Voeux pour la Patrie

Newspaper
Year
1902
Month
1
Day
23
Article Title
Voeux pour la Patrie
Author
Veritas
Page Number
2
Article Type
Language
Article Contents
VŒUX POUR LA PATRIE (POUR L’IMPARTIAL) (Par un Acadien) M. le Rédacteur : Quelle harmonie dans ce mot "Patrie"? Il résonne à mon oreille et à mon cœur, comme des pas connus, ou la voix d'un ami. Il m'est impossible d'articuler ce mot sans me sentir ému jusqu'aux larmes. Mes pensées et mes aspirations sont comme attirées par un magnétisme irrésistible vers ce pays qui ma vu naître, qui a été témoin de mes jeunes ans et de mes jeux enfantins : en un mot, j'ai toujours plaint les exilés. O Acadien! reçois les vœux de fortune, de paix et de bonheur que t'offre, en ce moment, la plus humble, mais non le moins dévoué de de tes enfants! Je t'aime, ô Acadie, plus belle et plus radieuse qu'un rayon de l'aurore? J'aime tes rivières, tes collines, tes vallons, ton sol fertile, ton beau ciel azuré! Eh! comment ne pas avoir un sentiment d'amour pour toi, cher pays qui ma vu naître, qui m'a donné d'un berceau, qui m'a donné une famille, des bienfaiteurs et des amis? Je t'aime et t'admire lorsque tes champs sont parés de leur robe de verdure, lorsque tes jardins sont émaillés de fleurs, que tes forêts sont pleines de vie, de gaieté, de mystères, de parfum et d'harmonie. Je t'admire encore lorsque tu te couvres de tristesse, lorsque tes arbres abandonnent leurs parures, que tout repose dans les vallons; lorsque, enfin l'hiver a jeté sur toi comme un immense linceuil. Quoique j'eusse connu ces pays tant vantés où fleurissent les myrtes, où l'oiseau, dit-on, est plus léger et la brise plus douce, où que j'eusse passé des jours tranquilles sur ces plages où l'océan déferle ses vagues bleues au pied de l'oranger; j'eusse vu Gênes la Superbe et la radieuse Florence, ou Vénise, la reine de l'Adriatique; que j'eusse admiré la belle Naples toute étincellante des feux du soleil couchant, ou vogué sur les flots bleus du lac de Genève, ou que j'eusse été charmé par notre douce France; tous ces spectacles grandioses, tous ces immortels souvenirs, toute cette sublime poésie, toute cette nature enchanteresse me laisse insensible et froid. Ce n'est pas toi, o ma patrie! et je ne puis un seul instant, ne pas te consacrer la première place dans mon enthousiasme et dans mon cœur. Pourrais-je donc en ce moment ne pas demander au ciel, pour toi, ses plus sublimes bénédictions? O Dieu, qui selon votre bon et unique vouloir, rendez les patries glorieuses et grandes; vous qui désignez à chacune sa place au soleil des nations, jetez sur notre Acadie un œil de complaisance et d'amour, et donnez à ma patrie des jours heureux et fortunés! Tous les peuples, je le sais, sont à vous; ils naissent à votre commandement, vous les soutenez dans votre main toute-puissante, et lorsque vous vous retirez d'eux, il faut qu'ils mesurent. Mais il est des peuples qui sont l'objet spécial de vos bienfaits et de votre tendresse. Vous entourez leur berceau d'un amour tout maternel. Vous vous les attachez en quelque sorte et leur distribuez avec une sagesse toute divine les prospérités et les malheurs afin qu'ils demeurent toujours tournés vers vous. Ainsi fût le peuple hébreu destiné à donner au monde un Sauveur. Que n’avez-vous pas fait pour lui? Après l'avoir arraché à la servitude, vous vous êtes constitué son guide à travers les périls et la solitude du désert. Vous avez été son médecin, son législateur, son maître et son vengeur. Pour l'instruire, vous lui avez donné des prophètes et pour le gouverner, des rois selon votre cœur. Israël se montre-t-il reconnaissant et fidèle? Vous le récompensez. S'égare-t-il? Vous le punissez aussitôt. Vous lui avez dit : "Je serai ton Dieu et tu seras mon peuplé." David chantait sur sa harpe ces cantiques inspirés, dans lesquels l'amour de la patrie ne se séparait pas de l'amour de la religion. Il s'écriait : "Jérusalem, louange au Seigneur I Sion remercie ton Dieu! car il n'a pas traité avec la même miséricorde toutes les, patries. O Acadie! ces chants enthousiastes du prophète-roi ne te conviennent-ils pas à merveille? Se trouve-t-il une nation qui puisse se vanter d'une origine plus belle et plus pure que la tienne? D'où te viennent, en effet, tes fondateurs? N'est-ce pas de cette vieille France, à laquelle tout l'univers décernait le beau titre de "très chrétienne"? Choisis entre mille, ils se rendirent vers tes forêts immenses et lointaines, et tu sais avec quel énergie et quel courage ils se livrèrent à un pénible et rude labeur. Depuis ce temps, as-tu cessé, ô ma patrie, d'être comblée des célestes faveurs? Ah! trois siècles sont là pour attester le contraire. En un jour de triste mémoire, il est vrai, Dieu permit que tu fusses séparée de la France, mais n'était-ce point pour que tu ne te séparasses pas de lui? Il a aussi plu à sa toute-puissance que tu fusses maltraitée et persécutée; que tu goûtasses