Papier lu à la dernière convention des instituteurs acadiens tenue à Miscouche

Newspaper
Year
1898
Month
8
Day
18
Article Title
Papier lu à la dernière convention des instituteurs acadiens tenue à Miscouche
Author
M. Emmanuel Arsenault
Page Number
3
Article Type
Language
Article Contents
PAPIER LU A LA DERNIERE CONVENTION DES INSTITUTEURS ACADIENS TENUE A MISCOUCHE PAR M. EMMANUEL ARSENAULT, INST. M. le président, MM. les membres du clergé, Mesdames et Messieurs : Le sujet que je me propose de traiter mérite d’être développé beaucoup mieux que je puis le faire. En effet ma faible plume hésite et se refuse à décrire cette belle expression : langue française. C’est sur les rives du Rhin que naquit notre langue. C’est la, dans les bras d’une Gauloise, qu’elle fut bercée et nourrie, c’est la qu’elle grandit en beauté, en politesse et en dignité. Oh ! langue d’amour, embellie par Racine, tu es la messagère immortelle portant aux limites du globe, la parole de Dieu. Tu glorifies partout le nom de l’Eternel. Un jour de braves marins quittèrent leur beau pays, et, après s’être fait long temps balloter sur les flots d’une mer en courroux, arrivèrent enfin sur un rivage étranger. D’un côté leur regard se perdait dans l’immense océan, de l’autre côté s’étendait une vaste forêt vierge dont le silence n’était troublé que par le cri ranque de quelques bêtes fauves ou par le cliquetis du tomahawk de l’Indien non civilisé. Ces marins partis de la Gascogne, ancienne province de la France venaient conquérir a la civilisation et gagner a la religion du Christ ces hordes de sauvages, qui avaient en plus grande partie oublié les préceptes de la loi naturelle. Nous sommes heureux et fiers de proclamer que ces nobles enfants jetés par la Providence dans les profondeurs des forêts, ont grandi chaque jour, en honneur, en puissance, en vertu, et que, malgré les orages attirés sur leurs têtes par une race ennemie, ont gardé intact l’héritage de leur lointain pays. C’est une langue qui doit être la sauvegarde de notre avenir comme nation. C’est une langue qui renferme des charmes inconnus aux langues étrangères ; une langue enfin, qui a pour attributs la politesse, la gaîté et la dignité. Souvent nos ennemis vainqueurs ont tenté de nous ravir notre langue et nos lois, mais nulle force, nulle brigue ne peut étouffer ce qui est bien enraciné dans le cœur. Qu’il nous soit cher ce langage de nos ancêtres, puisqu’il leur a couté tant de peines et de misères. Oui ces nobles pionniers ont recueilli l’ardente parole de ce génie Irlandais, ce prêtre catholique et ce grand citoyen : “Amis, la forêt vous attend; Devant vous se déroule un monde magnifique, Qui veut de vos efforts l’aide patriotique, Votre langue et vos lois, votre religion, L’avenir tout entier de la race française Voulant se conserver sur une terre anglaise. Tout est dans ce mot colonisation.” Nous nous rappellerons toujours des noms de Montcalm, de Chateauguay de Maricourt, Iberville, de Sainte-Hélène Longueuil et de Bienville, cette famille chevaleresque qui malgré les durs climats, brava gaiment les combats pour défendre notre cause. Nous n'oublierons pas les immortels Champlain et Laval, ces deux champions dont les noms seuls rappellent tout ce que l'amour de la patrie, la religion, et la foi peut inspirer. Nous avons raison d'aimer notre langue et ceux qui sont assez laches pour l'oublier méritent d'être marqués du stigmate de l'opprobre risquant en même temps de perdre et leur langue et leur foi. Songeons comme nous le fait remarquer un journaliste au sort de la Louisiane, terre jadis française, terre encore française mais ou l'on vient d'abolir l'usage officiel de la langue française. ‘‘Et qu'on le remarque bien’’ ajoute ce journal ‘‘ce n'est pas le gouvernement central de Washington qui a décrété cette déchéance de la plus belle des langues modernes; c'est la Louisiane elle-même, grâce a l'apathie, a l'indifférence, a la mollesse des français américanisés qui n'ont su défendre leurs droits.’’ ‘‘Si aujourd'hui le Canada est le dernier rempart de l'influence française en Amérique, c'est un honneur aussi redoutable que grand’’ Mais non ! Notre peuple est trop noble et trop fier de son origine pour forfaire a ses destinées et pour s'oublier comme nos frères de la Louisiane. Non, l’union fraternelle chez nous est encore trop forte, notre avenir trop brillant, et notre peuple trop patriotique pour se douter d'une telle chute. Pour arrêter notre marche, pour anéantir le charme et la puissance magique de notre langue, il faudra effacer de l'histoire de notre pays les noms de ces immortels héros venus de la France, et sans lesquels histoire ne serait rien. Pour effectuer la ruine de notre langue il faudra changer les noms des rivières, des lacs, des comtés des paroisses. Le permettrons-nous? Non, notre Grand Canada demeurera français. Oui, belle langue, tu resteras au milieu de nous et nous apprendrons a nos enfants a te connaître, a l'aimer a t'étudier et a te chérir. N'est-ce pas notre devoir de la défendre et de la protéger cette langue, puisque nous sommes les descendants de cette race guerrière et héroïque? puisque nos pères ont tant combattu pour nous la conserver avec nos lois? Oh ! Nous serions injustes et ingrats envers nos aïeux, si nous ne marchions pas sur leurs brillantes traces. Non, nous sommes trop fiers aujourd'hui du beau nom de nos pères pour ne pas nous placer sous leurs étendards. Oui, je le répète c’est notre devoir a tous et le devoir s’impose particulièrement a nous, instituteurs et institutrices, de l’étudier, de la pratiquer afin de propager cette langue charmante. Les moyens mis a notre disposition aujourd’hui, pour apprendre le français, sont faciles. La jeunesse trouve des écoles qui ne font pas mauvaises bésogne, malgré le système défectueux qui, grace aux efforts répétés de notre distingué inspecteur, s’améliore d’année en année. Nos collèges et nos couvents dirigés par des religieux et des religieuses font un bien immense, moral et intellectuel. Nous avons de bons journaux que l’on peut se procurer avec une somme très modique, et enfin de bons dictionnaires français qui, je crois seraient très a propos dans chaque famille acadienne, et avec lesquels on pourrait facilement comprendre sa lecture. Ainsi on pourrait chasser une foule de mots étranger et beaucoup d’expressions barbares dont malheureusement nous ne nous faisons pas scrupule de faire usage. Oui, c’est a nous la tache rude, mais noble et glorieuse d’étudier et d’enseigner cette langue que les Anglais mêmes envient et se hatent d’apprendre. “L’enseignement primaire,” dans un de ses numéros, nous disait. “Les grandes fêtes religieuses qui ont eu récemment lieu a Arles, France, nous révèlent une fois de plus combien le français est cultivé dans les hautes classes de la société anglaise. Mgr. L’évêque de Southwark prêche un sermon dans un français choisi et digne d’un évêque de la mère patrie” “Le jour de la cloture des fêtes son Eminence le cardinal Vanghan, archevêque de Westminster et Primat d’Angleterre prononce en français un discours si éloquent que l’auditoire éclate en applaudissements malgré la sainteté du lieu. Voila ce qui démontre a l’évidence l’influence et la popularité dont jouit notre langue. Continuons donc avec un zèle ardent et enflammé de jeter cette semence intellectuelle qui sera récoltée par les générations présente et future, et n’en doutons pas, nos conventions sont comme d’autant de rosées fécondes qui descendent pour en stimuler et en hater la croissance. Qui oserait dire que, parmi nos Acadiens, l’on ne pourra jamais produire des hommes comme Sir Alexandre Lacoste, feu Sir J. A. Chapleau, Alphonse Lusignan, Mgr. Gravel, et le Revd. Père Gendreau, supérieur des Oblats d'Ottawa? Qui peut dire qu'il ne se trouvera pas dans les générations futures des écrivains acadiens qui pourraient se ranger avec Fréchette, Garneau, Dansereau, LeMay, Legendre et Sulte, cette pléiade de talent qui brille aujourd'hui sur notre beau Canada. Déjà l'Acadie contemple avec joie dans la personne du Sénateur Poirier un écrivain dont le style virile et la facilité d'expressions fait l'admiration de la puissance. Espérons que ses nobles efforts non-seulement seront couronnés de succès, mais encore seront un exemple entrainant pour notre population, dans l'avancement des lettres. Oui, amis de l'éducation, le temps approche ou notre noble race doit figurer dans l'histoire des canadiens français, les plus illustres. Plusieurs ont atteint des degrés assez éminents, mais cela ne suffit pas; il faut avancer avec le temps, il nous élever en un mot, il faut que notre peuple sache se distinguer ou au moins se comparer favorablement avec nos frères du St. Laurent. Et quel sont les moyens d'y arriver? le travail, l’étude de la langue française et l'amour de son pays. Et c'est a nous instituteurs et institutrices avec la coopération de nos dignes et zélés pasteurs a tracer ce chemin qui doit conduire notre peuple et le placer au niveau des autres nations. Travaillons avec courage, énergie, et force au développement au progrès et au bonheur de notre pays, la patrie de nos pères et le berceau de nos enfants, et comme dit un écrivain, cherchons a assurer a notre chère province la place que la Divine Providence avec nos ressources économiques nous a permis d'ambitionner sur ce continent.