Eclaircissements sur la question acadienne

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Year
1888
Month
9
Day
5
Article Title
Eclaircissements sur la question acadienne
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2
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Language
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ECLAIRCISSEMENTS SUR LA QUESTION ACADIENNE Le serment d’allegeance (Suite) Par le traité d’Utrecht conclu en 1713, l’Acadie fut cédée définitivement à la Grande-Bretagne, et les colons français de cette province, qui reçut alors le nom de Nouvelle-Ecosse, passèrent sous la couronne de l’Angleterre. Mais, par une clause spéciale du traité, “il était expressément convenu qu’ils avaient la liberté de se retirer ailleurs, dans l’espace d’un an, avec tous leurs effets mobiliers…. Que ceux néanmoins qui voudraient y demeurer et rester sous la domination de la Grande Bretagne, devraient jouir de l’exercice de la religion catholique et romaine, autant que le permettaient les lois de la Grande-Bretagne.” Peu de jours après la signature du traité (11 avril 1713), la reine Anne, ayant appris qu’à sa demande le roi de France avait accordé la liberté à des prisonniers détenus aux galères pour cause de religion, voulut en témoigner sa satisfaction en octroyant aux habitants français de la Nouvelle-Ecosse des conditions plus favorables que celles stipulées dans le traité. Elle fit adresser, en conséquence, au général Nicholson, gouverneur de la Nouvelle-Ecosse, une lettre dans laquelle elle lui donnait des ordres qu’il est important de citer textuellement : “Vous permettrez, y disait-elle, et allouerez à ceux de ses sujets (du roi de France) qui ont des terres et des emplacements en notre gouvernement d’Acadie, qui ont été ou qui sont attachés à nous en vertu du dernier traité de paix et sont dans la volonté de devenir nos sujets, de retenir et posséder les dites terres et emplacements sans aucun paiement, loyers ou troubles quelconques, aussi pleinement ou abondamment et librement que nos autres sujets font ou peuvent posséder leurs terres et biens, ou de les vendre s’ils aiment mieux se retirer ailleurs.” En présence d’ordres aussi formels, il semble que le gouverneur de la Nouvelle-Ecosse n’aurait dû songer qu’à les exécuter. Il n’en fit rien cependant; et ce fut là le commencement des infidélités commises par des subalternes qui ne devaient être que trop imités plus tard et devaient finir par consommer la ruine des malheureux Acadiens. Dès que ceux-ci eurent appris que leur pays avait été cédé definitivement à l’Angleterre, ils avaient résolu unaniment de l’abandonner et d’aller se refugier soit à l’Ile Royale Royale, soit à l’Ile St. Jean. Ils étaient d’autant plus portés à prendre ce parti que, d’une part, le gouvernement français voulant les attirer à l’Ile Royale, leur offrait des secours pour s’y transporter avec leurs effets et s’y établir; et que, de l’autre, ils avaient à se plaindre des procédés du général Nicholson. Au reste, la conduite de ce gouverneur n’avait pas soulevé moins de mécontentement parmi les Anglais qu’il commandait à Port Royal, que parmi les Acadiens. “Nous espérions, écrivait l’un d’eux, qu’à son arrivée le gouverneur paierait la garnison, et mettrait la place sur un bon pied; mais au contraire il nous a jetés dans la plus grande confusion. Il a renversé les fortifications, mis dehors les français, et chasé tous les anglais qu’il a pu, de façon que la place est presque déserte. En un mot, si ses ordres avaient été de ruiner le pays, il n’aurait pu agir mieux qu’il n’a fait.” De son côté, le colonel Vetch mandait aux Lords du commerce : “Je crois de mon devoir d’avertir vos Seigneuries, en vue du bien public, de l’état où se trouve le pays de la Nouvelle-Ecosse…. Les habitants français sont en quelque sorte forcés de quitter le pays par suite des traitements qu’ils ont reçus de M. Nicolson.” Nicolson s’était flatté que les acadiens n’abandonneraient pas facilement les fertiles terres qu’ils occupaient; aussi fut-il surpris autant que déconcerté en apprenant qu’après avoir mûrement délibéré, en assemblées publiques, sur le parti qu’ils avaient à prendre, ils avaient résolu unanimement de partir sans délai. Ils lui avaient signifié leur résolution par leurs députés, et, joignant l’action à la parole, ils s’étaient mis immédiatement à construire des bateaux et des chaloupes pour se transporter avec leurs familles, leurs bestiaux et leurs effects. Les conséquences d’une telle détermination étaient fatales pour la nouvelle province que Nicholson s’enorgueillissait d’avoir conquise pour l’Angleterre. Elle perdait par là l’importance qu’on y attachait. En effet, les Français partis, la Nouvelle-Ecosse n’était plus qu’un désert hanté par des tribus sauvages, ennemis traditionnels et inréconciliables des anglais. (1) Port Royal, la seule place fortifiée dont la subsistance dépendait des colons, serait forcément abandonnée. (2) Nicolson ne le comprit que trop, et, pour éviter ce désastre, il ne