Jacques et Marie: Souvenir d'un peuple disperse (suite)

Newspaper
Year
1888
Month
10
Day
24
Article Title
Jacques et Marie: Souvenir d'un peuple disperse (suite)
Author
Napoleon Bourassa
Page Number
4
Article Type
Language
Article Contents
JACQUES ET MARIE Souvenir d’un Peuple Disperse Par Napoleon Bourassa (Suite) XVIII Un jour de la fin d’août 1755, George était rentré dans ses appartements, très-agité. Il avait assisté à une séance extraordinaire du conseil militaire, tenue au presbytère. Il marchait à grand pas, puis s’arrêtait tout-à-coup, passant fortement ses deux mains sur son front, comme pour enlever une tache hideuse qu’on y aurait imprimée. Il frappait du pied, et on l’entendait articuler avec rage des mots incohérents : - Lâcheté… fourberie… mensonge… infamie. – Il se détournait violemment vers la porte, comme pour s’y élancer, et il restait fixé sur le seuil, répétant comme un énergumène : - Mon devoir! me voilà cloué dessus comme sur une croix…. il vont prendre un infernal plaisir à me le faire remplir jusqu’au bout…. – Et il détacha son épée pour la jeter avec mépris dans un coin. Tout-à-coup, son visage bouleversé se transforma sous l’effort d’un sentiment plus doux, ses yeux enflammés se noyèrent dans ses larmes, et il vint s’affaisser sur son secrétaire, se cachant le visage dans ses deux mains. Il cherchait à se recueillir pour prendre une résolution. Il resta longtemps ainsi; après quoi, prenant une feuille de papier, il écrivit fermement trois pages, les ploya et mit dessus l’adresse de Marie; puis il sortit, emportant avec lui la lettre. XIX Efin, les grands évènements étaient près de s’accomplir. Pendant cette lutte secrète de deux cœurs, dans le petit bourg de Grand-Pré, il s’en était préparé une qui devait agiter durant huit ans l’univers entiers : pendant que ce jeune Anglais essayait de conquérir l’affection de cette fille de la France, les deux nations s’étaient armées pour le combat suprême. Comme on n’avait pas compté sur la “Commission des frontières” pour régler les difficultés entre les deux peuples, on n’avait pas attendu son jugement pour commencer les hostilités. On sait ce qui eut lieu dans la première partie de l’année 1755. L’amiral Dubois de Lamothe avait laissé Brest dès le mois d’avril pour venir porter des secours à la colonie; l’amiral Boscowen quitta Plymouth à peu près dans le même temps pour lui fermer l’entrée du St.-Laurent; mais il ne put réussir dans son dessein : deux vaisseaux seulement de la flotte française tombèrent entre ses mains. On se vengea de cette déception sur les navires marchands; il en fut pris trois cents qui voguaient, confiants dans les lois de la paix qui n’étaient pas encore régulièrement suspendues. Peu après, le colonel Winslow débarqua en Acadie; il avait ordre de déloger les Français de toutes les positions qu’ils tenaient sur l’isthme de Beau-Bassin et dans les environs. Sa mission fut couronnée de succès; tous les forts furent emportés ou détruits. Au Canada, De Beaujeu défit Braddock près de la Monongahéla, et cet échec des Anglais exaspéra toutes leurs colonies. Après la prise des forts Beauséjour et Gaspéreau, la campagne se trouva terminée en Acadie, et les pacifiques habitants de Grand-Pré durent se féliciter de voir les furies de la guerre s’éloigner de leurs foyers; car ils ne gardaient qu’un bien faible espoir de rentrer sous l’empire de la France. Cependant ils ne demeurèreut pas sans inquiètude sur leur avenir. On n’avait pas requis leurs services dans ces premiers engagements, mais il restait bien des batailles à livrer…. D’ailleurs, on avait appris que trois cents Acadiens avaient été pris les armes à la main sous le commandement de M. de Vergor. Il est vrai que ces malheureux avaient été forcés de s’enrôler dans le corps de ce misérable commandant, et qu’ils avaient été graciés après la capitulation; mais le défenseur du Beauséjour avait exigé cette grâce, en rendant la place, et l’on devait penser que des maitres qui