habitants mâles du village de la Grand’Pré reçurent l’ordre de se rassembler dans l’église. 418 Acadiens obéirent à cet appel. Aussitôt, Winslow déclare à nos compatriotes qu’ils sont prisonniers du roi et qu’on va les jeter sur les plages inconnues. Les prisonniers sont amenés devant la garnison et mis en ligne, six hommes de front. Jusqu’à ce moment, ces malheureux s’étaient soumis sans résistance. Mais à peine leur ordonne-t-on de marcher vers le rivage, que la résistance commence. Avait-on le droit de séparer le fils du père et le frère du frère? Cette dislocation des familles révolte les victimes. Insensible aux protestations des Acadiens, Winslow enjoint aux troupes de croiser la baïonnette contre les Français rebelles. Au moment où le sang va couler, les jeunes gens se résignent à marcher. De l’église au lieu de l’embarquement, la distance n’est pas moindre d’un mille et demi. Pendant tout ce trajet, les mères, les filles, les aïeules, les fiancés, les femmes s’attachent aux pas de leurs maris, de leurs frères, de leurs fils, de leurs petits fils, prient, pleurent, s’agenouillent, essaient de les saisir par leurs vêtements pour les embrasser une dernière fois. Les mêmes scènes se reproduisent dans tous les villages. Sept à huit mille Acadiens furent de la sorte déportés sans jugement par un gouvernement spoliateur qui confisqua leurs biens et les frustra de toutes leurs ressources. Un écrivain éminent, Rameau de Saint Père, dans un livre intitulé Une colonie féodale en Amérique, a écrit l’histoire de l’Acadie et de ses épreuves. Mais ce n’est pas la faute de Rameau s’il n’a pu nous faire connaitre toutes les péripéties de la proscription. Les Anglais ont systématiquement détruit les documents, les pièces, les archives qui révélaient leur infamie. C’est seulement vers le milieu du siècle dernier qu’on a connu quelques détails de la douloureuse histoire. Quand les Anglais font un mauvais coup, leur premier soin est de le cacher. Ainsi en est il des confiscations et des spoliations en masse accomplies en Irlande; ainsi en est-il des cruautés exercées contre les catholiques anglais, sous la vertueuse reine Elizabeth, et des supplies néroniens appliqués dans l’Inde par le gouverneur Warren Hastings. Au mois de septembre 1872, Fustel de Coulanges, dans un article de la Revue des deux Mondes, faisait remarquer que les Anglais qui veulent flétrir le fanatisme invoquent toujours la Saint-Bartélemy, les Dragonnages et l’Edit de Nantes, et se taisent sur leurs propres crimes. Or, l’histoire de la race saxonne – il faut le dire bien haut – est souillée de sang et de boue, à presque toutes ses pages. Nulle nation n’a commis plus de forfaits et n’a moins respecté la vie et la liberté humaines. Mais il en est de l’Angleterre comme de la femme Bancal, du procès Fualdès. Pendant que les assassins égorgeaient Fualdès, un Auvergnat, payé par la Bancal, jouait de l’orgue dans la rue des Hebdomadiers, pour étouffer les cris des victimes. De même, aujourd’hui, encore les Anglais vocifèrent, déclament, tantôt contre Louis XIV, tantôt contre Charles IX, pendant que leurs princes fusillent, égorgent, déportent nos compatriotes de l’Acadie où versent du plomb fondu dans la bouche des Hindous. Trente ans après la proscription, les Acadiens qui lui survécurent reprirent le chemin de la terre que Lawrence et Winslow s’étaient flattés de leur avoir ravie et pour toujours ils rentrèrent dans la patrie dont rien n’avait pu détacher leurs affections et leurs espérances. A l’heure actuelle, ils forment des groupes pleins de vie, fidèles aux vielles mœurs et à l’antique foi. Mais si nos compatriotes n’ont plus à craindre maintenant les abominables services des Lawrence et Winslow, leurs épreuves ne sont pas terminées. Quels sont aujourd’hui les adversaires de l’Acadie? J’ai le regret de le dire, ces adversaires sont les catholiques irlandais d’Amériques. Entendons nous bien, les vexations auxquelles nous voulons faire allusion n’offrent aucune ressemblance avec les violences dont les Anglais du XVIIe siècle se rendirent coupables. Il n’en est pas moins certain que le haut clergé irlandais manifeste contre nos compatriotes une hostilité que nous avons le devoir de dénoncer et de flétrir. Est-il juste, en effet, que les Irlandais déclarent la guerre à notre langue? Si nous réprouvons la conduite de l’Allemagne protestante quand elle exclut des écoles polonaises l’usage de la langue nationale et lorsqu’elle exige que les leçons du cathéchisme soient donnés aux jeunes Slaves dans l’idiome germanique, --comment pourrions-nous accorder au clergé irlandais le droit d’obliger les jeunes Acadiens à n’user que de la langue anglaise à l’église et en classe? De telles mesures sont non moins odieuses en Amérique qu’en Prusse. Que cette assimilation serve les vues du gouvernement fédérale et motive l’entente de Mgr Ireland, archevêque de Saint-Paul et de l’ex-président Roosevelt, on le comprend. Mais la cause de la religion catholique elle-même ne saurait gagner à de telles contraintes. Une expérience séculaire prouve que les Français qui répudient leur langue trahissent également leur foi! Des réunions Nationales – des “Conventions,” pour employer un mot acadien – rassemble à des intervalles régulier des délégués de l’Acadie. Ce peuple de cent cinquante mille âmes, affirme, dans chacun de ses “Champs de Mai,” l’énergique volonté de maintenir son indépendance, sa langue et sa foi. Le 15 août, la solennité de l’Assomption est le jour de leur fête Nationale; le drapeau acadien porte l’image de la vierge de Lourdes. A la dernière “Convention”, de 1908, les délégués supplièrent Pie X de créer à Moncton un siège épiscopal et d’y faire asseoir un évêque acadien. Si, - comme tout le fait espérer, - nos chers compatriotes obtiennent gain de cause, l’avenir de la Nation sera, du coup, assuré par la formation sacerdotale d’une élite de jeunes Acadiens, comme par l’établissement de plusieurs collèges d’où sortiront des hommes qui prendront en main le mouvement de J. rénovation française en Amérique. Catholiques de France, nous ne saurions rester indifférents à une aussi noble cause! Un jour viendra, - et ce jour n’est pas loin, - où, sur les rives du St-Laurent, Canadiens et Acadiens formeront un groupe de quinze millions d’hommes parlant notre langue. Eh bien! n’est-il pas nécessaire que, dès maintenant, nous favorisions non seulement de nos vœux, mais de toute notre influence, l’héroïque colonie qui veut, non sans raison, garder intacte sa langue! –et résister aux manèges plus politiques que religieux d’un parti singulièrement oublieux de son histoire et de nos services? Oscar Havard.