Conventions nationales des Acadiens (Robidoux) - 1881 - p84-87

Year
1881
Article Title
n.t.
Author
Onésiphore Turgeon
Page Number
84-87
Article Type
Language
Article Contents
M. le président, Mesdames et Messieurs, Je n’aurais pas répondu à l’appel que vous venez de me faire, si vous ne m’aviez appelé à vous adresser la parole comme Acadien-Français. Laissant à d’autres orateurs la belle tâche de traiter la question si éminemment nationale de l’éducation, je me serais contenté d’écouter et d’applaudir à leur patriotisme et à leur enthousiasme. Mais en m’appelant au milieu de vous comme enfant de l’Acadie, je n’ai pu résister à la demande de mes frères; fier du tire que vous me conférez, je m’adresse à vous sans crainte, rempli du légitime orgueil d’un homme qui parle à des compatriotes dont l’intelligence égale le patriotisme. C’est à peine si dix ans se sont écoulés depuis le jour où quittant les bancs du séminaire de Québec je dirigeais mes pas vers l’Acadie, dont je ne connaissais le peuple que par le sombre et sinistre épisode qui caractérise son histoire. Les horreurs de la sanglante persécution que l’on avait fait peser sur cette nation, le silence qui semblait s’être répandu comme un linceul sur les descendants des victimes de la vengeance des ennemis du drapeau français, avaient d’avance disposé mon cœur à une très grande sympathie pour les habitants de la malheureuse Acadie. Canadien, descendant des Français qui étaient également les pères des malheureux déportés, la grande douleur du peuple acadien était ma douleur, comme ses aspirations étaient mes aspirations. Aussi, en arrivant au milieu de vous, ai-je épousé avec chaleur, avec zèle, avec amour, la grande cause de la liberté du peuple proscrit auprès duquel je me réfugiais. Je me suis dit que vous, Acadiens-Français, n’étiez pas suffisamment connus; j’ai pensé que malgré l’immense attachement que mes compatriotes canadiens ont pour vous, vous n’étiez pas appréciés à votre juste valeur, et que la tâche qui devait s’imposer à tout homme de cœur, habitant de l’Acadie, était celle de vous faire connaître partout, dans toute la Puissance du Canada, et que pour cette fin ce n’était pas trop de consacrer les instants de son existence. J’ai cru qu’il fallait faire connaître à tous les hommes de grandes capacités que renferme l’Acadie, hommes qui ne demandent qu’à être un peu encouragés pour parvenir à des postes éminents dans la direction de notre pays; et ceci, je le dis sans flatterie, parceque je l’ai compris et éprouvé en maintes circonstances. Déjà, beaucoup de ces hommes ont montré ce qu’ils pouvaient faire dans le soin qu’ils ont apporté au développement de l’instruction, cette condition essentielle de l’existence d’un peuple. En effet, combien de monuments de l’éducation, combien d’institutions destinées à l’instruction du peuple, couvrent le sol de l’Acadie, et mériteraient de figurer sur un territoire beaucoup plus riche et beaucoup plus avancé que le nôtre! Dans chaque paroisse, depuis vingt ans, des maisons d’éducation ont surgi comme par enchantement; l’éducation a été l’objet de la tendre sollicitude de ceux qui ont pris à cœur la glorieuse et nationale entreprise de faire du peuple acadien un peuple lettré en même temps qu’un peuple religieux; car l’éducation qui n’est pas basée sur la religion est une éducation qui fait rétrograder et qui, loin d’ouvrir les trésors de la science et de faire briller le flambeau de la vérité, mène à l’athéisme et précipite dans des abîmes d’ignorance invincible. L’instruction religieuse est le guide le plus sûr que nous puissions avoir pour nous conduire dans le chemin de la vie; l’éducation qui n’est pas modelée et façonnée par la religion fait de ceux qui la reçoivent des bornes inutiles dans la voie du progrès et du développement intellectuel. Ils ont donc compris l’importance de l’éducation, ces enfants qui font notre gloire et feraient honneur au premier pays du monde. Aujourd’hui, le temps des persécutions est passé, et nous n’avons plus à craindre d’être un jour martyrs de notre langue ou de notre foi. Il faut donc tourner toutes nos attentions vers l’éducation, qui forme avec la religion, qu’elle comprend et