menaçaient de mort pour les moindres infractions à leurs ordonnances, reviendraient plus tard sur ce pardon intéressé. On vit bientôt arriver des renforts de troupes dans tous les petits villages du Bassin-des-Mines; des vaisseaux de guerre vinrent jeter l’ancre en face de ces demeures agrestes qui n’abritaient que la paix et la bienveillance. Le colonel Winslow, le vainqueur de Beauséjour, vint établir sa résidence au presbytère de Grand Pré. On remarqua un mouvement inaccoutumé de courrier entre Halifax et tous les centres de population, et l’on se demanda ce que signifiaient tous ces soldats toutes ces patrouilles, tous ces préparatifs, toutes ces dépêches à propos de gens désarmés et qui se trouvaient, plus que jamais, privés de tous secours de leur ancienne patrie. Les natures confiantes, ceux qui avaient quelques rapports avec le gouvernement, les nouvellistes bien renseignés répondirent que les troupes venaient tout simplement prendre les quartiers d’hiver là où elles savaient trouver plus facilement à vivre. La chose était vraisemblable; on ignorait les coutumes de la guerre; on avait l’âme encore ingénue; on crut facilement et l’on resta tranquille. Mais voilà que, le 2 septembre, des pelotons militaires se mirent à parcourir les champs et les villages, au son du tambour; ils distribuaient dans toutes les maisons une proclamation du colonel Winslow. Voici quelle en était la teneur : “Aux habitants du district de Grand-Pré, des Mines, de la Rivière-aux-canards, etc., tant vieillards que jeunes gens et adolescents. “Son Excellence le gouverneur nous ayant fait connaitre sa dernière résolution concernant les intérêts des habitants, et nous ayant ordonné de la leur communiquer en personne; Son Excellence étant désireuse que chacun d’eux soit parfaitement instruit des intentions de Sa Majesté, qu’elle nous ordonne aussi d’exposer telles qu’elles lui ont été confiées : en conséquence, nous ordonnons et enjoignons strictement, par ces présentes, à tous les habitants tant du district susnommé que de tous les autres districts, aux vieillards comme aux jeunes gens, de même qu’aux enfants audessus de dix ans, de se rendre dans l’église de Grand-Pré, vendredi le 5 du courant, à trois heures de l’après-midi, afin que nous puissions leur faire part de ce que nous avons été chargés de leur communiquer; déclarant qu’aucune excuse ne sera reçue, sous aucun prétexte quelconque, et que toute désobéissance encourt la confiscation des biens, et de tous les meubles à défaut d’immeubles. “Donné à Grand Pré, le 2 septembre 1755, la 29me année du règne de Sa Majesté. John Winslow.” Ce document étrange, les secrets importants qu’il semblant recéler, son laconisme, sa forme entortillée, impérative, et la manière extraordinaire que l’on avait adoptée pour le faire parvenir à la connaissance des Acadiens, tout cela fit grnnde sensation. Le soir même de sa publication, un grand nombre de ceux qui ne savait pas lire se rendirent chez le notaire LeBlanc, pour le prier de le leur déchiffrer; et comme le vieillard était le père d’une nombreuse famille et l’oracle ordinaire de Grand-Pré, beaucoup d’autres vinrent lui demander des explications et des conseils. Les Landry se trouvèrent à cette réunion. On parla fort et dru, pendant que le notaire relisait et méditait la pièce tout bas. Plusieurs affirmaient que c’étaient une perfidie voilée; qu’on ne pouvait rien attendre de bon des Anglais, dans de pareilles circonstances. – Posquoi disaient d’autres, sur un ton sinistres, pourquoi, disaient d’autres, sur un ton sinistre, pourquoi tant de mystères et de hâte? pourquoi rassembler nos enfants pour leur parler d’affaires si importantes?.... et puis, cette réunion convoquée le vendredi… à trois heures du soir… le jour des grands malheurs, du sacrifice du calvaire… à l’heure de la mort du Christ! Ah! il y a là quelque chose de diabolique! Il faut s’armer, résister, ou il faut fuir!.... L’agitation était indescriptible; quand le chef otogénaire se