Conventions nationales des Acadiens (Robidoux) - 1881 - p109-112

Year
1881
Article Title
DISCOURS PRONONCÉ PAR M. L’ABBÉ H. GIRROIR, CURÉ DE HAVRE-BOUCHER, À LA COMMISSION DE L’ÉDUCATION
Author
M. L'abbé H. Girroir
Page Number
109-112
Article Type
Language
Article Contents
Messieurs, Le beau spectacle qui s’offre aujourd’hui à nos regards est bien de nature à faire naître dans nos cœurs des impressions qui ne s’effaceront jamais, et dont le souvenir nous sera toujours agréable. Au début de ma carrière, j’ai souvent assisté à des réunions de ce genre, chez nos frères du Canada, et à la suite de ces occasions intéressantes, je me suis souvent dit: Quand verrons-nous nos Acadiens tenir aussi leurs assemblées afin d’aviser aux moyens de rendre meilleure leur condition sociale et politique? Car ils n’ont rien à envier à personne sous le rapport religieux, puisque leur foi est devenue proverbiale. Quand ce peuple brave, mais ignoré en quelque sorte, sera-t-il en position de se montrer au-dessus de l’horizon social et de prendre son rang au milieu des autres nationalités et se suffire à lui-même? Ce jour tant désiré et qui n’existait qu’en perspective, est enfin arrivé et se réalise au-delà de mes espérances. Nous voilà en pleine assemblée, composée d’Acadiens, présidée et conduite par un noble enfant de l’Acadie et ses généreux compatriotes, auxquels sont venus se joindre nos aimables frères du Canada, toujours si disposés à nous donner main-forte en cas de nécessité. N’avons-nous pas raison de nous réjouir en voyant une réunion aussi respectable que celle-ci et d’y rencontrer des représentants de toutes les professions, ainsi que de tous les rangs de la société acadienne? Le clergé y est dignement représenté, le barreau, la médecine, la chambre des communes et les parlements locaux, enfin le conseil exécutif, le plus haut tribunal de nos provinces. Nous y voyons des inspecteurs d’écoles, des instituteurs en foule, des artistes, des commerçants, des gens de métier et des cultivateurs. Oh! s’il était donné à nos ancêtres de contempler cette réunion vaste et solennelle de leurs descendants, que leur joie éclaterait soudainement, et peut-être les entendrions-nous s’écrier: O vous, nos nobles enfants, qui avez suivi nos traces! marchez courageusement dans le champ de la vertu et à notre exemple que votre devise soit: *Dieu et la Patrie+; les siècles futurs célébreront vos bienfaits glorieux qui seront des exemples que vos enfants suivront à leur tour et ils seront grands devant Dieu et devant les hommes.+ Messieurs, permettez-moi, s’il vous plaît, de m’écarter un moment du sujet, pour répandre une larme à la mémoire de nos pères, et pour répudier cette noire calomnie dont on a voulu entacher leur caractère. Lorsque les ennemis résolurent de les expatrier, ils les accusèrent de déloyauté; mais en réalité, ce n’était qu’un prétexte pour pallier la cruauté dont ils se rendirent coupables, lors de cette expulsion à jamais dégradante pour eux. Leur avidité insatiable de posséder ces magnifiques terres défrichées au prix de tant de sueurs, ces belles prairies à perte de vue, ravies au envahissements de la mer et qui avaient coûté tant de fatigues et de privations, et ces nombreux troupeaux excitèrent leur cupidité à tel point que, se dépouillant de tous sentiments humains, ils n’eurent pas honte d’agir en barbares et de s’exposer à voir figurer dans l’histoire du pays des actes de vandalisme sans parallèle même chez les nations les moins civilisées. Des faits analogues se sont répétés dans ce dix-neuvième siècle, tant vanté pour ses lumières et son influence civilisatrice, dans plusieurs autres pays, surtout dans l’infortunée Irlande, dont la population a été décimée par les mêmes moyens. Tous ces faits servent à prouver que c’était la cupidité du vainqueur et non la déloyauté du vaincu, qui fut la cause de cette navrante catastrophe. Les Longfellow et les Lemay se sont rendus chers aux Acadiens, l’un par son chant immortel la pieuse Évangéline, l’autre par sa traduction fidèle de cette expulsion lamentable pour des cœurs acadiens. Répudions donc avec une juste indignation ces lâches imputations portées contre nos pères, ces braves cultivateurs du sol, dont nous voyons les descendants en si grand nombre, qui, par leurs travaux assidus, s’occupent à rendre le pays riche et prospère. Rendons de justes