Conventions nationales des Acadiens (Robidoux) - 1890 - p257-264

Year
1890
Article Title
DISCOURS PRONONCÉ PAR L’ABBÉ JOSEPH R. DOUCET
À LA CONVENTION DE CHURCH POINT LE 14 AOÛT 1890
Author
l'abbé Joseph R. Doucet
Page Number
257-264
Article Type
Language
Article Contents
Imitatores mei estote sicut et ego christo (I Cor. IV 16.) Soyez mes imitateurs comme je le suis du Christ. Bien chers frères,   Ces paroles, le grand Apôtre des nations les adressait à ses chers corinthiens, et j’ai cru devoir les choisir pour en faire le texte du discours de cette circonstance. L’Apôtre Saint Paul avait converti et instruit le peuple de Corinthe, il en était devenu comme le modèle, le patron, c’est pourquoi il l’exhorte à marcher sur ses traces. Mais un peuple martyr, au cœur généreux, à l’âme vraiment chrétienne, qui a su conserver sa foi, son amour de la religion au milieu des plus cuisantes épreuves, n’est-il pas digne de notre imitation? Quoi de plus beau, de plus touchant, de plus admirable que le spectacle d’un peuple qui préfère sa foi, son Dieu, à tout ce qu’il a de plus cher ici-bas, à la vie même! Mais laissez-moi d’abord exprimer un sentiment de joie, de bonheur, d’enthousiasme même à la vue de ce nombreux auditoire qui se presse dans cette enceinte, dont un très grand nombre sont venus de bien loin; des différentes parties de cette prvince, de l’Ile voisine, du Nouveau-Brunswick, même du Canada et de la grande République. Ne vous semble-t-il pas que nous sommes encore au temps où les foules accouraient des confins de la Judée, se pressaient autour du Sauveur pour entendre la parole de vie qui tombait vibrante de ses lèvres divines? Et ce nombreux clergé venu de tout côté pour relever l’éclat de cette belle fête; tout ce concours de circonstances parle éloquemment au cœur et à l’esprit que ne pourrait le faire le plus éloquent sermon. Il nous dit qu’un sentiment religieux et patriotique tout à la fois a vibré d’un bout à l’autre de l’Acadie. Je vous en félicite, bien chers frères, vous portez fermes, inébranlables dans vos cœurs les deux éléments qui ont toujours fait les grands peuples: la religion et le patriotisme. Un peuple animé de si nobles sentiments ne saurait jamais périr. En effet, enlevez à un peuple l’une ou l’autre de ces deux merveilleuses puissances et vous aurez le triste spectacle d’un peuple qui s’achemine vers sa ruine. Si j’ouvre les annales de l’Église, si je parcours les pages de l’histoire profane, si j’interroge la tradition, je suis de plus en plus convaincu que la religion et le patriotisme sont les deux grandes créatrices du progrès, de la civilisation des peuples. Même chez les peuples païens qui sont arrivés à quelque degré de prospérité, la religion a joué un très grand rôle. C’est ce qui faisait dire à Saint Paul dans son célèbre discours dans l’Aréopage: *Athéniens, il semble qu’en totues choses vous êtes très religieux, car passant et voyant les statues de vos dieux, j’ai trouvé même un autel où était écrit: AAu Dieu inconnu.@+ Ces Grecs, comme tous les idolâtres, s’étaient sans doute trompés dans le choix de leurs dieux. Toutefois ceci n’empêche pas qu’ils avaient senti le besoin d’une religioin, ce qui prouve qu’il y a chez tous les hommes un besoin naturel d’un culte, et que ce sentiment dévelopé, dirigé dans la voie de la vérité, est le plus puissant moteur de la civilisation et du progrès des peuples. Voyez ce qui se passe dans les pays où on a cherché à extirper du cœur de l’homme ce sentiment si noble, si naturel que Dieu a mis dans l’âme de sa créature intelligente. C’est la vie qu’on lui arrache; du moment où l’individu s’est affranchi du sentiment religieux, il est devenu semblable à un arbre dont les insectes ont sucé la sève, qui se flétrit, qui se dessèche, qui meurt. Il n,a plus qu’une vie matérielle;`rien de noble, rien de grand, rien de sublime ne peut élever son âme qui est toute terrestre; rien ne saurait faire vibrer en lui une seule fibre. Eh bien! ce qui se passe chez l’individu, s’opère infaiblement [sic?] dans un peuple. Qu’on lui elève sa religion, on lui ôte nécessairement sa sève, sa vie; c’est un peuple qui marche inévitablement vers sa ruine. N’est-ce pas ce qui