La Baie Sainte Marie et l’Émigration

Year
1881
Month
4
Day
21
Article Title
La Baie Sainte Marie et l’Émigration
Author
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Page Number
2
Article Type
Language
Article Contents
La Baie Sainte Marie et l’Émigration. (Suite.) N’est-ce pas un triste spectacle que nous présentent ces jeunes gens et ces hommes qui émigrent aux Etats? Ils abandonnent ainsi de gaieté de cœur la patrie la plus chère et la plus aimable, une terre consacrée par le courage et le malheur, des familles vertueuses et tendrement unies! où une modeste aisance règne presque universellement, pour aller chercher du nouveau dans un pays qui semble dévorer ses habitants, étouffe dans leur cœur tout noble souvenir, les courbes sous un travail de mercenaire sans repos ni trêve, qui n’a d’autre récompense qu’un salaire dépensé bien souvent avant d’être gagné! et ne laisse loin de tout ce qu’on aime que l’affreuse perspective de l’abandon et de la misère pour une vieillesse qui ne vient que trop tôt et, la plupart du temps, avec un effrayant cortège d’infirmités apportées par le travail malsain des manufactures et un séjour prolongé dans des demeures, des localités insalubres et des manufactures pestilentielles! Quel avenir bien différent n’ont-ils pas sacrifié? Sur les bords heureux de la baie Ste. Marie, ils avaient cet air si fortifiant de la mer qui donne un sang si riche! Ils trouvaient là le repos, la joie, ces plaisirs honnêtes qui ne manquent jamais de régner au milieu d’une population religieuse autant que laborieuse dont Dieu semble bénir les humbles vertus en lui accordant tout le bonheur qu’on peut raisonnablement désirer ici bas! Que prétendent donc ces imprudents? Quel avenir chimérique se sont-ils forgé dans leur imagination pour quitter une position qui était, après tout, de nature à satisfaire leurs légitimes désirs, et se lancer ainsi à la poursuite de l’inconnu sur une terre où règne, il est vrai, la soif de l’or dans toute son effrayante réalité, mais pour un qui peut s’abreuver à cette source, combien qui verront toujours fuir la fortune lorsqu’ils pensent la trouver? Combien qui ne pourront résister à un travail trop violent et que n’adoucissent plus les joies de la patrie dont on ne peut se passer aussi facilement qu’on le croit? Les salaires sont élevés, dit-on, mais les objets nécessaires à la vie sont aussi à un beau prix! Combien de nos émigrants, après des rêves d’or, n’ont fini par trouver dans ces Etats-Unis moins hospitaliers qu’on ne le croit trop généralement et trop aveuglement, que des positions où ils ne gagnaient même pas, par un travail excessif, de quoi payer le prix d’une modeste pension? Combien d’autres avec les gros gages qu’ils avaient espérés, pouvaient à peine suffire à se procurer les nécessités de la vie. Car, dans les villes américaines, les besoins croissent encore plus que les ressources et, nous ne surprendrons personne, en ajoutant que le milieu dans lequel on vit est loin d’être favorable à l’économie! Qui donc pourrait apprendre l’épargne parmi des gens qui ne songent qu’à la dépense? Et, comme personne ne peut ignorer les habitudes générales de boisson qui règnent dans ces prétendus pays d’or, ou whisky, rum, brandy, etc., coulent avec plus d’abondance que l’argent, il nous sera permis aussi de faire cette remarque. Ce sont généralement des jeunes gens qui abandonnent ainsi famille, patrie, amis pour se transporter chez les yankees… En arrivant parmi eux le nouveau débarqué s’occupera aussitôt de trouver quelques amis afin de sentir un peu moins le fantôme de l’isolement. Que seront ces amis? Ici, il n’y a pas à se tromper, on prendra ce qu’on trouvera sans s’inquiéter de la qualité, en l’absence des parents, de l’influence salutaire, de la religion si puissante à la Baie Sainte-Marie, presque nulle aux Etats, au moins pour ce qui regarde les émigrants! sans être même soutenu par le point d’honneur qui dans la paroisse ne permettra jamais qu’à un petit nombre de s’écarter du droit chemin, sans appui, sans direction, sans conseil, sans aucun préservatif, où ira-t-on? que deviendra-t-on? Pour le plus grand nombre, le fait est malheureusement trop certain, on arrivera au désordre, à la débauche, à l’ivrognerie. Cette belle position, qu’on était venu chercher de si loin, pour laquelle, on avait tout sacrifié, sera un état ignoble, dégradant, où la misère sera la digne compagne du vice et de l’incapacité? A-t-on vu jusqu’ici beaucoup d’Acadiens revenir riches et heureux à leur pays natal, même après de longues années de séjour aux Etats? C’est cependant ce qu’on s’était proposé! Demandez à nos émigrants ce qu’ils prétendent faire en s’expatriant ainsi dans la fleur de l’âge? Ils vous diront tous qu’ils vont pour quelques années à Boston, Haverlull, etc., et qu’ensuite ils reviendront à Météghan, à Saulnierville, à Ste. Marie, etc., avec des épargnes qui leur permettront de vivre à l’aise et indépendants. Mais les faits donnent le plus éclatant démenti à tous ces beaux rêves!........On ne revient pas parce qu’on est beaucoup moins avancé au bout de quelques années que le premier jour puisqu’on n’a même pas de quoi payer son passage. Quand on vient, c’est pour affliger sa famille par sa misère, son découragement, son désœuvrement, et le triste spectacle de ces mauvaises habitudes qui ont remplacé les salutaires pratiques de la religion par les vives funestes que des compatriotes même peuvent vous enseigner dans les vertueux Etats-Unis! On revient ainsi mendier sa part d’un pain qu’on n’a pas contribué à gagner. C’est alors qu’on trouve que la Baie Sainte-Marie est encore bonne à quelque chose, c’est parmi les siens qu’on revient implorer la compassion. On sait bien maintenant ce qui attend les malheureux au milieu des étrangers, des américains surtout : chacun pour soi et Dieu pour tous! voilà toute la charité qu’il faut espérer au milieu d’eux! On dira peut être, mais quelques-uns des émigrants ont réellement fait quelques économies! Que peut faire une goutte d’eau dans l’océan? Ceux mêmes qui reviennent régulièrement tous les hivers avec la somme nécessaire à leurs besoins et à ceux de leurs familles, seront-ils bien avancés après de longues années de ce genre de vie? Et le nombre de ceux qui se tirent d’affaire ainsi et se contentent de cette pauvre médiocrité, qui ne pensent jamais au lendemain, est-il bien considérable? Que deviendrait enfin une nation dont tous les membres prendraient la triste habitude d’aller gagner leur existence à l’étranger? Quel progrès serait possible avec un tel système? X….. Baie Sainte Marie. A continuer.