renferme nécessairement dans mon opinion, la pierre angulaire de l’édifice social et politique de toutes les nations en général, et de la nation acadienne en particulier. Je viens de vous dire que le temps des luttes sanglantes est passé; c’est vrai, nous n’avons plus à craindre la flèche du sauvage, ni la balle de nos ennemis de 1755. Mais cependant, nous sommes encore entourés de dangers, gardons-nous de nous laisser endormir. Dans l’ambition de nos voisins de race étrangère, je vois le danger dont l’éminence, si elle est adroitement cachée, n’en est pas moins grande ni moins à craindre. Cette ambition que je vous signale comme un danger, n’est pas une pacifique ambition, qui s’appelle émulation; c’est, Messieurs, l’ambition du vainqueur de dominer le dernier le vaincu, quand il ne peut ou n’a pu l’écraser; c’est l’ambition qui porte à étouffer, par l’influence des hauts lieux, les réclamations de la partie qui invoque la justice et l’impartialité contre la jalousie ombrageuse de la partie victorieuse. Cet ennemi est plus terrible qu’on ne le pense; le peuple canadien s’en aperçoit aujourd’hui; c’est un ennemi moral qui, sans frapper des coups qui tuent, blesse, affaiblit et mine promptement. Il faut savoir le connaître, et plus encore le combattre. Or pour arriver à cette fin, le moyen le plus assuré d’élever les Acadiens au plus haut degré d’intelligence possible, afin qu’ils ne le cèdent en rien aux hommes des autres races, qu’ils puissent leur tenir tête dans tout, et s’il y a moyen qu’ils les surpassent même en science et en intelligence; c’est de créer dans l’esprit de nos enfants l’ambition de partager également les avantages et les honneurs du pays; car cette dernière ambition est une ambition légitime, nécessaire pour répandre et développer l’instruction. Et à ce sujet, messieurs, permettez-moi d’attirer spécialement votre attention sur les écoles primaires, sur ces petites écoles supérieures qui remplacent les collèges et les séminaires, là où on ne peut avoir ces grandes institutions. C’est mon désir le plus ardent de voir se répandre au sein de chaque paroisse ces écoles ouvertes à tout le monde, où le pauvre comme le riche peut participer aux bienfaits d’une bonne instruction et remplir par là plus tard le rôle que nous sommes en droit d’attendre d’eux. C’est là un point exceptionnellement pratique et qui mérite d’attirer l’attention des Acadiens d’une manière toute spéciale. Ainsi donc, développement de l’éducation par la multiplication des écoles primaires, et, je n’hésite pas à vous le dire, messieurs, cette multiplication des écoles primaires fait souvent l’objet de mes réflexions, et je ne désire rien tant, dans l’intérêt du peuple acadien, que de la voir se faire immédiatement. Je crois en effet que c’est un moyen radical de parvenir aux fins que vous vous êtes proposées en vous réunissant avec tant d’enthousiasme en convention nationale. Comme Canadien-Français, messieurs, je ne négligerai aucune occasion pour mettre en rapport le peuple acadien avec celui auquel j’appartiens, je n’oublierai pas, je n’oublierai jamais que si je suis Canadien-Français d’origine et de cœur, je suis Acadien par le choix que j’ai fait du sol de l’Acadie pour me servir de foyer, et par la reconnaissance qui m’entraîne à votre peuple pour la fraternité avec laquelle il m’a reçu au milieu de lui. Puisse cette convention de l’Acadie porter d’heureux fruits; puisse-t-elle, en affirmant solennellement notre existence comme nation distincte, nous faire obtenir les droits et les privilèges que vous êtes en droit d’obtenir et que vous méritez à tant de titres, notamment par votre obéissance à l’état dans les temps de persécution, par votre fidélité à conserver dans le sanctuaire de votre cœur la pureté de votre foi, de votre langue et de vos mœurs. J’espère que dans trois semaines, au 15 du mois d’août, le Canada verra cent mille Acadiens fêter, de paroisse en paroisse, la solennité de l’Assomption, solennité que vous avez choisie pour votre fête nationale; puissiez-vous obtenir dans toutes ces conventions particulières le même succès que celui que vous remporterez de cette grande convention nationale à l’heure qu’il est existante.