craignit point de violer le traité de paix et de désobéir ouvertement aux ordres de sa souveraine. Il mit les Acadiens dans l’impossibilité de vendre leurs terres et leurs effets en défendant aux anglais de rien acheter d’eux. Il interdit l’accès des ports aux navires français qui devaient leur apporter les agrès nécessaires aux embarcations qu’ils avaient construites. Il leur fit défenses d’écrire à Boston, pour en faire venir; il alla jusqu’à faire saisir leurs bateaux et leurs chaloupes. En un mot, il les retint prisonniers chez eux, comme devait le faire plus tard le misérable Lawrence avant de les disperser aux quatre coins du ciel. (3) En même temps il chercha à les séduir par les promesses les plus flatteuses, leur offrant, s’Ils voulaient rester, les mêmes droits et privilèges qu’avaient les sujets anglais. (4) Ce fut lui également qui inaugura à l’égard des missionnaires des acadiens le système de vexations dont ils curent tout plus ou moins à souffrir dans la suite. Ces prêtres étaient les seuls hommes instruits qu’il y eut parmi eux, et par conséquent les mieux en état de les éclairer. Nicholson leur fit défense de se mêler en rien de leurs affaires et de leur donner des conseils, comme si leur qualité de prêtres leurs enlevait les titres de citoyens et de français, et les privait du droit de donner à des compatriotes placés dans les circonstances les plus difficiles, des avis que ceux-ci leur demandaient. Le but de ses défenses était évident : c’était de mieux profiter de l’ignorance des Acadiens laissés à eux-mêmes, et de surprendre plus facilement leur bonne foi. (1) "Les sauvages des missions françaises des costes de l'Acadie sont ennemis si irréconcilliables de la nation anglaise que toutes nos harangues les plus pacifiques ne peuvent leur imprimer de ne point troubler son commerce; ils pillent et ont pillé plusieurs de leurs bâtiments, empêchent (de pêcher) dans les havres de la dite coste de l'Acadie. Un vaisseau de douze à quatorze canons s'étant perdu sur une petite ile dans la baye française Saint-George, duquel les équipages se sauvèrent à terre avec la plus grande partie de leurs marchandises, les dits sauvages y ont abordé un nombre de vingt hommes armées et se sont rendus maîtres de tout ce qu'ils ont pu emporter avec eux, après en avoir chassé les dits.... Équipages anglais, desquels ils ont même tué un homme et lorsqu'on leur a demandé la raison qui les oblige de tuer des gens qui ne se défendaient point, ils ont répondu que c'était pour faire peur aux autres et, pour autoriser leur violence, ils disent que tous les sauvages de leur nation meurent aux Mines et que c’est par un poison que les Anglais leur ont donné; le Sieur Gaolin les a menacés de ne plus les confesser s’ils ne restituaient leurs pillages. Cela ne leur (?)imprimé aucun scrupule de conscience : bien au contrainte ils lui ont dit qu’ils ne lui demanderaient jamais plus rien. Je vous assure, Monseigneur, que ce sont là des animaux bien difficiles à conduire. J’ai écrit à leur chef tout ce que je devais sur ce sujet par la voie de M. Gaulin. J’aurai l’honneur d’envoyer la copie de ma lettre à Votre Grandeur pour qu’elle s’aperçoive que je ne néglige rien de qui doit calmer la férocité de ces peuples. “DE COSTEBELLE, “Au Port Dauphin, le 9me 7bre, 1715.” Archives de la Marine et des Colonies, Ile Royale. Correspondance générale. Lettre au Conseil de Marine, années 1712-1716. Vol. I, folio 128, verso. Ces rapports du Conseil de la Marine portent pour signatures: L. A. de Bourbon, le Maréchal d’Estrées. (2) “….In case ye French quit us we shall never be able to maintain or protect our English families from ye insults of Indians, ye worst of enemies, which ye French, by theirs staying, will, in a great measure, wend off, for their own sake. – (Nova Scotia Archives. Lt.-Gov. Caulfield to Board of Trade and Plantations, p. 9 (3) Pièce omise adns le volume d’Archives de la Nouvelle-Ecosse, publié à Halifax. “….They had built abundance of small vessels to carry themselves and effects to Cape Britton. –(Pub. Record Office. Lettre from Sam. Vetch to Board of Trade, Sept. and, 1715. – Voir Doc. Inédits, No. XVIII, p. 115. Pièce omise dans le volume d’Archives publié à Halifax. “….Le Sieur de Capon lui ayant dit (à M. De Costebelle) qu’ils nétoient arrives aucuns nouveaux orders de la Cour d’Angleterres pour lever les difficultés que le general Nicholson fit en 1714.” – (Conseil de la Marine, 28 mars 1716. (4) M. Nicolson leur a fait dire que ceux qui voudraient rester sur leurs terres jouiront des mêmes privilèges que les sujets de la Reine et que si leurs prêtes ne vouloient pas rester que la Reine leur en enverroit d’Irlande; ce qui est sûr, c’est qu’on ne doit rien épargnee pour que ce ces habitants sortent, il est très sûr que s’ils sortent, les Anglois ne peuvent garder l’Acadie; la permission de la Reine ne sert de rien; il est défendu aux Anglois de rien; il est défendu aux Anglois de rien acheter. – (Lettre du major L’Hermite au Conseil de Marine, 29 août, 1714.