lui est arrivé aux peuple jadis si religieux, si puissants, si florissants d’une grande partie de l’Asie et de l’Afrique, qui furent le berceau du christianisme; qui donnèrent à l’Église les Chrysostomes, les Jérôme, les Bazile, les Grégoire de Naziance, les Augustin et une foule de confesseurs, de vierges et d’illustres martyrs. Que sont devenus ces puissants états depuis qu’ils ont banni la religion de leurs temples? Que sont devenus ces peuples qui ont fait divorce avec leur Dieu? Vous le savez, mes frères, ce sont des peuples barbares. Et l’Europe, la puissante Europe, le flambeau de la civilisation, n’avons-nous pas vu déjà dans plusieurs de ces états vaciller, pâlir cette lumière jadis pourtant si brillante! Sans doute, la foi y est encore vivace, on y remarque avec bonheur des œuvres admirables, des dévouements dignes des plus beaux siècles. L’Église est encore une voix puissante dont les échos retentissent aux quatre coins du monde. Mais que de luttes, hélas! contre la vérité! que d’efforts impies pour renverser le règne de Jésus-Christ! C’est l’Église luttant corps à corps avec l’impiété, avec la puissance de satan! Elle ne sera pas écrasée, sans doute; elle sortira victorieuse de la lutte, car la parole de Jésus-Christ qui ne trompe pas, qui ne passe pas, nous est connée comme garante: *Tu es pierre et cur cette pierre je bâtirai mon Église, et les portes de l’enfer ne prévaudront point contre elle.+ Parole que les siècles ont mille fois vérifiée! Que les ennemis acharnés de la religion triomphent, que leurs erreurs prennent la place de la vérité, l’Église portera ailleurs son flambeau, et l’Europe sera de nouveau envahie par la barbarie. Déjà de sinistres nuages montent à l’horizon qui annoncent de bien tristes présages! L’Église est attaquée dans ses parties les plus vitales, l’éducation de la jeunesse. Rien de surprenant si, dans quelques années seulement, nous avions le triste spectacle d’une persécution ouverte, tyrannique, habilement dirigée contre les communautés enseignantes, et le clergé de notre mère-patrie. Déjà elle s’ourdit sourdement et avec une habileté vraiment diabolique. Le dénouement de ces menées sourdes, sataniques, sera inévitablement la confiscation des couvents, où tant d’enfants reçoivent une éducation chrétienne, la profanation des temples catholiques, la confiscation des biens du clergé et de l’Église, que dis-je, peut-être l’exil! Mais espérons qu’il n’en sera pas ainsi de notre mère-patrie. Non, non, cette terre foulée par tant de nobles et vaillants défenseurs de notre foi, arrosée du sang de tant d’illustres martyrs, si fertile en grandes œuvres, non, elle ne sera pas déserte et souillée; les murs du templa sacré sont encore debout; l’impiété, frémissant de rage, leur livre, il est vrai, de terribles assauts; mais vains efforts, insensés projets: *Tu es pierre et sur cette pierre je bâtirai mon église, et les portes de l’enfer ne prévaudront point contre elle.+ En bien, mes frères, si l’Église a fait de l’Europe ce qu’elle a été dans les siècles passés et ce qu’elle est encore aujourd’hui, le berceau de la civilisation, des sciences, des arts, un véritable foyer de lumière, un boulevard de puissance; si ses siècles les plus glorieux ont été ceux où l’Église jouissait de plus de liberté; si le triomphe de l’impiété a toujours été accompagné de bouleversements qui ont menacé de renverser les remparts de la civilisation, d’anéantir tout progrès, ne devons-nous pas conclure que pour nous, Acadiens, pour nous qui voulons asseoir l’édifice de notre existence nationale sur des bases solides, il n’y a rien de plus désirable que la religion. Nous devons nous appliquer à la connaître, à l’apprécier, à l’aimer. Jésus, dans son ineffable bonté, a daigné nous donner deux mères: Marie, la vierge immaculée, et l’Église. L’une et l’autre ont passé par le creuset des souffrances. Marie a porté dans son âme virginale toutes les douleurs de la passion de son aimable Fils. Au temple, le vénérable Siméon lui montre le glaive de douleurs qui plus tard transpercera son âme; et à partir de ce moment, elle a devant les yeux toutes les douleurs et les ignominies de la passion; elle voit les fouets, les