Reveil des Acadiens

Year
1881
Month
7
Day
28
Article Title
Reveil des Acadiens
Author
----
Page Number
1
Article Type
Language
Article Contents
REVEIL DES ACADIENS. (De La Minerve) Une grande convention acadienne doit avoir lieu les 20 et 21 du mois, à Memramcook. Nous avons cru, à cette occasion, qu’un coup d’œil sur la situation des Acadiens dans la Confédération canadienne ne serait pas sans intérêt pour nos lecteurs. Depuis 1867 la famille acadienne est entrée dans la famille canadienne ; ensemble nous formons l’élément français du Canada, et ce serait une faute politique et nationale grave de ne pas nous tenir au courant de ce qui se passe là-bas. Les Acadiens sont des nôtres, et, qui plus est, ont aujourd’hui besoin de nous. A notre tour, nous pourrons avoir besoin d’eux plus tard. On ne sait pas ce que la Providence réserve à la race française de ce pays. Les digues qu’il nous a fallu élever depuis la conquête contre l’envahissement de l’élément étranger ; nos difficultés politiques pendant l’Union ; 1837 et 1838, notre position dans la Confédération où, laissés à nos propres ressources, nous ne pouvons lutter contre l’influence et le nombre des autres nationalités réunies, tout nous fait un devoir de nous ménager des alliés, des amis, partout où des alliés et des amis s’offrent à nous. Les Acadiens sont nos frères, étant français comme nous; leur intérêt et le nôtre sont, par conséquent, identiques, et tout ce qu’ils réalisent de progrès chez eux, tout ce qu’ils acquièrent d’influence nous est acquis. Les combats qu’ils combattent sont ceux que nous combattons ; et rien de ce qui les concerne ne doit nous être indifférent. Le passé des deux races se ressemble, mais leur avenir se confond. Ce qui leur est réservé de succès ou de revers nous est aussi réservé. Par la confédération nous sommes devenus une même race, englobée dans un même pays, le Canada. Mais si nos deux passés se ressemblent comme un deuil ressemble à un autre deuil; si nos deux avenirs se mêlent et se confondent, nos nécessités présentes ne sont pas les mêmes. Les Acadiens, nés d’hier à la vie politique, n’ont pour eux que leurs droits civils, garantis par la constitution anglaise, tout le reste est à faire. Nous sommes ici chez nous dans la province de Québec; nous commandons ou à peu près ; la législature, la magistrature et la presse, sont plus ou moins entre nos mains. Dans le commerce, l’industrie et les finances, nous commençons à faire bonne figure. Les sciences et les arts révèlent de nous. Nous avons l’épiscopat, le clergé et l’instruction religieuse. Les Acadiens n’ont rien ou à peu près rien de tout cela. Mais ils travaillent, ils luttent, ils posent les bases de leur avenir. L’attitude de ce petit peuple, qui ne désespère pas, est édifiante. Cela nous rappelle ce qu’ont fait nos pères, et nous oblige à prêter main forte à ceux qui, étant aujourd’hui ce que nous avons été, s’efforcent de devenir ce que nous sommes. Il y a dix sept ans, en 1861, à la fondation du collège Saint-Joseph de Memramcook, ils formaient, dans la Nouvelle-Ecosse, au Nouveau-Brunswick, à l’Ile du prince Edouard–l’ancienne île Saint-Jean–divers petits groupes isolés, sans rapport entre eux, n’ayant aucune part dans l’administration de la chose publique. Ils n’avaient, à cette époque, aucun collège, aucune académie, où le français fut enseigné convenablement, rien qu’un petit nombre d’écoles primaires et primitives, et un ou deux couvents de fondation récente. Ils n’avaient pas de journal, pas de prêtres acadiens, excepté M. Poirier, M. Giroir et un ou deux autres ; ils ne comptaient pas un seul avocat, pas un seul médecin de leur race ; de marchands, de bourgeois, de banquiers, ils n’en avaient que peu ou point; bref, ils n’avaient pour eux que leur vitalité nationale, leur langue française et leur foi inaltérée et inaltérable. Ce que les Acadiens ont fait de progrès depuis dix-sept ans, si l’on tient compte des circonstances où ils se trouvaient et du peu de ressources qu’ils avaient à leur disposition, est à peine croyable. En 1864, un jeune missionnaire canadien, une des plus belles intelligences qui fût dans notre clergé, et, avec Mgr Taché, l’un des apôtres les plus remarquables qu’ait produit le Canada, le Rév. Père Camille Lefebvre, de la Société Sainte-Croix, partait de St Laurent et allait jeter les fondations de collège de Memramcook. Cette date et ce collège sont l’hégire du peuple acadien. C’est le commencement et la source de presque tout le progrès qui s’est fait là-bas depuis. Outre le collège de Saint-Joseph de Memramcook, il y a, aujourd’hui, au Nouveau-Brunswick, le collège de St-Louis, fondé par un autre homme très remarquable, un Acadien, celui-là, M. l’abbé Richard; il y a des couvents dans les grands centres acadiens de l’Ile Saint Jean et au Nouveau Brunswick; il y a partout des écoles primaires et des académies où le français est enseigné; il y a un département français à l’Ecole Normale de Frédéricton avec un professeur acadien M. Alphée Belliveau; il y a un inspecteur français au Nouveau-Brunswick, M. Valentin Landry, et un autre pour la Baie Sainte-Marie à la Nouvelle-Ecosse; les Acadiens comptent quatre avocats, et au moins six médecins; ils ont un essaim de jeunes prêtres ordonnés et à la veille de l’être; un certain nombre ont fait de petites fortunes dans le commerce et l’industrie, et le monopole ruineux exercé par les étrangers est à la veille de disparaître; ils ont des députés à Charlottetown, à Halifax, à Frédéricton et à Ottawa, et celui des ministres de Frédéricton qui tient le portefeuille le plus important dans l’administration actuelle est un Acadien, l’honorable Pierre A. Landry. Voilà un aperçu des progrès réalisés par nos frères les Acadiens depuis moins de vingt ans. Aujourd’hui, ils ont une convention générale, à l’instar de celle que nous avons eue à Québec, l’année dernière. Le but de cette convention est d’unir les divers groupes d’Acadiens qui se trouvent encore aujourd’hui séparés et sans rapport les uns avec les autres; de favoriser la colonisation; de prendre des moyens pour prévenir l’émigration aux Etats-Unis; de fonder des sociétés d’encouragement pour l’agriculture; de resserrer leurs liens, et de se choisir une fête nationale. Toutes nos sympathies leur sont acquises; et nous souhaitons et nous désirons ardemment les voir réussir dans leurs nobles et patriotiques efforts. Quoiqu’il arrive, quelque soit l’avenir qui nous est réservé, les Acadiens trouveront toujours chez les Canadiens des amis dévoués et des frères.