Eclaircissements sur la question acadienne - le serment d'allegeance (suite)

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Year
1888
Month
9
Day
26
Article Title
Eclaircissements sur la question acadienne - le serment d'allegeance (suite)
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Page Number
3
Article Type
Language
Article Contents
ECLARCISSEMENTS SUR LA QUESTION ACADIENNE Le serment d’allegeance (Suite) Les habitants de Port-Royal, placés à portée des canons du fort, et par suite obligés à de plus grads ménagements que les autres, consentir à prêter une espèce de serment, mais avec des réserves tellement explicites qu’elle ne pouvaient donner prise d’aucun côté. Voici le texte même de ce serment : “Je promets sincèrement et jure que je veux être fidèle et tenir une véritable allégeance à Sa Majesté le roi George, tant que je serai à l’Acadie et Nouvelle-Ecosse, et qu’il me sera permis de me retirer là où je jugerai à propos, avec tous mes biens, meubles et effets, quand je le jugerai à propos, sans que nulle personne puisse m’en empêcher.” “Annapolis Royal, ce 22 janvier 1715.” (Suivent les signatures.) (1) J’ai insisté à dessin sur cette épisode de l’histoire des acadiens; parce que ce fut là le commencement des interminables querelles au sujet du serment, qui allèrent toujours en s’envenimant jusqu’à la catastrophe de 1755. (2) La position de ce peuple resta la même sous le successeur de Caulfield, John Doucet, dont le nom indique évidement une descendance acadienne devenue protestante. Déjà ce gouverneur commençait à tourner en accusation, contre les acadiens, la détention forcée que ces prédécesseurs leur avaient fait subir. Il osa même reprocher au gouverneur de Louisbourg l’insuccès de la mission du capitaine de la Ronde, ajoutant que c’était au grand détriment des domaines de Sa Majesté le roi George, parce que, si les habitants qui avaient signé s’étaient retirés, on aurait placé sur leurs terres des sujets de sa majesté. (3) La réponse de M. de Saint Ovide de Brouillan ne se fit pas attendre et fut péremptoire : “A l’égard des plaintes que vous me faites que les habitants de l’Acadie ne s’étant point retirés comme l’on en était convenu et que le retardement à causé de la perte à Sa Majesté Britannique, vous avez dû savoir, Monsieur, l’impossibilité dans laquelle M. de Nicholson et autres commandants de l’Acadie les ont mis de pouvoir exécuter les conventions que l’on avait faites; les uns ne voulant pas leur laisser emporter leurs biens, et les autres n’ayant voulu permettre qu’il leur fût, par nous, envoyé des apparaux pour gréer leurs petits bâtiments qu’ils avaient construits et dont ils ont été obligés de se défaire presque pour rien aux marchands anglais; je ne manquerai pas d’informer le roi mon maître de tout ce que vous me marquer sur(?) cela, afin qu’il y donne les ordres qu’il jugera à propos…” (4) Il serait trop long d’énumérer les vexations auxquelles le gouverneur Doucet soumit les Acadiens dans le but de les amener à prêter le serment d’allégeance; il suffit de dire qu’il n’y parvint pas, et que ce fut pour cela qu’il fut remplacé, en 1720, par un personnage bien plus important et revêtu de plus amples pouvoirs, le général Richard Philipps, commandant d’un régiment de l’armée anglaise, arrivant avec le titre de capitaine général et gouverneur en chef de Plaisance (Ile de Terreneuve) et de la Province de la Nouvelle-Ecosse. Le général Philipps était un soldat éprouvé, mais plain de son propre mérite et se prenant fort au sérieux. C’était, au fond, un homme bon assez bienveillant, dont le grand défaut était une ladrerie peu ordinaire. Il le prit tout d’abord de fort haut avec les Acadiens. N’étant encore arrivé qu’à Boston, il parlait déjà de les réduire par la force, et