le pain de l'exile arrosé de tes larmes. Tout a été mis en œuvre, en un mot pour tâcher de t'effacer du livre de la destinée des notions. Et avec quel résultat? Dieu n'a-t-il pas veillé sur tes jours, ô pays béni? Toutes ces épreuves n'étaient-elles pas pour te rapprocher de lui? En arborant un autre drapeau, tu n'as pas changé ta manière de penser, ni ton langage; ta fois est restée vivace; tu as maintenu tes libertés et conservé les glorieuses traditions de tes ancêtres. Que ton avenir, Ô ma patrie, soit digne d'un passé si noble! Oui, qu'elle te soit à jamais chère cette foi divine qui te protégea dès ton berceau! Ne la laisse pas faiblir, ni s'amoindrir en foi. Ne la rélègue point dans l'oubli; car c'est à l'ombre du bois de notre Rédemption que tu as pris naissance. Oui, peuple privilégié, aime l'Église d'un amour amour fort et durable. Sois lui toujours fidèle; souffre de ses souffrances et réjouis-toi de ses triomphes. Montre aux autres nations qu'en lui obéissant ce n'est pas s'humilier, ni se rendre esclave, ni se condamner à l'ignorance; mais au contraire, c'est trouver le secret du vrai progrès, de la vraie grandeur, et de la vraie liberté. O ma patrie! l'attachement de tes enfants à cette patrie de l'âme saurait-il amoindrir l'amour qu'ils doivent ressentir pour toi? Oh! ne crains pas; tout le monde réalise que la patrie et l'église, le sentiment national et le sentiment religieux loin de se repousser se fortifient l'un l'autre. O mon pays! je t'en conjure, ne marche pas sur les traces des pervers et des méchants. Observe fidèlement le jour du Seigneur et les fêtes de ses saints. Jamais, j'espère, nous verrons tes temples abandonnés et profanés. Dieu y sera toujours prié, remercié et adoré par un culte solennel et public. La parole des pontifes et des prêtres y sera toujours accueilli comme un oracle venant du ciel. Puissant toutes les lois être dictées par l'esprit catholique et chrétien, et ne contredire en rien les vœux et les désirs de l'Eglise. Rappelle-nous, ô mon pays, par ton ardente foi, ces temps bénis, où la France, en tête de sa loi salique, écrivait ces paroles : “Vive le Christ qui aime la France.” Oui, chère patrie, je désire aussi, voir les lettres, les sciences et les arts prendre en ton sein un nouvel essor. Ah! oui, si Dieu te donne des poètes capables de chanter dignement les incomparables beautés de tes paysages, qu'ils chantent; et lorsqu'un succès éclatant viendra couronner leurs efforts, leurs frères s'en réjouiront et les applaudiront. Ta langue aussi, cette belle langue française garde-là avec une piété et un soin jaloux, comme un héritage de famille. Honte à ceux qui l'oublient après l'avoir apprise sur les genoux de leurs mères! Qu'on l'étudié avec ardeur, car c’est en lui faisant la cour qu'elle nous livre ses secrets. Qu'elle reste pour tout Acadien la langue de l'amitié et de la prière, afin que l'étranger, abordant sur nos rives, y trouve une autre France, et que le Français y salue une autre patrie. Honneur et respect à toutes tes vraies libertés: liberté dans l’expressions de tes sentiments religieux, dans la manifestation de tes sympathies, et dans l'éducation chrétienne de tes enfants. Que la charité, la vraie charité, apportée à la terre par le Christ, puisse régner entre tous tes citoyens comme entre les enfants d'une même mère? Point de ces divisions intestines qui paralysent nos forces; point de ces malheureuses haines qui peuvent compromettre nos intérêts les plus sacrés. A l'exemple des premiers chrétiens pourquoi ne formerions-nous pas qu'un cœur et qu'une âme? Pourquoi, emploierions-nous les courts moments de notre existence à nous déchirer et à nous donner des coups peut-être mortels? Non, qu'il n'en soit pas ainsi; mais au contraire; entraidons nous et que ton partage, ô ma patrie, soit tout ce qu'il y a de meilleur, de plus noble et de plus parfait! Que dans tes villes et tes campagnes le commerce, l'industrie et l'agriculture-la plus noble des professions-grandissent et prospèrent. Qu'en nul endroit l'ouvrier soit sans ouvrage. Que le nombre, des pauvres et des malheureux, décroisse de jour en jour, et qu'une honnête aisance succède à la misère. Je serai heureux quand je verrai tes fils, ô Acadie! cultiver ton sol si fécond et lui faire produire ses trésors. Je me réjouirai quand je verrai tes enfants coloniser, abattre les grands arbres de tes forêts encore vierges, que tes solitudes se peupleront; qu'on y bâtira de nouveaux temples au Seigneur et que les paroisses s'ajouteront aux paroisses. O Dieu puissant, nous vous en prions, donnez la fécondité à nos champs, le succès à nos travaux et à nos entreprises. Préservez nos villes et nos villages de tous malheurs. Eclairez nos supérieurs spirituels et nos gouvernants. Veillez sur les pauvres comme les riches, sur les enfants comme sur vieillards. Nous voulons rester votre peuple, ne nous abandonnez pas. VERITAS. I. P. E. Ce 14 Janvier, 1902.