Correspondance

Newspaper
Year
1902
Month
1
Day
2
Article Title
Correspondance
Author
un Acadien
Page Number
4
Article Type
Language
Article Contents
Correspondance M. le Rédacteur, Accordez-moi, s'il vous plaît, un court espace dans les colonnes de votre intéressant journal, pour dire un mot, en passant, à votre correspondant qui signe "P. C. Gauthier, dans L'IMPARTIAL du 12 décembre. Je ne comprends pas pourquoi P. C. Gauthier vient de ce ton magistral et solennel attaquer "Un Acadien." On dit que la vérité choque. On dit aussi que la vérité n'est pas toujours bonne à dire. Cela dépend des circonstances. C'est probablement ce qui explique cette sortie intempestive de mon adversaire. Les méfaits injustifiables de la part des autorités que j'ai dévoilés et rendus publics, l'ont piqué au vif. J'ai un grand respect pour les opinions de mes semblables, et ce respect est d'autant plus profond que le fondement sur lequel s'appuient ces opinions, est plus solide et plus digne de foi. Mais, M. le Rédacteur, il y a un abime immense entre exprimer une opinion et vouloir dicter un commandement. La proclamation à la Kitchener que lance mon redoutable adversaire contre tous ceux qui refusent de partager son opinion et de se conformer à la loi martiale qu'il se plait d'édicter, me laisse froid et insensible, quoique la dite proclamation soit centré de l'auréole de son illustre nom. Voyons, P. C. Gauthier, vous dites que "Un Acadien" s'est jeté dans la carrière, armé de méchant latin et de grandes phrases ampoulées, pour défendre son petit François. Que pensez-vous M. le Rédacteur, d'un homme qui s'arroge la mission de faire la leçon aux autres, qui n'a que du mépris pour le style défectueux de son ignorant adversaire et qui en même temps écorche la belle langue de Molière de la manière la plus cruelle? "Un Acadien" tout ignorant qu'il soit, n'est pas sans savoir que le mot "carrière" signifie "lieu fermé de barrières pour des courses," ou au sens figuré, "vie, profession." Si jamais vous voulez exprimer la même pensée à l'avenir, faites usage, croyez-moi, P. C. Gauthier, du mot arène, car vous avez déjà assez de barrières à franchir, sans entrer dans une carrière. Que vais-je faire? Que dois-je faire. M. le Rédacteur? Me voici dans une position tout à fait drôle. "Un Acadien" a eu la présomption impardonnable de se servir de quelques mots latins. C'est là un attentat grave à la langue française, et je vous assure qu’ "Un Acadien" n’aurait jamais eu la témérité de s'aventurer sur le terrain des langues mortes et ainsi empiéter sur le domaine des savants, s'il eût pensé que sa chétive production fût de nature à attirer l'attention de P. C. Gauthier. Je plaide donc coupable d'avoir fait usage de locutions latines. Cela n'empêche pas, M. le Rédacteur, que je suis encore dans la même position. P. C. Gauthier m'accuse d'écrire du mauvais latin, Savez-vous où j'ai pris ces locutions en mauvais latin, selon P. C. Gauthier? Dans le dictionnaire Larousse, et je regrette souverainement que Pierre Larousse auteur de ce dictionnaire, n'ait pas fait connaissance avec P. C. Gauthier, avant de livrer son dictionnaire au public français. Assurément, il ne se serait pas rendu coupable de manque de déférence à une autorité si compétente. Il n'est pas surprenant M. le Rédacteur, que mon adversaire m'accuse d'écrire des phrases ampoulées. Me croyant dans une "carrière," là où nécessairement il m'eût fallu déployer une adresse prodigieuse, que je ne possède point, pour pouvoir sauter pardessus tant de barrières, il est tout à fait naturel que P. C. Gauthier, ait conclu qu’ "Un Acadien" se soit couvert d'ampoules. Mes phrases sont ampoulées, soit : mais sachez que ces ampoules ne sont pas le résultat du frottement de la bureaucratie qui pousse quelques uns des nôtres à faire l'éloge d'une race qui a produit des monstres que tout Acadien devrait exécrer. Oui, M. le Rédacteur, les mânes de nos ancêtres doivent frémir d'indignation en voyant des rejetons de leur race s'abaisser au point de vouloir jeter un voile sur ces pages de notre histoire qui rediront à jamais l'oppression et la cruauté des persécuteurs de nos aïeux. Nous avons beaucoup trop de nos Acadiens qui sont toujours prêts à chanter les louanges de nos plus cruels ennemis. J'entendais, il y a quelque temps, un de nos Acadiens les plus en vue de cette province, dans un discours qu'il prononça à la capitale, s'écrier qu'à l'occasion de l'anniversaire de la naissance de notre gracieux et grand souverain Edouard VII, tout cœur acadien-français redit et chante avec ivresse et bonheur cette pieuse, ardente et vieille prière par laquelle nos ancêtres avaient coutume d'appeler sur Louis XIV, dit le Grand, les bénédictions du Ciel : DOMINE SALVUM FAC REGEM. N'est-ce pas ridicule, M. le Rédacteur, de voir un des nôtres faire ainsi l'apothéose d'un roi qui vient de monter sur le trône, lui décerner le titre de grand et le ranger à côté de l'illustre et magnanime roi qui fut le protecteur des sciences et des arts à l'âge d'or de la littérature française? P. C. Gauthier prétend q’ “Un Acadien s'est constitué l'avocat de petit François. Petit François a relaté des faits qui ont agacé les nerfs des gens de la nuance de Frenchman et autres qui font la vilaine besogne de tirer les marrons du feu pour les faire croquer par d'autres. Ils se voient poussés au pied du mur ; et tout naturellement ils ont recours à la tactique usuelle en ces circonstances. Vous affirmez que nos instituteurs acadiens, de troisième classe, qui enseignent dans le département primaire de nos écoles graduées, continuent à recevoir le salaire que comporte leur brevet, grâce aux efforts d'un de nos bons et dévoués curés acadiens. Plût au ciel qu'il en fût ainsi ; mais je dois vous dire que j'apprends de source authentique que jusqu'à présent rien n'a été fait dans ce sens. S'il y a des exceptions, cela dépend des couleurs. Il y a un autre point, M. le Rédacteur, que je voudrais tirer au clair et j'ai fini avec mon adversaire. Quand j'ai dit que les candidats acadiens qui ont subi leur examen pour brevets de première ou deuxième classe, n'avaient pas été jugés sur le même pied que ceux de langue anglaise, je n'ai pas affirmé ce qui est "absolument faux," comme P. C. Gauthier essaie de le faire croire au public pour tâcher de m'abaisser. Procurez-vous un exemplaire des journaux qui ont publié le rapport de cet examen. Donnez-vous la peine de l'étudier et vous pourrez constater que je n'ai pas fait de fausses assertions. En terminant, P. C. Gauthier, laissez-moi vous dire que, lorsque vous essayez de justifier, en cette matière, ceux qui sont en autorité, vous épousez une cause qui ne vous fait pas honneur. Vous remerciant, M. le Rédacteur, de l'espace que j'occupe dans vos colonnes, je me souscris votre dévoué, etc. UN ACADIEN Charlottetown Ce 17 décembre 1901.