l'Amour de la patrie

Newspaper
Year
1888
Month
10
Day
10
Article Title
l'Amour de la patrie
Author
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Page Number
2
Article Type
Language
Article Contents
L’AMOUR DE LA PATRIE La patrie, qu’est-ce? Pour beaucoup d’hommes, qu’est-ce, en effet, que ce mot ineffable et mystérieux signifie? hélas! rien, un mot vide de sens; c’est l’analyse et la synthèse au point de vue de l’homme grossier, ignorant, qui ne s’est jamais posé cette grave et pourtant simple question : “Comment et Pourquoi?” La patrie, c’est le pays qui nous a vu naitre, nos autels et nos foyers, nos institutions, notre langue et nos lois, ou en deux mots, notre croix et nos armes. La patrie ne se borne pas aux limites de la paroisse natale : elle embrasse un territoire, un pays. Notre patrie, à nous, n’est pas seulement ce poétique coin de terre qu’on appelle le Pays d’Evangéline; non, notre patrie, c’est le Canada tout entier. L’étendard de la patrie flotte au mât de nos citadelles, et nous le voyons toujours avec plaisir. Le chiffon tricolore rayonne de gloire aux yeux du français. Matériellement, ce n’est qu’un peu de toile au bout d’un bâton, mais fallût-il un ruisseau de sang pour laver une insulte faite à ce mémorable chiffon, ah! quelle scène enthousiaste! prompts comme la poudre, deux et trois millions de français se lèveraient avec leurs vastes poitrines prêtes à le verser. C’est ainsi que nous devrions être, nous, enfants du Canada. L’homme qui déchire les entrailles des champs, l’homme qui étudie une science ardue, l’homme qui cultive les lettres, l’homme qui se dévoue à une profession quelconque, tous et chacun ont un objet particulier en vue; tous et chacun ont, à peu d’exceptions près, inné en eux l’amour de leur patrie. Cet amour se manifeste au dehors par ce que nous appelons le patriotisme. L’amour de la patrie est bien différent de l’instinct de la patrie. Un américain mourrait peut-être d’ennui sur les bords du Sénégal, en Afrique, et le même individu pourrait bien ne pas avoir le moindre patriotisme. C’est un être pusillanime qui ne peut s’habituer aux sacrifices quelque légers qu’ils soient, tandis que le patriotisme est susceptible des plus grands dévouements. S’ennuyer, c’est se montrer faible; se dévouer, c’est tout simplement aimer. Nul n’est patriote, nul n’aime sa patrie qui ne peut souffrir un sacrifice pour elle. Quiconque se confine à son humble domaine et voit tout en noir hors les murs de son hameau ne peut aimer sa patrie. Il aime la paix par paresse, et ne saurait se montrer homme de bien parce qu’on en a fait un homme de paille. Encourager une œuvre nationale, comme, par exemple, une bibliothèque, un comice agricole, un journal pour les familles, une revue scientifique ou purement littéraire – c’est aimer sa patrie; en d’autres termes, c’est être patriotique. Le patriotisme n’est pas tout à fait une plante exotique en Acadie. Il s’y trouve des âmes généreuse, fortement trempées qui se devouent à son service, et ils sont assez nombreux pour faire oublier les bédouins, si toutefois il s’en trouve parmi nous. Moins de cris, plus de travail et haut les cœurs! Ne disons plus : J’aime mon pays; montrons plutôt combien on l’aime.