La Patronne des Acadiens

Newspaper
Year
1914
Month
6
Day
3
Article Title
La Patronne des Acadiens
Author
A. C. D.
Page Number
2
Article Type
Language
Article Contents
La Patronne des Acadiens III Timide et tremblante, Bernadette se présente au presbytère en répétant sans cesse tout bas les paroles de l’apparition à M. le curé. Celui-ci, "homme brusque par nature, violent peut-être dans son amour du blen, mais que la grâce avait adouci," s’était tenu, ainsi que ses vicaires, sur la plus grande réserve en face de ce super naturel qui semblait devoir persister. Il ne connaissait l’enfant que de nom et peut-être un peu de figure, puisqu’on la lui avait indiquée quelques jours auparavant. On disait de lui, dans sa paroisse : "Il est charitable et c’est le meilleur homme du monde" N’est-ce pas toi qui est Bernadette? Oui M. le curé. Eh! Bien que me veux-tu? M. le curé, je viens de la part de la belle "Dame" qui m’apparait à la grotte, je viens vous dire d’élever un sanctuaire sur le rocher et d’y aller en procession. Et tu ne sais pas le nom de cette Dame? Alors demande-lui son nom et une preuve de la vérité de ce qu’elle demande. Ce sera que le rosier sauvage qu’elle touche de son pied fleurisse." Cette réponse prudente fut mal interprétée par les adversaires : "L’apparition est sommée de montrer son passe part," disaient-ils; mais les autres ajoutaient : "L’églantier fleurira." On comprend aisément ce qu’une telle réponse excitait de curiosité dans le public et l’affluence de personnes qu’elle dut conduire aux roches Massabielle le lendemain et les jours suivants. La réponse du ciel, si l’apparition en était envoyée, était attendue avec le plus vif intérêt. Mais l’églantier ne fleurit pas et pourtant la croyance des fidèles n’en fut pas ébranlée. Bernadette avait revu la belle Dame et à trois reprises répéta, après elle sans doute, trois fois le mot "pénitence"! Le 25 février, une foule innombrable l’avait précédée à la grotte et l’entourait lorsque la belle Dame, fidèle au rendez-vous, se montra à la voyante, lui confia un secret et lui sonna une nouvelle mission. Le secret était pour elle seule, mais la Vierge ajouta : "Allez boire et vous laver à la fontaine et mangez de l’herbe qui pousse à côté." Comme il n’y avait pas de source à cet endroit, Bernadette se dirigea naturellement vers le gave, mais la Vierge de dire : " N’Allez pas là, je n’ai point dit de boire au gave, allez à la fontaine; et du doigt elle montra l’endroit desséché où la veille elle l’avait fait monter à genoux. Sur le signe de la bonne Dame Bernadette se baissa, gratta le sol de ses mains, et creusa un petit trou. Et la fontaine jaillit et, à mesure qu’on y puisait, devenait de plus en plus abondante. Et Bernadette but de l’eau et mangea une pincée de la plante champêtre. Sans le savoir, la voyante, de sa faible main, venait d’ouvrir la source des guérisons et des miracles. Ce fut d’abord un mince filet, puis elle coula de la grosseur du doigt et devint bientôt grosse comme le bras d’un enfant. Elle cessa alors de croître et donna depuis, par jour, 153,000 bouteilles. Et auparavant, au sujet au vu de tous les habitants du pays, ce roc et ces sables étaient secs et arides. Cette eau fut analysée par des chimistes : c’est une eau vierge, pure, naturelle. La Vierge miraculeuse n’apparut pas à la grotte le vendredi, 26 février; le curé avait demandé le miracle du rosier fleuri, qui ne fleurit pas; à sa place une source miraculeuse avait surgi et au lieu d’un miracle passager, ce fut un miracle permanent où les corps furent guéris et les âmes ramenées à Dieu. Et ce jour-là un miracle de premier ordre d’opéra avec l’eau de la source : un pauvre ouvrier avait un œil presqu’entièrement perdu. Il se lave l’œil avec de l’eau apportée par son enfant, et soudain, son œil voit clairement; il est guéri d’un mal déclaré incurable. Le curé de Lourdes était gagné, mais il dit à l’enfant : "Ce que tu me demandes au nom de l’apparition ne dépend pas de moi, mais de l’évêque qui avisera." La quinzaine sacrée durant laquelle la Sainte Vierge avait convié Bernadette par ces paroles remarquables de délicatesse et de bon ton : "Faites-moi seulement la grâce de venir ici pendant quinze jours" achevait son terme et les deux personnes en cause étaient, on ne peut plus, fidèles au rendez-vous. Le dernier jour se trouvait le jeudi, le 4 mars, jours de marché à Lourdes. Au lever du jour, plus de vingt mille personnes attendaient déjà et il en arrivait encore. Comme les jours précédents, Bernadette reçut l’ordre d’aller demander au curé l’église et les processions. Le soir, vers 4h., le Vierge Immaculée