épines, les clous, la croix; elle entend les blasphèmes, les vociférations de la populace qui demande le sang de son cher Fils. Si son aimable Fils s’entoure des multitudes qu’il enchante par l’onction de sa parole, qu’il étonne par la puissance de ses miracles, qu’il confond par la force de ses arguments, Marie le voit toujours couvert d’opprobres, d’ignominie; pour elle c’est toujours l’homme de douleur, et son cœur de mère porte le glaive de la douleur! L’Église, cette chaste épouse de Jésus-Christ, est aussi une mère de douleur. Lorsque le Sauveur donnait à ses apôtres la mission d’évangéliser le monde, il leur promettait la persécution, les outrages, la souffrance; il envoyait cette petite phalange au milieu des loups. Et les siècles se sont trop bien chargés de vérifier ses promesses. Chaste colombe, elle s’avance à travers les âges, elle est meurtre, mais elle est toujours belle, toujours aimable. Sa mission est éternelle, elle ne doit jamais faillir, c’est là sa grande prérogative. Aussi toujours attaquée mais toujours debout; toujours calomniée mais toujours blanche, toujours immaculée. En vain les puissances de la terre se sont élevées contre elle menaçantes, elle est demeurée calme, impassible; le fer s’est levé au-dessus de sa tête, le sang a coulé à grand flot; plus d’une fois on a pensé l’avoir ensevelie sous un monceau de ruines sanglantes! O Église de Jésus-Christ! toi qui avais été bâtie sur le roc éternel, toi qui avais reçu la promesse d’immortalité, c’en est donc fait, tu vas enfin périr, tu vas être submergée sous les flots de la malice des hommes, et toutes tes promesses ne sont que des impostures! Mais regardez, princes de la terre, regardez, peuples, voyez ce signe qui apparaît au milieu des airs, lisez l’inscription: *In hoc signo vinces.+ C’est la croix du Christ! Elle apparaît triomphante sur le fier capitole. O prodige! Rome, le monde entier la salue; elle se promène en triomphatrice sur l’Europe, elle traverse les mers, elle franchit les montagnes; elle pénètre jusqu’au milieu des peuplades barbares; les sables brûlants, les frimas, les glaces des zones boréales, rien ne l’arrête, rien ne la déconcerte, rien ne l’épouvante. Partout elle fortifie, elle sanctifie, elle sauve. Oui, bien chers frères, c’est la religion chrétienne qui a arraché les peuples à la barbarie, qui les a civilisés, qui les a soutenus dans leurs épreuves. Elle a été l’ancre qui a sauvé d’un naufrage certain le petit peuple acadien. En effet, n’est-ce pas elle qui a soutenu le courage défaillant de nos pères, lorsque, abandonnés de tout secours humain, chassés de leurs foyers, traqués comme des bêtes fauves, ils allaient se réfugier au pied de la croix, et là ils retrouvaient la force, le courage, le triomphe: *In hoc signo vinces+. La croix a toujours été pour l’Acadien le signe de ralliement. L’ennemi a bien pu lui enlever le sol qu’il avait défriché à la sueur de son front, brûler son humble chaumière, l’arracher aux étreintes de son épouse, de ses enfants, mais lui ravir sa foi, jamais. Il a toujours su conserver dans son âme naturellement religieuse l’amour de la croix. Et au milieu de ses plus cruelles épreuves, il a pu contempler avec résignation et amour ce signe de salut, et c’est par lui qu’il a triomphé: *In hoc signo vinces+. Or, mes bien chers frères, on ne peut aimer Jésus et sa croix, sans aimer en même temps Marie. Car en voyant la croix, on voit en même temps Marie, on voit sa douleur, son amour: Stabat Mater dolorosa juxta crucem lacrymosa. Oui, dans le cœur acadien Marie a toujours tenu la première place après celle de son divin Fils. Aussi lorsque le souffle de la liberté eût commencé à dissiper le nuage qui depuis plus d’un siècle obscurcissait le ciel de l’Acadie, lorsque les Acadiens songèrent à se choisir une fête, un patron, leurs regards se portèrent tout naturellement vers Marie. Ce peuple était encore jeunes, petit, faible; du reste, longtemps persécuté, il était naturellement devenu timide, et rien n’offre, dans ces conditions, un plus sûr refuge que le cœur d’une mère. C’est donc auprès de la mère de Jésus qu’il s’est réfugié. Il la savait pleine de bonté, personne ne pouvait mieux compatir à ses