Un mot d'avertissement

Newspaper
Year
1896
Month
11
Day
19
Article Title
Un mot d'avertissement
Author
----
Page Number
4
Article Type
Language
Article Contents
UN MOT D’AVERTISSEMENT De toutes côtes on entend le refrain que les temps sont difficiles et que la misère est à la porte. A ce sujet nous demandons respectueusement à nos compatriotes de nous permettre d’entrer dans leur confiance intime afin de chercher ensemble au moins quelques unes des causes qui ont contribué à produire ce triste état de chose. Tout acadien qui veut se donner la peine de jeter un coup d’œil sur les registres du pays sera convaincu que les hypothèques, les jugements, etc, qui se trouvent attachés aux noms d’un grand nombre de nos gens contribuent pour la plus forte partie au malaise dont on se plaint et quoiqu’il soit pénible de l’admettre , je [mot illisible] n’en est pas moins indéniable et que si cet état fâcheux continue , nous aurons malheureusement à constater, dans un avenir peu éloigné le dépeuplement complet de nos grands centres français. Nous avons déjà à enregistrer ce malheur dans le village de Cascumpec, jadis florissant sous la main des acadiens, mais aujourd’hui entièrement entre les mains des Anglais. Nous pourrions citer d’autres exemples dans d’autres grandes paroisses françaises, où nos Acadiens, après avoir défriché les terres, se voient obligés d’abandonner les fruits de leurs labeurs à des étrangers et commencer une seconde vie de misère et de privations sur de nouvelles terres, ou de s’expatrier et passer le reste de leurs jours comme esclaves dans les usines des Etats Unis. Quelle est la cause de tout cela? La cause est due en grande partie à l’imprévoyance de nos gens. Les acadiens à quelque exception près, ne sont pas aussi versés dans la vie commerciale que le sont leurs voisins d’autres nationalité. Nous pourrions dire plus. Nos acadiens ne sont pas assez méfiants d’eux-mêmes; ils se laissent trop souvent entrainer dans les dettes sans se rendre un compte exacte de la situation où ils se trouvent, et ne se réveillent de leur engourdissement que pour se voir jeter sur le pavé. Assurément, les aspirations de notre peuple doivent être plus nobles. Nous sommes doués d’autant d’intelligence que les autres nationalités; nous sommes aussi braves que les Anglais qui nous entourent; nous avons tous les qualités requises pour nous faire marcher de front avec nos voisins. Mais, nous le répétons, ce qui nous fait défaut, c’est l’imprévoyance, c’est le manque d’économie. Il nous incombe donc de faire halte dans cette course imprudente et de prendre de fermes résolutions pour l’avenir. Dans le monde commercial celui qui comprend ses affaires ne manque jamais de se rendre compte de ses transactions quotidiennes et l’un de ses principaux soins est de tenir les dépenses dans les bornes du revenu. C’est là le succès. Il doit en être ainsi de celui qui dépend du produit de la terre pour se maintenir. Donc, pouvoir toujours se rendre compte de l’état où l’on se trouve; ne jamais se laisser aller aux dettes dans l’achat d’articles superflus, voilà le point essentiel que nous ne devons jamais perdre de vue. Un autre point que nous devons aussi considérer sérieusement est l’habitude qu’ont un grand nombre d’entre nous d’entreprendre de vivre à la pêche et à la terre simultanément. L’expérience de tous les ans démontre que ce sont ceux qui s’aventurent dans cette double besogne qui sont les plus souffrants. La pêche est une branche d’industrie d’une grande valeur, mais elle ne doit être que pour ceux qui s’en occupent uniquement et qui en comprennent toutes les péripéties. Règle générale, il n’y a que ceux qui comprennent parfaitement ce métier qui réussissent, tandis que ceux qui entreprennent de vivre a la pêche et à la terre en même temps, n’atteignent ni l’un ni l’autre but et finissent par se trouver acculer au pied de la muraille au point de se voir couverts de dettes, obligés de céder leurs terres et jetés sur le pavé. Le travail de la terre et l’économie; voila notre salut; voilà la règle que nous devons suivre si nous voulons conserver les biens qui nous restent encore. Sommes-nous inquiets dans nos vicissitudes? Suivons les traces que nous ont montrées nos pères. Ayons recours à ceux qui ont véritablement à cœur le bien-être de la population acadienne. Nous avons [mot illisible] au milieu de nous, nos prêtres acadiens –les Revds. Pères Boudrault, Chaisson, Gallant et Arsenault, qui s’intéressent à nous d’une manière toute spéciale. Ces prêtres nous sont donnés pour nous guider par leurs sages conseils non seulement dans les affaires spirituelles, mais aussi dans la voie que nous devons suivre dans nos affaires temporelles. Avec quels sentiments de crainte et d’anxiété ne voient-ils pas tant de nos gens perdre leurs biens et s’enfoncer dans les sentiers de la misère? Combien de fois ne nous ont-ils pas mis sur nos gardes contre ce spectacle navrant? Tâchons donc d’ouvrir les yeux à l’évidence; d’écouter leurs sages conseils lorsque nous nous trouvons envahis par les difficultés. En outre, ne serait-il pas bien d’avoir des organisations parmi nous afin de soulager , autant que disponible ceux qui voient leurs terres leur échapper des mains , en leur indiquant les moyens les plus avantageux possibles de faire des emprunts pour conserver leurs terres, si la nécessite les y oblige? Le besoin se fait vivement sentir d’avoir des conventions parmi nous, mais il n’y a pas de convention qui exige plus notre attention immédiate que celle, qui aurait pour motif de porter remède au triste état de chose que nous citons plus haut, qui menace notre existence même. Bannissons la politique qui occupe l’attention d’un trop grand nombre. Mettons fins aux divisions qui pourraient exister et travaillons d’un commun accord à la conservation de nos foyers, sinon nous aurons la mortification avant plusieurs décades de voir nos beaux et magnifiques temples vides et une autre déportation plus cruelle que celle de 1755. Mais cette fois les Acadiens eux-mêmes seraient leurs propres bourreaux.