Eclaircissements sur la question acadienne - le serment d'allegeance (suite)

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Year
1888
Month
10
Day
3
Article Title
Eclaircissements sur la question acadienne - le serment d'allegeance (suite)
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Page Number
3
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Article Contents
ECLAIRCISSEMENTS SUR LA QUESTION ACADIENNE Le serment d’allegeance (Suite) Cette démarche inattendue des Acadiens, leur appel au représentant de la France par une voix aussi auto risée que celle du curé des Mines, déconcertèrent Philipps et lui firent craindre de sérieux embarras. L’agitation était, en effet, extrème parmi les Français et se propageait rapidement chez leurs voisins, les sauvages, et le gouverneur n’avait à sa disposition qu’une poignée d’hommes pour maintenir l’ordre. Il est vrai qui les Acadiens n’avaient plus de vaisseaux pour se transporter par mer, mais ils menaçaient de se retirer par terre avec leurs effets et leurs troupeaux du côté de Chignectou (Beaubassin) et de la Baie Verte, ou il aurait été difficile de les atteindre, et d’où ils auraient pu, au besoin, passer dans l’ile St. Jean. Ils s’étaient même mis à l’œuvre et avaient commencé à ouvrir entre Port-Royal et le Bassin des Mines un chemin à travers la forêt, que Philipps défendit de continuer. (1) Ce fut un des grands torts des Acadiens de ne pas avoir persévéré dans cette idée; ils auraient eu sans doute à souffrir de grandes misères, mais ils auraient évité de bien plus grands malheurs. Les sauvages de la Nouvelle-Ecosse, de leur côté, voyaient de très mauvais œil les efforts que faisaient les Anglais pour soumettre les Acadiens à leur autorité, car ils refusaient eux-mêmes de la reconnaître, se regardant comme les seuls maîtres du pays et disant que s’ils avaient permis aux Français de s’y établir c’était par pure bonté et parce que les Robes Noires leur avaient montré la lumière de l’Evangile. Ils menaçaient même les Acadiens de leur inimitié, s’ils concentaient à prêter serment. (2) La présence du P. Justinien à Louisbourg en de telles circonstances fit craindre à Philipps de nouvelles complications, d’autant plus qu’au moment de son départ ce père lui avait écrit une lettre dans laquelle il lui annonçait qu’il quittait la province pour n’y plus revenir. Il allait donc être libre de ses actions, il irait peut-être même jusqu’en France porter au pied du trône les réclamations des Acadiens. Philipps cru donc prudent de dissimuler sa colère, et se hâta d’écrire au père Justinien une lettre fort obligeante, dans laquelle il tâchait de l’adoucir et l’invitait à venir reprendre son poste. Quand on a sous les yeux les inventives que le même Philipps écrivait en ce moment-là même à Londres, contre les missionnaires, il est plaisant de voir avec quelle différence, quelle obséquiosité il traite le P. Justinien, dont il se souscrit le sincère ami. (3) Philipps, qui tenait à ne pas se brouiller avec Saint-Ovide de brouillan en un moment où la France et l’Angleterre étaient dans les meilleurs termes, et qui redoutait en même temps son intervention en faveur des Acadiens, lui écrivit, vers le même temps, pour lui expliquer sa conduite. Il lui représentait les ordres qu’il avait reçus de la Cour, et le priait d’engager les Acadiens à la soumission, ajoutant que s’il survenait des troubles, il les attribuait à ses conseils et que la responsabilité en retomberait sur lui. (4) Saint-Ovide de Brouillan lui répondit avec autant de fermeté que de raison : “L’inaction, dit-il, dans laquelle ces peuples sont restés jusqu’à présent, ne peut ni ne doit leur être importée à crime tant par rapport au défaut des secours essentiels à leur transmigration que par les obstacles que les gouverneurs généraux et particuliers que vous ont précédé y ont mis. “Je ne puis non plus me dispenser Monsieur, de vous exposer que les deux clauses de votre proclamation qui concernent le terme et les circonstances de leur évacuation, me paraissent peu conformes aux assurances de bienveillance qu’ils avaient de la part de la Cour d’Agleterre, surtout après un traité et une convention de bonne foi entre la feue reine Anne et le roi Louis quatorze de glorieuse mémoires, traité qui a été exécuté en entier de la part de la France et en partie de la part de l’Angleterre. “Vous i’ygnorez pas, Monsieur, que par cette convention le sort de habitants de l’Acadie était et devait être le même que celui des habitants de Plaisance; on ne peut rien ajouter à la gracieuseté et à la bonne foi avec lesquelles s’est traitée cette évacuation, et j’aurai l’honneur de vous représenter que rien ne pourrait être plus dur que l’extrémité, ou pour mieux dire l’impossibilité à laquelle se trouveraient réduits ces pauvres peuples, si vous ne