maux, à ses douleurs; il la savait pleine de puissance, personne ne pouvait le secourir plus efficacement dans ses besoins. Jetons-nous donc avec une confiance toute filiale dans les bras de notre Patronne, de notre Mère. Notre titre de pécheur nous y engage. Et n’est-elle pas le refuge des pécheurs, réfugium peccatorum. Et qu’est-ce qu’un lieu de refuge? N’est-ce pas le lieu qui met à couvert des dangers auxquels on veut échapper? Pour un naufragé, le lieu de refuge, c’est le port; pour un proscrit, c’est la terre paisible de l’hospitalité; le lieu de refuge pour une âme désolée c’est l’âme sereine d’un ami chrétien; pour un enfant c’est le sein de sa mère et pour un pécheur, le lieu de refuge c’est le cœur de celle qui n’a jamais péché, c’est le cœur immaculé de Marie. Ah! que la miséricorde de Dieu est admirable! Pouvons-nous y songer sans nous sentir animés d’un sentiment de joie et d’étonnement tout à la fois. Les pécheurs ont crucifié et crucifient encore le Fils de Marie, et c’est Marie qui leur est donnée pour médiatrice auprès de lui. Les pécheurs blasphèment et outragent Dieu, et c’est Marie qui leur est donnée pour médiatrice auprès de lui. Les pécheurs blasphèment et outragent Dieu, et c’est Marie qui devient leur protectrice et leur refuge. Les pécheurs sont des êtres souillés et avilis par l’iniquité, et c’est la plus pure des Vierges que Dieu établit pour leur avocate et leur amie. Il y a plus encore, non-seulement Marie aime les pécheurs, mais elle a pour eux une tendresse toute particulière. Elle les aime d’autant plus que ce sont eux qui ont élevé le piédestal de sa gloire. En effet, s’il n’y eût que des justes sur la terre, Marie serait restée toujours la fille inconnue de David, et l’enfant pauvre d’Anne et de Joachim. Elle ne porterait aucun des titres qui font sa gloire: Fille du Très-Haut, Mère de Dieu, Épouse du Saint-Esprit. Elle n’aurait pas la prérogative, si chère et si glorieuse d’être immaculée, d’être la Reine des anges et des hommes. Oui, s’il n’y eût pas eu de pécheurs, le monde n’aurait pas eu besoin de Sauveur; le Fils de Dieu ne se serait pas fait homme, Marie ne serait pas la Mère de Dieu. C’est donc pour les pêcheurs et à cause d’eux que se sont accomplis les grands mystères de l’Incarnation et de la Rédemption. C’est pour eux et à cause d’eux que se sont opérés les prodiges de la miséricorde, divine, et, par une conséquence rigoureuse, c’est aux pécheurs que Marie doit toutes ses grandeurs. Sans doute elle aime les justes, ce sont les amis privilégiés de son divin Fils. Mais comme une mère au cœur tendre et dévoué semble négliger ses autres enfants pour concentrer tous ses soins, toutes ses sollicitudes sur un pauvre petit malade, souffrant, de même Marie, notre bonne et tendre mère, redouble de soins et de sollicitudes pour les pauvres pécheurs, qui sont vraiment malades, et ont besoin de beaucoup de soins et de tendresse. Nous avons choisi Marie pour notre patronne, quelque soit notre condition, nos besoins, ayons recours à elle dans nos misères spirituelles et corporelles; jetons-nous avec confiance dans les bras de sa miséricorde. Parents chrétiens, qui avez souvent à souffrir de la conduite désordonnée de vos enfants, déposez vos peines, vos angoisses dans le sein de celle qui donna au monde le remède à tous nos maux. Jeunes gens, jeunes filles, qui traversez un âge si rempli de dangers et d’écueils, invoquez souvent votre puissante Souveraine. Tous, mettons notre confiance en Marie, la patronne que nous avons choisie, entre les mains de laquelle nous avons placé les destinées du petit peuple acadien. O Marie, notre souveraine maîtresse, nous nous jetons avec confiance dans le sein de votre miséricorde, nous nous livrons entièrement et sans réserve à votre sainte et digne garde, et nous mettons entre vos mains, aujourd’hui et pour toujours, notre âme et notre corps. Nous plaçons en vous nos espérances et notre consolation; dans nos peines et nos misères, dans notre joie et dans notre tristesse, soyez toujours présente à notre esprit, afin que nos pensées, nos paroles et nos œuvres soient faites et dirigées selon votre bon plaisir et la volonté de votre adorable Fils. Ainsi soit-il.