Où en sommes-nous à présent

Newspaper
Year
1888
Month
3
Day
14
Article Title
Où en sommes-nous à présent
Author
M. R.
Page Number
2
Article Type
Language
Article Contents
OU EN SOMMES-NOUS A PRESENT “Pleasantly rose, next morn, the sun, on the village of Grand-Pré.” – Longfellow Par un beau matin du printemps l’air pur, le ciel sans nuage, la terre encore ferme sous le pied, monté au haut de la petite colline aux pentes douces bordée en demi-cercle par les eaux noirâtres du Gaspereau, sur cette colline où fut autrefois l’église et le cimetière de Grand-Pré : combien de fois lorsque le soleil de ses premiers feux semblait embraser le ciel et la terre, se mêlait le chant des petites mésanges perhées sur les peupliers, EVANGÉLINE je dirai montait ce sentier d’un pas leste le cœur joyeux attentive au murmure du petit ruisseau qui coule au bas de la colline, un temps passa un temps vint ou la timide Evangéline décendait les yeux baigné de larmes cette petite colline, pas étonnant si la jeune fille pleurait car elle laissait derrière elle la terre d’Acadie pour s’en aller sans appui dans une terre étrangère. Où en sommes-nous aprésent? que signifie ces bois dévastées, ces terres nues, ces champs négligés? que signifie tous ces jeunes gens oisifs pendant l’hiver? au printemps que signifie ces préparatifs de départ, ces trites adieux? que signifie ces vaisseaux entassés de jeunes gens en destination pour un pays étranger? – vaines seraient-elles aujourd’hui les ressources de notre beau pays? vaines sous le rapport du commerce et de l’industrie, vaines sous le rapport de l’éducation, vaines sous le rapport de l’émigration? Dix ans passé la N. É., était un pays encore assez florissant, l’automne si un habitant avait besoin de quelque chose pour l’hiver il était facile pour lui de se le procurer vu, que les quais le long des côtes étaient remplis de vaisseaux marchands qui voyagaient des ports d’Amérique, leur commerce consistait de porter le bois et autres productions des habitants et de rapporter en échange ce dont ils pouvaient avoir besoin. Aujourd’hui tout est changé, à peine s’ils y a deux ou trois vaisseaux marchands dans un port il y a aussi deux ou trois marchands dans les environs, en général point de marchands point de vaisseaux : ainsi pour les habitants moins d’avantage, moins d’argent, moins de liberté – bon Dieu peut-on appeler ceci progrès, avancement 1e pourtant il n’est pas rare d’entendre des individus s’écrier, “Acadiens un soleil brillant se lève sur vous, le commerce va refleurir, l’argent vous arrive en abondance voyez nos mains en sont pleines! Acadiens rejouissez-vous.” Sans se casser la tête à démèler les énigmes des gouvernements, jetons, jetons, un coup d’œil sur la classe ouvrière, et nous y verrons là tout nu la vérité, c’est-à-dire la misère les dettes et pour en finir le bannissement. Que direz-vous d’un habitant chef d’une nombreuse famille réduite par la pauvreté de sacrifier un beau bien pour se retirer de prison, ensuite forcé par la nécessité de traverser la mer avec sa famille pour chercher un lieu de refuge dans un chétif coin des Etats. Ceci n’est point l’histoire d’un ancien habitant de Grand-Pré, ni d’un Irlandais, mais bien l’histoire d’un habitan; de la jolie Baie Ste. Marie réfugié aux Etats depuis quelques années, et aujourd’hui là il possède bonne maison et grange, cheval, vaches, etc. Par ici, il est vraie, nous avons la pêche : dans les ports d’Amérique même ou les habitants s’y adonnent entièrement, où les meilleurs marchés sont ouverts tels que “Province-Town Gloucester etc, ces places dis-je semblent filer derrière. Il nous reste l’agriculture : la France ce pays de richesses est pour nous un exemple, l’Amérique au sol fertile nous éblouit de son or; mais que me sert d’emprunter des voix étrangères, ouvrons le livre ou est écrit l’histoire de nos ancêtres, nous y trouverons là le père d’Evangéline sur le point de quitter sa Cadie expirant de douleur sur la plage reculons une page de ce livre des souvenirs et nous