Louisianais et français

Newspaper
Year
1888
Month
4
Day
18
Article Title
Louisianais et français
Author
----
Page Number
3
Article Type
Language
Article Contents

LOUISIANAIS ET FRANCAIS

 

Nous lisons dans le Messager, de Lewiston, Etats-Unis :

 

Nous avons souvent occasion de lire dans les journaux américains que la Louisiane Française s’en va à la dérive, que sa population diminue en nombre et en influence, et que la langue de nos pères y perd du terrain tous les jours.

 

 

Cette idée est généralement répandue même parmi les Canadiens de la Nouvelle-Angleterre. On se demande souvent comment il se fait que les Louisianais, français comme nous, ayant fait nos luttes au siècle dernier, ayant à peu près la même organisation politique et religieuse que la nôtre et qui même sont restés sous l’influence de la mère-patrie jusqu’au commencement de ce siècle; comment se fait-il, nous demandons-nous souvent, qu’ils n’aient pas su résister à l’absorption étrangère et qu’ils perdent de leur influence au lieu d’en gagner.

 

 

Le Meschacébé, journal français de la paroise Saint-Jean-Baptiste, Louisiane, que nous avons souvent eu occasion de reproduire dans le Paris-Canada, répond pour nous, d’une voix autorisée, à ces questions que les patriotes du Nord n’osaient pas résoudre. Voici ce qu’en dit l’organe de nos frères de là-bas prouvant que le sang française ne ment jamais et que son influence se fait toujours sentir en dépit des hasards de la guerre et des malheurs de la conquête :

 

Vous n’avez qu’à prendre et lire les vieilles liasses du Meschacébe, et vous n’y trouverez pas, comme dans nombre de ses confrères officiels, à la page des shérifs, des ventes et des avis judiciaires, ces mutations, ces dépossessions et ces transferts forcés de propriété qui disent toute une histoire d’épreuves, de déplacements et de misères. Saint-Jean-Baptiste, paroisse courageuse et laborieuse, aussi vaillante après la guerre qu’avant la guerre, sinon plus, est restée maîtresse d’elle-même. Elle n’a point passé dans des mains étrangères. Ses enfants ne l’ont point abandonnée, ou n’en ont pas été proscrits. Elle produit aujourd’hui plus qu’elle ne produisait avant la guerre, et la misère y est inconnue. Et nous disons, sans vouloir abaisser la moralité des autres, que sa moralité est incontestée et que son docket de cour criminelle est rarement volumineux et dramatique, nous ne disons que la vérité.

 

 

Mais si la paroisse Saint-Jean-Baptiste sait tout ce qu’elle doit au temps et progrès, si ses braves habitants, qui ont l’habitude du travail, n’ont pas moins de patriotisme et d’américanisme que leurs voisins, nous répétons que cette vielle paroisse a pieusement gardé le culte du souvenir, qu’elle ne s’est trempée dans aucun Léthé pour perdre la mémoire, et que les ancêtres, en y revenant à cette heure, après un demi-siècle de sommeil, y retrouveraient leurs fils, leurs mœurs et leur langue. Ils n’auraient pas besoin d’interprètes pour être compris. Ils se sentiraient chez eux, en famille, dans la maison hospitalière et louisianaise, ni inconnus ni dépaysés, cemme au temps jadis où le bon abbé Mina était le meilleur pasteur du meilleur troupeau.

 

 

Nous savons bien que tout le mérite n’en est pas au Meschacébé, mais le Meschacébé, l’ami de la paroisse, le conseiller précieux et sans haine, le journal qui juge à propos d’être modeste et sans passion, démocrate dans la large et bonne acception du mot, c’est-à-dire sans l’intolérance et l’injustice des partis, a été le fidèle gardien des honnêtes coutumes, des procédés sincères et vrais, et d’une langue qu’il nous importe d’aimer, de respecter et de ne point abandonner.

 

 

 

Que voulez-vous? C’est la langue de notre race, et nous croyons que cette race n’est point mauvaise. Ce n’est pas nous qui l’abaisserons pour plaire à qui que ce soit, et si nous entendons humilier personne en son nom, qu’il nous soit au moins permis de dire qu’elle a écrit plus d’une belle, brillante et courageuse page de l’histoire de la Louisiane. Dans l’histoire d’un pays, celui-ci comme tout autre, ce sont les colons qui sont les premiers, et les colons ont la noblesse incontestable de la croix plantée, de la maison construite et de la civilisation faite. Ils ont conquis la forêt avec la hache, la terre avec la charrue et l’honneur avec la famille.