leva, le silence se fit dans toute la salle. Tout en lui commandait le respect. Il avait vingt enfants dans l’assemblée, et cent cinquante de ses petits-enfants reposaient sous la sauvegarde de l’honnêteté et de l’honneur du gouvernement; il n’avait pas intérêt à se faire illusion, ni à donner de vaines espérances aux autres. Il avait toujours été, par le choix même des habitants, leur juge suprême et unique dans tous leurs petits différends; et, depuis l’expulsion du curé, c’est autour de lui qu’on venait se ranger, le dimanche et les jours de fête pour faire quelques prières, chanter des hymnes, entendre quelques enseignements de la sagesse chrétienne. Il avait l’extérieur et le caratère d’un patriarche, il était vénéré à l’égal d’un pasteur. - Mes enfants, dit-it; - et sa voix et sa main qui tenait la proclamation, tremblèrent. – Mes enfants, je sais que vous avez toujours suivi mes conseils; je n’ai jamais hésité à vous les donner; les connaissances que j’avais acquises dans ma profession me faisaient une obligation de vous être utile; je remercie le ciel, si ma longue vie vous a servi. Mais, aujourd’hui, je sens que les circonstances sont bien graves, et qu’il faut plus que la sagesse des livres pour diriger nos actions. Je n’ose pas vous donner d’avis, et je laisse à Dieu de vous inspirer ce qu’il est bon que vous fassier. Je vous dirai seulement ce que je pense du décret du commandant et ce que ma conscience me suggère pour ma propre conduite dans ce moment critique. D’abord, je ne devine pas plus que vous les nouvelles destinées que semble nous annoncer ce parchemin. Je n’y vois qu’une chose : c’est que l’autorité a voulu nous en faire un mystère, maintenant, pour avoir l’avantage, sans doute, de nous le révéler et nous l’expliquer plus minitiuesement quand nous serons tous réunis. Vous savez que beaucoup d’entre nous manquent le l’instruction nécessaire pour bien comprendre les lois nouvellement promulguées. Le gouvernement a peut-être eu l’intention de nous épargner beaucoup d’embarras. Il y en a qui soupçonnent des desseins perfides, qui parlent de fuir ou de résister… Je crois que rien de tout cela n’est raisonnable. D’abord, l’Angleterre est une noble nation; elle est incapable d’un acte, d’un guet à pens aussi infâme, d’un subterfuge aussi lâche, pour tromper des hommes confiants et honnêtes, pour enchaîner des vaincus désarmés. Qui, depuis cinquante ans, lui gardent fidélité sur leur honneur et sur leur serment; pour trahir et rejeter des sujets qui ont plus d’une fois souffert pour elle. Quelques subalternes ont pu, souvent, nous imposer leurs volontés injustes; mais aujourd’hui, c’est au nom du roi qu’on nous commande : si l’on abusait de ce nom, nous pourrions toujours en appeler au tribunal de notre souverain; tout citoyen anglais a le droit de se faire entendre de lui. Quant à ceux qui veulent résister, quels moyens ont-ils de le faire? Nous n’avons pas une arme, et personne ne peut nous en fournir; nous sommes environnées de soldats et de forteresses, nul ne peut nous secourir, les Français ont été repoussés de nos frontières…. “Mais nous pouvons fuir, au moins, disent d’autres….” Fuir?... comment?... où?... Le pays est partout occupé par des corps armés; nous ne possédons pas une embarcation; la flotte anglaise garde toutes nos côtes, la mer nous est fermée. Et, mes chers enfants, je vous l’ai souvent dit, malgré tous les efforts que pourra faire la France, sa puissance n’en sera pas moins perdue en Amérique… Nous ne la retrouverons nulle part, sur ce continent! Pourquoi irions-nous errer dans les bois, avec nos femmes et nos enfants à la veille de l’hiver, pour chercher une autre patrie qui sera toujours l’Angleterre?.... Non, je crois qu’il ne nous reste qu’une voie à suivre, celle du devoir; qu’une chose à faire, obéir à l’ordonnance. Nous ne sommes pas libres de changer notre sort, nous pouvons peut-être l’améliorer en montrant notre soumission et notre confiance à l’autorité. Il y a