vouliez vous relâcher en rien du temps que vous leur accordez et de la manière dont vous exigez leur sortie. “En vérité, Monsieur, ce serait leur faire sentir bien faiblement les effets de la bienveillance royale du roi votre maitre, que vous leur faites valoir avec tant et de si justes titres dans votre proclamation, et dont ils avaient de si heureux préjugés par le traité et la convention dont vous ne pouvez ignorer ni les clauses, ni le poids. “Je suis persuadé, Monsieur, qu’en considération de cette sincère, indisoluble et inviolable union qui se trouve entre les roys nos maitres et leurs états, vous ne refuserez pas l’attention convenable à la représentation que j’ai l’honneur de vous faire et que trouvant à l’avènement à votre gouvernement l’heureuse occasion de faire valoir la forte inclination que vous me protestez avoir de vous y conformer en tout ce qui pourra dépendre de vous, vous me donnerez les occasions d’y répondre en faisant valoir au roi mon maitre l’humanité avec laquelle vous aurez traité ses sujets en cette importante occasion.” (5) Cependant l’agitation allait toujours croissant parmi les Acadiens, qui se croyaient forts de la justice de leur cause. Allaient-ils en venir jusqu’à une révolte ouverte? Le gouverneur Philipps, qui d’ailleurs n’était pas un homme intraitable, en eut d’assez fortes appréhensions pour comprendre qu’il ne devait pas les exaspérer d’avantage. Le terme de quatre mois était à la veille d’expirer et n’avait encore rien obtenu. Il voulut se donner le mérite des consessions en ayant l’air d’accorder par faveur ce qu’il ne pouvait imposer par force, et il annonça qu’il prolongeait le temps fixé pour l’évacuation du pays, en se taisant toutefois sur le reste. Ses officiers les plus expérimentés lui faisaient remarquer que, dans le cas d’une insurrection, la seule paroisse de Port Royal était en état d’assembler et darnier quatre cents hommes en vingt heures. Dès lors, la garnison, enfermée dans le fort ne pouvait les empêcher de tout détruire derrière eux, de rompre les digues, brûler les maisons, granges, moulin, provisions, etc…., en un mot, tout ce qui restait, tandis que leurs familles, aidées des autres habitants, se fraieraint un chemin, avec leurs effets jusqu’au Bassin des Mines. Là, ils rencontreraient le gros de la population, et rien n’était plus facile que de continuer l’œuvre de destruction et de se retirer tous ensemble aux confins de leurs établissements à Beau-Bassins et à la Baie Verte, en face de l’Ile Saint-Jean, où les Français venaient, cette année-là même, de bâtir un fort et de transporter deux cents familles, avec toutes les provisions et le matériel nécessaire à une colonie. Que deviendrait dans ce cas la petite garnisou de Port-Royal, privée de substance et harcelée par les Sauvages, que les Français ne manqueraient pas de soulever avec eux? (1) Archives de la Nouvelle-Ecosse, p. 29. (2) M. de Costebelle marque, que “quelques démarches que les Anglois aient pû faire pour se concilier ces nations (les Sauvages) ils n’ont pû en venir à bout.” Le Sieur Capon lui a même avoué qu’ayant été deputé vers elles pour leur insinuer de reconnoitre le roi d’Angleterre et souffir qu’il fût proclamé parmi eux dans une assemblée publique, ils n’avoient jamais voulu (le) souffir, et lui avoient répondu qu’il n’y avoit point d’autre roi qu’eux sur leurs terres, et que s’ils souffroient les François ce n’étoit qu’en considération de ce que le roi étoit leur père, les ayant mis dans la véritable voie du salut et de l’évangile. “Qu’ils continuent à ne vouloir souffir aucuns nouveaux établissements anglois sur la côte de l’Acadie et aucun de leurs bâtiments n’ose plus mouiller dans le ports ni rades foraines fréquentés par les Sauvages… Tous ces Sauvages reconnoissent le Sieur Gaulin pour leur Missionnaire. “Nota. Il est canadien et du Séminaire des Missions étrangères établi en Canada; il est brave et a fait la guerre avec ces Sauvages contre les Anglois.” –(Conseil de Marine, 28 mars, 1716. (3) Archives de la Nouvelle-Ecosse, p. 24. (4) Archives de la Nouvelle-Ecosse, p. 28. (5) Public Record Office. Nova Scotia, Vol. III. Lettre de Saint-Ovide de Brouillan au général Philipps. Cette pièce d’une importance capitale a été omise dans le volume d’Archives de la Nouvelle-Ecosse publié à Halifax. Voir Doc. inédits, No XXIX, p. 126. La lettre de M. de Brouillan est confirmée par l’extrait suivant des délibération du Conseil de Marine : “L’Acadie n’a été cédée par le traité de paix d’Utrecht qu’à des conventions qui n’ont point été remplies par les anglois. “Par une convention mutuelle entre les deux couronnes le sort des habitants de Plaisance et de l’Acadie étoit égal, avec la permission de se retirer, ils devoient avoir la liberté d’emporter leurs biens meubles et de vendre les immeubles.