écrivait à Londres, aux Lords du commerce, pour leur demander l’autorisation de faire venir trois compagnies de soldats stationnées à Plaisance, afin d’augmenter dans ce but la garnison de Port Royal. Ainsi le plan de temporisation inventé par Nicholson en trahison de son devoir et poursuivi par ses successeurs avec la même mauvaise foi, arrivait au résultat qu’ils en avaient espéré. Philipps allait profiter de l’inaction à laquelle les Acadiens avaient été condamnés pour s’arroger sur eux une autorité à laquelle il n’avait pas le moindre droit. En effet, les Acadiens étaient restés absolument et uniquement sujets français, n’ayant cessé de réclamer ce titre et proclamant toujours bien haut qu’ils ne relevaient que de leur légitime souverain, le roi de France. Ils n’avaient d’autre tort que d’avoir été honteusement dupés et d’attendre encore, dans leur ignorance et leur naïveté, une réponse promise qu’on se donnait bien garde de leur apporter. (5) Philipps terminait sa lettre par une charge à fond de train contre “les prêtres et les jésuites” qui, disait-il, fomentaient tout le trouble en Acadie, et empêchaient qu’en ne vint à bout de la population. Cette accusation, déjà formulée par ses prédécesseurs, allait se répéter sur tous les tons jusqu’à la fin. Elle était fondée, si c’était un crime d’entretenir des compatriotes dans l’amour du patriotisme et de la religion. Le premier acte de Philipps, en mettant pied à terre à Port-Royal, fut de faire publier partout qu’il avait pleins pouvoirs de régler toutes choses. C’était, dès le début, une assertion complètement fausse. Il est bien vrai que les Lords du Commerce avaient envoyé quelqu’un en France pour circonvenir la Cour de Versailles; mais ils n’avaient rien fait changer aux conventions conclues entre les deux couronnes. (6) Le traité d’Utrecht restait intact, et la lettre de la reine Anne subsistaiat dans toute sa force, comme en 1714. Le roi d’Angleterre lui-même n’avait pas le droit d’y contrevenir encore moins d’autoriser ses représentants à les violer. Il n’y avait qu’une chose à faire en toute justice. C’était de réparer les dommages causés aux Acadiens par sept ans d’injuste détention et par la perte presque totale des moyens de transport qu’ils avaient été obligés de sacrifier, et de leur accorder au moins un an de répit; en un mot, de les laisser parfaitement libres, soit de rester, soit de vendre leurs propriétée et d’emporter avec eux leurs effets, aux termes de la lettre de la reine Anne. C’était au reste, ce qui avait été exécuté, en toute bonne foi, à l’égard des habitants de Plaisance placés dans les mêmes conditions qu’eux et renfermés dans les mêmes clauses du traité. C’était là un exemple frappant que le gouverneur de Louisbourg ne manqua pas de rappeler dans sa correspondance avec Philipps, mais que celui-ci avait trop d’intérêt à cacher pour ne pas feindre de l’ignorer. Sachant qu’il avait affaire à de simples travailleurs sans instruction, il comprit que s’il pouvait les tenir isolés de leurs missionnaires et des officiers de Louisbourg, les seuls hommes d’expérience à leur portée, il aurait bien plus de chance de les amener à ses fins. Il réitera donc des défenses faites par ses prédécesseurs aux missionnaires d’influencer leurs ouailles et même de sortir de la province sans une autorisation de sa part. Il lança ensuite une proclamation (10 avril) où il s’est peint lui-même dans l’exorde flamboyante qu’on va lire et qui lui parut propre à en imposer au peuple. “PAR SON EXCELLENCE RICHARD PHILIPPS, Ecuyer, Capitaine Général et Gouverneur en chef de la Province de Sa Majesté, la Nouvelle-Ecosse ou Acadie, &c…. “Sa Sacrée Majesté George par la grâce de Dieu roi de la Grande Bretagne et d’Irlande, &c…, Duc de Brunswick et Lunenbourg, Seigneur