toujours de la grandeur et du courage dans (?) confiance que l’on donne à ceux qui nous la demandent, et cela ne peut inspirer que l’estime et la clémence. Remarquez que, depuis quelque temps, notre gouvernement nous a traités avec plus d’équité que par le passé : c’est peut-être le commencement d’un règne de justice; et dans ce cas, le moment serait mal choisi de nous soulever contre le pouvoir qui nous régit. Puisque nous ne connaissons pas les intentions de l’Angleterre, nous ne pouvons pas les juger et nous serions criminels de nous insurger d’avance contre elles. Je vous le répète, mes enfants, le devoir est notre unique ressource; c’est la seul garantie de tranquillité que nous ayons; tous sont soumis à cette grande loi de la vie sociale, ceux qui commandent comme ceux qui obéissent. S’il nous arrive du mal, nous n’en serons que le victimes, nous n’en serons pas coupables : Dieu prend pitié de ceux qui souffrent, il ne punit que ceux qui font souffrir; il sera pour nous!” Ces paroles firent un grand effet; elles étaient pleines de bon sens. Le silence religieux avec lequel on les avait écoutées se continua; chacun se dirigea vers la porte, le regard abaissé, s’arrêtant, en passant, pour serrer la main du vieillard; on était à peu près convaincu, mais on méditait encore; personne ne répliqua; seulement, quand on entendit la voix d’un jeune homme qui disait à son voisin : Le vieux notaire! il est toujours coiffé de ses Anglais. - Dame, dit l’autre, tous les Leblanc et les Landry le sont; depuis que M. George les visite ils se feraient tous couper le cou pour plaire à ces bourreaux de chrétiens. C’est vrai qu’il est bien poli celui-là, mais après tout, il a tout au plus l’intention de s’amuser; car on dit qu’il en a trompé bien d’autres…. Puisque la petite Landry voulait oublier jacques, ça ne valait pas la peine de nous faire la dédaigneuse, pour ce beau polisson protestant qui rit d’elle, en dessous…. - Et la vieille Trahan, qui dit tout haut qu’il veut la demander en mariage! - Et la mère Landry, qui se geurme déjà à l’idée d’avoir un officier pour gendre… un Anglais… un protestant!... Non, non pas, car Pierriche dit qu’il se ferait catholique!... rien moins que ça… les bêtas, à quoi ça songe-t-il?.... - Ils ont pourtant été prévenus assez sur son compte; je leur ai dit moi-même, ce que j’avais appris de ma tante Piecruche, qui l’avait appris elle-même de son neveu Piecruchon, qui frotte les bottes du gros capitaine Butler : s’ils ont un jour du repentir d’avoir encouragé cette liaison, ce ne sera pas notre faute, toujours. Et le garçon raconta à son compagnon ce qu’avait rapporté le petit Piecruchon; mais il eut soin de baisser la voix; quelques-uns des Landry s’approchaient d’eux, et l’histoire ne leur aurait probablement pas plu. C’était un vilain récit inventé au corps de garde, que les mécontents et les envieux s’empressaient de propager. XX George ne s’était pas fait d’amis parmi ses compagnons d’armes; il les méprisait trop, pour vouloir de leur affection. Dès son arrivée, sa distinction naturelle, sa politesse, ses habitudes aristocratiques avaient indisposé cet entourage incivil : le vernis de l’éducation et de la société offusque d’ordinaire ces natures sordides, parce qu’il met en relief leur écorce grossière. Ses relations avec les Acadiens, les coups qu’il avait fait donner à ses soldats, pour leur conduite à la ferme de Marie, lui avaient attiré leur haine; ces misérables cherchaient toutes les occasions et tous les moyens de satisfaire leur vengeance. D’un autre côté, on avait vu se former depuis quelque temps, au milieu des familles de Grand Pré, une division assez marquée : quoique les adversaires les plus ardents des Anglais eussent déjà quitté le pays à cette époque, cependant il s’en trouvait encore beaucoup que les intérêts de famille avaient retenus, malgré eux, et que révoltait l’idée d’être pour toujours et sans réserve des citoyens anglais. D’autres au contraire, plus timides ou plus