hommages à nos cultivateurs, cette partie si intéressante de nos populations qui forme la base de notre existence indépendante au milieu des autres nationalités. N’oublions pas de l’encourager de toutes nos forces. Oui, chers compatriotes, qui vous occupez à cultiver la terre, attachez-vous au sol de notre pays et suivez les exemples de nos pères, c’est là le moyen d’arrêter ces exodes périodiques qui ne servent qu’à affaiblir nos populations sans améliorer votre condition. Mettez donc un terme, au nom de la patrie, à ces expatriations volontaires, qui nous montreront plus tard des fragments de population acadienne relégués dans les villes de l’Union Américaine, réduits à y mener une vie de misère et de souffrances, après avoir quitté leur belle Acadie, où ils jouissaient d’un bonheur qui ne pouvait être égalé que par celui dont jouissaient nos pères avant leur exil. Messieurs, pardonnez-moi une digression trop longue mais en unisson avec les émotions que j’éprouve. Mais ce n’est pas tout de cultiver les terres pour compléter la stabilité de notre existence nationale. Il faut nécessairement encourager et soutenir nos écoles nationales, il faut que ces écoles soient de bonnes écoles autant qu’elles puissent l’être, des écoles où notre jeunesse puisera les principes de notre religion, pour devenir, plus tard, des piliers de l’Église, des écoles où à l’aide de notre religion, leur intelligence sera cultivée d’une manière solide et efficace. Alors ils pourront se multiplier dans les diverses occupations du pays, et se qualifieront pour entrer dans nos grandes institutions et se préparer les uns à embrasser les professions, les autres à prendre part aux grandes opérations commerciales, etc., etc. Voilà ce qu’il ne faut pas oublier et ce dont nos populations acadiennes doivent fortement se persuader. Tout en étudiant leur langue maternelle, nos jeunes gens doivent aussi apprendre la langue anglaise, de sorte que, possédant les deux langues, ils pourront faire une concurrence effective aux autres nationalités environnantes. J’ai parlé de nos grandes institutions à la tête desquelles figure le magnifique collège St-Joseph, le juste orgueil de la belle paroisse de Memramcook et le point d’attraction des pays voisins, et dont l’érection est l’œuvre du grand génie qui le gouverne. Que des louanges soient donc rendues au bon Père Lefebvre pour avoir su si bien perfectionner ce monument qui a déjà rendu, et qui est destiné à rendre de si grands services à notre pays. Hommages aussi à ses dignes collaborateurs dont les noms m’échappent en ce moment. Hommage au souvenir de feu M. Lafrance, d’heureuse mémoire, qui, le premier, mit la main à la fondation de cet asile chéri. N’oublions pas le collège St-Louis qui, quoique de récente date, ne laisse pas de faire sentir son importante influence toujours croissante. Honneur à notre digne compatriote, M. Richard, son fondateur, et à son collaborateur, M. Biron, l’ami désintéressé des Acadiens. Que vous êtes fortunés, mes chers compatriotes, de posséder ces institutions, et pardonnez-moi si je vous dis que j’envie le pays qui les possède, tandis que je suis heureux de proclamer leur existence et de rendre mes hommages à leurs fondateurs. Messieurs, il y a des années, je connus un de vos compatriotes qui voulut doter sa paroisse et les paroisses environnantes d’institutions, humbles à la vérité, mais très utiles et avantageuses, et déjà elles faisaient sentir leur influence et rendaient des services inespérés: lorsque tout à coup, l’alarme se répandit dans les rangs des nationalités étrangères; et de peur que nos jeunes Acadiens ne fussent un obstacle dans la route de certains protégés, l’esprit d’antipathie et d’exclusion prenant le dessus, et secondé par les autorités d’alors, on fit disparaître complètement ces institutions si utiles. À cette occasion, permettez-moi d’offrir mes humbles hommages aux deux vénérés prélats de Saint-Jean et de Chatham, pour leur noble impartialité et leur louable générosité à encourager vos institutions, au lieu de les entraver dans le principe, comme on l’a vu ailleurs. Gloire donc à ces vénérables dignitaires; gloire à vos institutions ainsi qu’à leurs généreux fondateurs; gloire au peuple acadien, et puissions-nous conserver longtemps le souvenir de ce jour, de cette première convention, qui est le prélude du réveil de l’Acadie.