La langue française attaquée

Newspaper
Year
1911
Month
8
Day
29
Article Title
La langue française attaquée
Author
----
Page Number
3
Article Type
Language
Article Contents

La langue francaise attaquee

 

L’excellente Revue Franco-Américaine” qui, sous la direction de M. J. L. K. Laflamme, aborde avec tant de courage  les plus épineuses questions contemporaines, publie, dans son numéro d’août, qui vient de paraître, un document extrêmement intéressant et qui jette un jour bien cru sur la campagne menée par un certain groupe contre la langue française dans l’Eglise catholique elle-même.

 

C’est une brochure d’une douzaine de pages qui circule depuis quelque temps aux Etats Unis ainsi qu’au Canada et qui est intitulé : “English speaking Catholic missions”. (Missions catholiques de langue anglaise.)

 

Nous sommes sûrs d’édifier nos lecteurs en offrant à leur méditations l’extrait suivant de la dite circulaire ou brochure. Après avoir démontré la nécessité de missionnaires de langue anglaise, selon l’argument développé déjà par Mgr Bourne au congrès Eucharistique de Montréal, l’auteur ajoute :

 

Il faut d’abord que l’argent recueilli dans les pays de langue anglaise pour ces missions, soit distribué exclusivement à des missionnaires de cette langue. En ce moment, les œuvres de mission ont leur centre principal en France; c’est par des mains françaises que les aumônes sont distribuées, ce qui augmente singulièrement le prestige et l’autorité de cette nation infidèle, et contribue à la placer dans  une lumière favorable aux yeux des patriarches, évêques et autres dignitaires ecclésiastiques.

 

Une des conséquences est que le français est enseigné dans leurs écoles au lieu de l’anglais. Je sais bien que la France donne la plus grande partie des aumônes, remarquons seulement que ce qu’elle contribue, elle le dépense pour des missionnaires français. Mais pourquoi faut-il que les sommes considérables données par les Etats-Unis, l’Irlande, l’Angleterre et autres pays de langue anglaise soient placées entre des mains française et distribuées par elles?

 

Voici le total des sommes recueillies l’an dernier par la Propagation de la Foi dans les pays de langue anglaise :

 

Etats-Unis…………………………963,272 francs

Canada……………………………….18,211 francs

Irlande……………………………..150,081 francs

Angleterre………………………….47,190 francs

Ecosse………………………………….9,018 francs

Total……………………………..1,189,772 francs

 

Environ 50,000 livres sterling. Eh bien, qu’elle proportion de ces 50,000 livres a été reçue par des missionnaires anglais, irlandais ou américains? Et la Propagation de la Foi n’est qu’une des nombreuses œuvres sollicitant des aumônes pour les missions. Nos pays ont continuellement à contribuer au maintien l’ordres religieux étrangers qui, pour se faire accueillir, ont laissé entrer chez eux quelques membres irlandais. Ces contributions qui vont à l’étranger nous privent de fonds qui, s’ils restaient chez nous, suffiraient amplement à fonder une magnifique société de prêtres de langue anglaise pour les missions étrangères. Si encore l’état actuel des choses était pour le plus grand bien de l’Eglise, il n’y aurait rien à dire, mais quand on voit qu’il a pour but d’aider les intérêts de la France aux dépens de ceux de l’Angleterre et des Etats-Unis quand on voit qu’il fait le plus grand tort à l’extension de l’Eglise, pourquoi hésiter à dire la vérité, même si elle doit offenser des voisins d’Outre-Manche.

 

C’est presque tous les mots qu’il faudrait souligner et démentir dans cette pièce d’une rare saveur. Mais ce serait trop long. Nous ne chicanerons même pas sur ce qu’on inscrit parmi les pays de langue anglaise, le Canada où les deux tiers de la population catholique sont de langue française. Nous n’examinerons que l’esprit du document.

 

Donc notre auteur se plaint que les sommes perçues par la Propagation de la Foi soient distribuées par des mains française. Ces sommes sont distribuées par des mains françaises, parce que c’est dans le cœur d’une sainte femme française, Pauline Jaricot, qu’est née l’idée généreuse de la Propagation de la Foi. Ces sommes vont en grande partie aux missions françaises parce que ce sont les prêtres français qui se consacrent en plus grand nombre à l’évangélisation des pays sauvages.

 

L’an dernier, sur 178 missionnaires tombés au champ d’honneur, il y en avait 86 qui appartenaient à la France, et des 92 autres de toutes nations 12 seulement venaient des pays de langue anglaise. Dans ce Canada qu’on dit pays de langue anglaise qui évangélise encore aujourd’hui les sauvages de l’Ouest, sinon des prêtres français et canadiens-français? Les prêtres irlandais sont dans de bonnes paroisses qui n’ont pas besoin de la Propagation de la Foi; s’il y en avait un plus grand nombre dans les missions, ils recevraient leur part comme les autres.

 

On dit encore que les fonds des missions sont distribués par une nation infidèle. Comment peut-on appeler nation infidèle celle qui souscrit au soutien des œuvres de foi? Sur 6,000,000 de francs, en 1910, la France a donné à la Propagation de la Foi 3,082,131 francs. Et ce n’est pas pour être dépensés en France qu’elle les donne. Elle les donne pour sauver les âmes des peuplades lointaines. Comme cette générosité contraste étrangement avec l’égoïsme mesquin de l’auteur de notre brochure, qui propose que l’argent anglais serve exclusivement aux Anglais! Autant dire qu’il y aura dans le monde deux Eglises catholiques, l’une qui comprendra les pays de langue anglaise et l’autre, tous les autres pays.

 

Qui a bien pu nourrir une conception aussi étroite et aussi peu chrétienne? La brochure ne porte ni nom d’auteur, ni nom d’imprimeur. Mais elle vient certainement d’Irlande. Cela se voit à la lecture, se devine derrière les mots. Quelqu’un de ce continent n’aurait pas parlé de nos voisins d’Outre-Manche”. D’ailleurs, l’exemplaire authentique que possède la Revue Franco-Américainea été mis à la porte à Mont Mollick, Queen’s Co. Irlande.

 

 

L’auteur de la brochure n’est peut-être pas de ces Irlandais dont se réclamait, l’autre jour, le Montréal Tribune”, et qui ne subordonnent jamais le catholicisme aux considérations de politique et de race, mais il est certainement de ces Irlandais dont M. Maxwell nous présente un spécimen dans son livre récent :  “Canada of to-day” et qui dit : Mieux vaut mille fois voter pour un Anglais orangiste que pour un Canadien-français catholique.