de Brême, Souverain Prince de Hanovre, Prince Electeur du Saint Empire, Seigneur de plusieurs vastes domaines en Amérique et en particulier l’incontestable Souverain Seigneur de toute la Nouvelle-Ecosse ou Acadie, aussi bien par traité que par conquête, &…. &c….” (7) Après cette pompeuse énumération de titres, Philipps proclamait les pleins pouvoirs qu’il prétendait avoir reçus, mais que son roi lui-même, lié par les traités comme je viens de le dire, n’avait pas le droit de lui accorder; il concluait sa proclamation en intiment aux Acadiens l’ordre de prêter sermant au roi d’Angleterre, ou d’évacuer le pays dans l’espace de quatre mois sans emporter leurs effets. Les Acadiens furent attérés en lisant cette proclamation, affichée dans tous les principaux endroits. Comme toujours, dans leurs perplexités, ils eurent recours à leurs amis dévoués les missionnaires, (illisible) décidèrent, malgré les défences de Philipps, le père Justinien, religieux récollet, curé des Mines, à aller porter leurs plaintes au gouverneur de Louisbourg. On imagine la belle colère dans laquelle entra le général en apprenant que le père Justinien s’était fait le porteur d’un tel message. Était-ce un grand crime? Quel est l’homme de cœur qui à sa place, n’aurait pas fait comme lui? “Nous prenons la liberté, disaient les Acadiens à M. de Saint-Ovide de Brouillan (6 mai), de vous écrire par le R- P. Justinien pour vous présenter nos très humbles respects. “Nous avons jusqu’à préssnt conservé les plus purs sentiments de fidélité à notre invincible monarque. Le temps est venu où nous avons besoin de la royale protection et assistance, que vous pouvez nous procurer, Monsieur, en cette occasion. Le général anglais que nous attendions depuis longtemps, est arrivé. Il est pourvu, nous assure-t-il, des pleins pouvoirs de son Prince pour nous foreer à prêter serment d’allégeance, ou de quitter le pays d’ici à quatre mois, sans qu’il nous soit permis d’emporter avec nous quoique ce soit de nos biens personnels excepté deux moutons par famille; il réclame le reste comme la propriété du roi son maître. Cependant, dans cette conjoncture très pressante, nous avons gardé fidélité à notre roi en déclarant de nouveau que nous continurons à être fidèles à notre Prince et à notre religion, comme vous le verrez par la copie que nous vous envoyons de notre réponse à la proclamation publiée par le susdit général. C’est maintenant, Monsieur, que nous avons records à votre intelligence et aux conseils que, dans votre prudence, vous pouvez nous donner en une occasion aussi pénible, et, en second lieu à l’assistance efficace que vous pouvez nous accorder dans le cas où nous serions obligé d’abandonner nos biens.” (8) (1) Public Records Office. Voir Doc. Inédits, No. XIV, p. 110. Pièce omise dans le volume d’Archives de la Nouvelle-Ecosse, publié à Halifax. (2) Les habitants de Port-Royal, des Mines et de Beaubassin, écrivirent, à cette occasion, à M. de Saint-Ovide, gouverneur du Cap-Breton, une lettre à laquelle celui-ci répondit par une espèce de plaidoyer rédigé par demandes et par réponse, pour indiquer aux Acadiens la manière de se défendre. Voir dans les Doc. indédits, pp. 128-129, No. XXX et XXXI, les deux intéressants documents : Lettre des Acadiens et réponse de M. de Saint-Ovide. (3) Public Record Office. Voir Doc. inédits, No. XXII, p. 119. Pièce omise dans le volume d’Archives de la Nouvelle Ecosse publié à Halifax. (4) Voir Doc inédits, No. XXIV, p. 119. (5) Archives de la Nouvelle-Ecosse, p. 17. (6) Archives de la Nouvelle-Ecosse, p. 16. (7) Public Record Office, Nova Scotia, Vol. 3. Voir Doc. inédits, No. XXV, p. 120. Pièce omise dans le volume d’Archives de la Nouvelle-Ecosse, publié à Halifax. (8) Archives de la Nouvelle-Ecosse, p. 26.