voulut encore faire un miracle en faveur d’un petit enfant qu’on avait cru mort et qui fut plongé dans l’eau froide et retenu là durant plus d’un quart d’heure et guéri sans convalescence, d’une façon toute surnaturelle. C’est ainsi que se terminait la "quinzaine". Bernadette eut une longue tristesse, la tristesse de la séparation : reverrait-elle encore la céleste, la douce Vierge? Cette inquiétude faisait son tourment. D’ailleurs, elle eut beau retourner à la grotte es jours suivants, ses visites ressemblaient à celles de tout le monde, n’étant favorisée d’aucune faveur; aussi elle n’attendait pas l’appel intérieur; elle ne se sentait pas poussée, comme durant la quinzaine, vers la grotte. Elle se mettait à genoux, récitait son chapelet, scrutait des yeux les profondeurs de la niche, mais tout était inutile. Pourtant cette voix intérieure n’était pas étouffée pour jamais; elle devait encore se faire entendre. Aussi le 25 mars, anniversaire du jour où l’ange Gabriel était descendu vers l’humble Vierge de Nazareth, avec son céleste message, Bernadette se sentit attirée par un attrait bien connu. Elle obéit aussitôt et en la voyant passer, la foule d’écriait : "Bernadette ca à la grotte," et s’y précipitait à sa suite vers le rocher de Massabielle. Ce devait être un beau jour pour la voyante et une douce satisfaction pour la belle Dame. Bernadette avait plusieurs fois prié l’apparition de lui dire son nom; elle n’avait obtenu que des sourires bien doux, à la vérité, mais pas satisfaisants pour la demande à elle faite par M. le curé : "Demande lui, avait-il dit, d’où elle vient et quel est son nom, avant que je me mette en frais de lui bâtir un temple et d’y organiser des processions. L’enfant se mit en prière, la chapelet à la main et bientôt un tressaillement soudain et la transfiguration du visage : annoncèrent que la Vierge apparaissait. Ce fut un grand jour dans l’histoire des apparitions. O ma Dame, lui dit l’enfant, veuillez avoir la bonté de me dire qui vous êtes et quel est votre nom? La vision parut rayonner d’avantage; souriant toujours, ce sourire fut sa réponse. L’enfant reprit : O ma Dame, veuillez avoir la bonté de me dire qui vous êtes et quel est votre nom? Encore un long et plus divin sourire sur les lèvres muettes de la royale apparition. Bernadette redoubla ses instances et prononça pour la troisième fois : "O ma Dame, veuillez avoir la bonté de me dire qui vous êtes et quel est votre nom? Et la Vierge continua de ne pas répondre. Et l’enfant fit entendre ces suppliantes paroles : "O ma Dame, je vous en prie, veuillez avoir la bonté de me dire qui vous êtes et quel est votre nom?" À cette dernière parole, la Vierge, à qui L’Ange venait de dire : " Je vous salue Marie pleine de grâces", déjoignit les mains, faisant glisser sur son bras droit le chapelet au fil d’or et aux grains d’albâtre. Elle ouvrit alors ses deux bras et les inclina vers le sol, comme pour montrer à la terre ses mains pleines de bénédictions. Puis elle élève ensemble ses mains et sa tête radieuse, elle joint les mains devant sa poitrine et regardant le ciel avec le sentiment d’une indicible gratitude, elle prononça ces paroles : "Je suis l’Immaculée Conception." Après ces mots, sans autre regard sur l’enfant et sans autre sourire, sans l’adieu accoutumé, elle disparut dans la même attitude, laissant à l’âme de Bernadette et cette image et ce nom. La voyante se tourna alors, comme la multitude, en face d’un rocher désert. On comprend la joie de l’enfant d’aller voir M. le curé et de lui dire le nom de la belle Dame. Mais elle ne comprenait pas ce qu’elle avait voulu dire par ces mots : "Je suis l’Immaculée Conception." Elle venait de les entendre pour la première fois, et sa science consistait, comme on l’a déjà dit, à savoir réciter le "Pater" et l’"Ave" en égrenant son chapelet. "Je répétais ces mots tout le long du chemin, disait-elle un jour, afin de ne pas les oublier et afin que la chapelle se bâtit." M. le curé comprit bien; le peuple chrétien comprit aussi; on ne s’était pas trompé. C’était elle, la Vierge Marie, la Mère de Dieu. On voulait le lui entendre du ciel et dire : "Je suis l’Immaculée Conception." Nulle part au monde et dans aucune de ces innombrables apparitions, elle ne s’était appelée de ce nom. Elle donne à Lourdes une gloire unique, celle d’être le sanctuaire de l’Immaculée Conception. Bernadette garda vivante l’image de la Vierge, se glorifiant devant elle de son Immaculée Conception. C’est peut-être le souvenir le plus frais qu’ait conservé sa mémoire. On lui a souvent demandé de reproduire cette scène auguste. (À continuer) A.C.D.