sensés, voyant leur situation devenir de jour en jour plus désespérée, plus menaçante, en étaient venus à la conclusion que les conquérants pouvaient exiger d’eux une soumission entière; qu’étant leurs souverains, ils en possédaient toutes les prérogatives, et que c’était folie de vouloir se regimber contre leur autorité. Les Leblanc et les Landry partageaient ce dernier avis, et comme ils étaient les familles les plus riches de Grand Pré, ils avaient de l’influence. Ces deux partis n’en étaient pas arrivés à une rupture complète; ils se dessinaient, seulement, l’un sur l’autre, par la nuance de leurs opinions : chaque événement public venait accentuer davantage cette division; les moindres incidents, l’ombre d’un scandale servaient d’aliment à cette petite guerre de partisans. Les relations assidues du jeune lieutenant avec la famlile Landry ne manquèrent pas, comme on vient de le voir, de servir de thème aux jaloux, aux prétendants déçus, d’abord, puis aux adversaires des Anglais, ensuite. Malgré cette division de la population, le discours du vénérable notaire prévint tout le trouble que pouvait faire naître au milieu d’elle la proclamation de Winslow; les deux partis sentirent la sagesse des paroles du vieillard, et tons se remirent pacifiquement aux travaux de la saison. Une chose leur inspirait quelque confiance : c’est que, depuis trois ou quatre mois, les vexations semblaient avoir fait trève, comme l’avait remarqué l’oncle Leblanc. Ils étaient aussi très occupés à sauver la moisson; le temps pressait, elle n’avait jamais été plus abondante; les gerbes écrasaient les moissonneurs sous leurs épis trop pleins; les greniers allaient regorger; l’abondance s’annonçait partout et tempérait un peu, par les joies qu’elle faisait espérer, les préoccupations politiques. Le peuple, surtout le peuple français, quitte volontiers les sentiers de deuil pour suivre ceux qui conduisent au plaisir. Il ne restait plus ça et là, dans les champs, que quelques javelles; presque partout les grands troupeaux avaient envahi l’espace laissé vide par la récolte. On s’était hâté plus que d’habitude, par l’espoir que les besoins de la guerre allaient nécessiter une vente plus précoce des produits des champs. Ceux qui avaient abrité plus tôt leurs grains assistaient les autres. Ces travaux en commun occassionnaient encore quelques réjouissances; la dernière gerbe, qu’on appelait la “grosse gerbe,” fut brillamment fêtée en plusieurs endroits. C’est peut-être à la ferme de Marie qu’on y apporte plus d’apprêts et de conquetterie. C’était le 4 septembre : tous les frères, tous les cousins, tous les amis, parmi lesquels se trouvaient plus d’un aspirant à la main de notre nouvelle Pénélope, prirent part à la solennité champêtre. Quand la grange eut reçu tout le produit de l’année, les travailleurs se réunirent autour de la plus belle charrette, qui les attendait au bout de la terre. Le vaste véhicule était transformé en char de triomphe. Les hautes échelles avaient été enlevées; dans celles de côté l’on avait entrelacé des branches de sapins; de chaque coin pendaient des guirlandes de verdure que soutenaient quatre des plus beaux cousins; tout au milieu de la voiture s’élevait la reine de la fête, faisceau énorme de six pieds de hauteur, composé des plus beaux épis que le bon Dieux avait fait mûrir, et des plus jolies fleurs qui décoraient encore les prés. Deux bœufs majestueux formaient l’attelage; à leurs cornes étaient attachés, avec des rubans de couleurs variées, des bouquets de feuilles d’érable rougies par les premiers soufflets de l’automne. Deux des plus jeunes de la bande se tenaient assis sur le dos des nobles bêtes, portant chacun un aiguillon orné d’épis; les autres marchaient de chaque côté, chantant des couplets populaires. Quand le cortège fut près d’arriver à la maison, Pierriche alla prévenir la petite maitresse ainsi que le père et la mère Landry, et quelques jeunes voisines qui s’étaient rendues sur les lieux. (A Suivre.)