y trouverons que l’aisance de ce peuple consistait dans l’agriculture – quel en est donc la cause si nous ne pouvons pas nous emparer de ces mêmes avantages? est-ce que ce même sol d’Acadie n’est plus pour nous aujourd’hui ce qu’il était pour nos pères autrefois? Hélas non je me trompe, nous n’avons pas besoin de terres à cultiver pour occuper la jeunesse, nous n’avons pas de ports de commerce ou facilité de commerce non plus que d’éducation pour nous éclairer, nous guider, nous n’avons besoin que d’argent pour payer les taxes, d’argent pour payer les droits qui augmentent toujours – s’il se présente quelques petites avantages la pauvreté et le manque d’éducation sont des barrières infranchissables je dirai pour la plupart des Acadiens de la N. E., nous sommes repoussés comme des chiens, on nous donne que des os à ronger, on nous mènent comme l’on veux et tout ce que nous puissions faire c’est d’aboyer – oh de l’éducation : il est vraie nous avons de beaux couvents, mais ce ne sont propres que pour instruire des filles : autant vaudrait nous dire l’argent est bon à rien, que de dire l’éducation est inutile à la N. E. Mais je veux bien croire que c’est là l’effet de notre destinée, aussi je veux croire que c’est l’effet de la destinée si au printemps de 1887 on comptait dans les environs à peuprès les deux tièrs de la jeunesse acadienne refugiée afix Etats, je veux bien croire que ce fut l’effet de la destinée si nos pères furent chassés de leurs foyers par un acte de barberie sans exemple dans l’histoire des peuple : je ne crois pas dans l’animosité, mais je ne sais une douleur s’empare de mon cœur lorsque je vois des jeunes gens s’expatrier : “Brothers there a man with soul so dead / Who never to himself hath said / This is my own, my native land.” Dans ces sentiments je prends la liberté de tracer ces quelques lignes, avant de partiraux Etats. Quant à y aller, tout ce que j’aie la liberté de dire c’est que c’en est la coutume au Canada, c’en est la coutume au N. B., et c’en est la très grande coutume à la N. E., de passer aux Etats tous les printemps, de même les champs, les villages, et les villes d’Amérique sont remplis nonseulement de français, amis d’Irlandais, d’Ecossais, d’Anglais, de Dutch, de Neigres, de Chinois, tous jeunes, vigoureux et forts, vont comme esclaves demander de l’emploi au gouvernement des Etats; ainsi là tout sont égaux pour ainsi-dire, et si on veut en juger par le passé, un sur dix y gagne quelque chose, y pratique la vertu. Mais, j’ai encore l’espérance que le commerce la N. E. sera bientôt rétabli dans sa force première, j’ai encore l’espérance de revoir l’aisance et la joie parmis la classe ouvrière, j’ai encore l’espérance que le torrent débordé de l’émigration sera bientôt détéché par un brillant soleil de justice, que sur ses vieux jours le bon père ne voit pas sa maison entrainée par la ruine malgré tous ses efforts, et d’un pas lent appuyé sur son court bâton, si traversant encore une fois la propre frontière ne retourne pas la ête pour voir sur la terre nue la profonde emprunte de ses pas isolés, mais au contraire comme sur le soir dun beau jour d’automne, le voyageur fatigué d’une longue journée, remonte de ce fleuve les eaux assises, voit de long en large des champs chargés d’une riche moisson, et sur ces rives jadis où les grands chènes, les érables, et les haut peupliers, laissent entrevoir çà et là sous leurs branches maisonnettes, tandis que l’oreille du voyageur charmée au son d’une lyre jusqu’alors étrangère – tel autrefois, tel aujourd’hui l’Acadien exilé remonte dans ses souvenirs les eaux du Gaspareau, encore attentif à la voix d’une Bellefontaine. J. P. Robichaud M. R. 29 fév – ’88. Note de la Rédaction : - Cet article “Où en sommes-nous à présent” est une reproduction textuelle du manuscrit de l’auteur. Dans une note locale nous avons laissé imprimer Jean L. Robichaud au lieu de Mr. Jean P. Robichaud : une erreur typographique ne mérite pas l’échafaud! On ne pend même pas pour des fautes plus graves….