Eclaircissements sur la question acadienne - le serment d'allegeance (suite)

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Year
1888
Month
10
Day
10
Article Title
Eclaircissements sur la question acadienne - le serment d'allegeance (suite)
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Page Number
3
Article Type
Language
Article Contents
ECLAIRCISSEMENTS SUR LA QUESTION ACADIENNE Le serment d’allegeance (suite) Philipps ne se rendait que trop bien compte de cette évantualité, lorsqu’il envoyait à Londres le rapport de l’ingénieur Mascarène, qui l’indiquait en toutes lettres. Aussi ajoutat-il avec amertume****** : “Nous n’avons ici qu’une ombre de gouvernement; son autorité ne s’étend pas au délà de la portée des canons du fort.” Dans une telle situation, il faut bien avouer que le gouvernement de Port-Royal fut fort heureux d’avoir eu à agir avec une population aussi raisonnable et aussi pacifique que les Acadiens. Et qui les avaient formés ainsi, qui les conseillaient, qui les empêchaient de se révolter? C’étaient les missionnaires, ces mêmes missionnaires qu’on accusait d’être les auteurs de tout le mal. Ceux-ci, on le sait, n’auraient eu qu’un mot à dire pour faire lever en masse tous les Acadiens, qui d’ailleurs en avaient pleine droit. Ce mot, les missionnaires ne le prononcèrent point. S’il y a un reproche à leur faire, c’est plutôt d’avoir trop prêché la soumission et d’avoir peut-être préparé ainsi les calamités à venir. La lettre du P. Justinien, au moment de son départ des Mines, est l’expression de la pensée et de la conduite de ses confrères : “Je vous prie de me permettre de me retirer à l’Ile Royale, afin que l’on ne m’impute pas les troubles qui pourraient arriver. Je suis et serai tout à fait éloigné de fomenter le trouble, que je sois loin ou proche; ce n’est pas que j’aie la pensée que nos Français aient envie de remuer. Je leur rendrai toujours cette justice qu’ils aiment la paix. Mais dans un pays comme celui-ci, ouvert à tous ceux qui voudraient piller et mal faire, le plus court est d’en sortir promptement quand on n’y prétend plus rien.” (1) Après deux ans de séjour en Acadie, Philipps qui, avant d’y arriver, se targuait de tout faire courber sous lui, s’en retourna en Angleterre, découragé dégoûté de l’apathie de la métropole restée sourde à toutes ses représentations, et honteux de n’avoir rien accompli. III Nous allons voir revenir, sous le régime de son successeur, le colonel Armstrong, cette éternelle question du serment qui se renouvellera périodiquement jusqu’à ce qu’elle ait amené la destruction finale. Par la faute de ses premiers représentants en Acadie, l’Angleterre avait placé le peuple acadien, et s’était placée elle-même, dans une fausse position, d’où ni l’un ni l’autre ne savaient plus comment sortir. Dès 1720, les officiers de la couronne étaient déjà fatigués de cette question, et se demandaient s’il ne valait pas mieux en finir par une expulsion totale des Acadiens : mais, en communiquant cette idée au gouvernement de la Nouvelle-Ecosse, ils ajoutaient ceci qu’il est essentiel de bien retenir : “Vous ne devez pas entreprendre de les expulser sans un ordre positif de sa Majesté” (You are not to attempt their removal without His Majesty’s positive order). On sait quel cas le gouverneur Lawrence fit de cette ordonnance si formelle. Armstrong était un esprit inquiet, mal équilibré, d’un caractère fantasque, tour à tour bénévole et tyran. Il finit par perdre la tête, et se suicida dans un accès de frénésie. Réussir là où ses prédécesseurs avaient échoué, c’était son idée fixe, son ambition; il y mettait de la vanité. Il avait à tâche de faire prêter, coûte que coûte, le serment d’allégeance aux Acadiens, et se mit à les tourmenter de nouveau à ce sujet. Tous les moyens furent mis en œuvre pour y parvenir : cajoleries, menaces, pénalité, promesses, et jusqu’à de l’argent. Enfin, le dimanche, 25 septembre 1726, son rêve commença à se réaliser. Il se frottait les mains de joie en se rendant, dans l’après-midi de ce jour là, à la séance du Conseil. Le drapeau britannique flottait au-dessus du bastion, où se tenaient les assemblées du Conseil. La séance s’ouvrit sous sa présidence, en présence des députés acadiens et d’un grand nombre d’habitants. Ce fut alors une scène vraiment machiavélique, et qui serait d’un haut commique, si elle n’était odieuse. Elle est trop caractéristique pour n’être pas rapportée en détail. On va voir avec quel art perfide Armstrong attira peu à peu les Acadiens dans son piège et les y fit tomber. “Je suis heureux, leur dit-il, de vous voir réunis ici, et j’espère que vous comprendrez les avantages dont vous allez jouir et que vous transmettrez à vos enfants. J’ai confiance que vous êtes venus avec une parfaite résolution de prêter serment de fidélité comme de bons sujets, et que vous êtes animés de sentiments de soumission et de loyauté à la fois honnêtes et sincères envers un Roi aussi bon et aussi gracieux que le nôtre, et qui vous a promis, si vous prêtez ce serment et si vous l’observez avec fidélité, qu’il vous accordera non seulement le libre exercice de votre religion, mais même la joussance de vos propriétés et les droits et immunités de ses sujets nés dans la Grande-Bretagne. Quant à moi tant que j’aurai l’honneur de commander ici, je ferai tous mes efforts pour maintenir tout ce que Sa Majesté a si gracieusement promis de vous accorder.” A la suite de ce discours, quelques-uns des habitants démandèrent qu’on leur fit la lecture de la traduction française du serment. Après l’avoir entendu, il demandèrent qu’on insérât une clause par laquelle ils ne seraient pas obligés de prendre les armes. Le gouverneur s’empressa de leur dire qu’ils n’avaient aucune raison de craindre une pareille éventualité, puisqu’il était contraire aux lois de la Grande-Brétagne qu’un catholique romain servit dans l’armée anglaise. Sa Majesté, dit-il, avait tant de fidèles sujets protestants à pouvoir de cet honneur, que tout ce qu’Elle exigeait des acadiens, c’était qu’ils fussent de fidèles sufets et qu’ils ne se joignissent à aucun de ses ennemis; que, s’ils se comportaient ainsi, ils n’auraient qu’à jouir en paix de leurs biens et à les améliorer en toute sécurité. Malgré ces protestations du gouverneur, tous refusèrent de prêter serment et insistèrent pour que la clause fût insérée. Alors le gouverneur, avec l’approbation du Conseil, permit qu’elle fût écrite en marge de la traduction française, afin, dit-il dans son rapport, de les gagner graduellement (by degrees) (1) Public Record Office. Nova Scotia. Vol. III. Lettre du P. Justinien Durand au Gouverneur Philipps, 26 mai, 1720. Voir doc. inédits, No. XXVI, p. 125. Pièces omise dans le volume d’Archives de la Nouvelle-Ecosse. Le P. Justinien Durand mourut à Québec, victime de son zèle, en administrant les sacrements à des équipages attaqués de fièvres contagieuses (1747).