Le Canada avant 1760

Year
1881
Month
5
Day
19
Article Title
Le Canada avant 1760
Author
Benjamen Sulte
Page Number
1
Article Type
Language
Article Contents
REPRODUCTIONS LE CANADA AVANT 1760. PAR BENJAMIN SULTE Il est bien que de temps à autre quelqu’un cherche à ternir nos antiques vertus. Cela nous rapporte nous-mêmes. N’était-il pas de mode chez l’étranger, il y a cinquante ans, de dire que l’histoire du Canada ne valait pas la peine d’être écrite, attendu que ce pays avait été peuplé par un ramas d’aventuriers français qui ne tenaient à rien, parce qu’ils ne tenaient de rien? Quel changement depuis lors! Il ne se rencontre plus d’hommes instruits pour nous jeter l’insulte à la face : nos historiens en ont raison. On sait maintenant d’où nous sommes venus, ce que nous venions faire en Amérique, comment nous avons travaillé à la civilisation de ce continent, et pourquoi nous avons été conquis. Le passé, révélé par l’étude et le courage de nos écrivains, nous protège contre les dénigrements de l’ignorance et de la malice. Eh! bien, même chose reste à faire pour l’Acadie, cette terre, tant de fois spoliée, cette population si souvent persécutée et diffamée. Le livre récent de M. Rameau accomplira cette œuvre méritoire, mais non pas sans que l’on s’en plaigne en certains quartiers. Déjà en 1859, le même auteur avait soulevé le voile qui a recouvert pendant si longtemps l’histoire de notre colonie sœur, mais il sentait qu’un effort nouveau devenait nécessaire, et il vient de le tenter. Ce que l’on appelle de nos jours la Nouvelle-Ecosse et une partie du Nouveau-Brunswick continua, de 1604 à 1713 sous le gouvernement français, une colonie distincte, dont le peuplement, fort avancé, ne dépendit point du Canada. Les colons en étaient venus de France, vers l’époque où Québec s’établissait : de sorte que sur le bord de l’Océan aussi bien que sur les rives de notre fleuve, 2 groupes de population actifs, intelligents, hardis avaient créé deux véritables puissances françaises. Le groupe acadien, [illisible] détaché du nôtre, a donc son histoire séparée. C’est l’étude vers laquelle M. Rameau a dirigé son attention et, nous devons le dire, avec un succès qui efface tout ce qui s’est écrit en ce genre avant lui. Voulait se rendre compte des luttes qui ont eu lieu entre les colonies anglaises et les fondateurs de l’Acadie, il a examiné de près les origines, les tendances et l’organisation des deux peuples. Les merveilles de la résistance des Acadiens aux attaques si souvent répétées de leurs voisins, bien que connus dans l’ensemble, étaient à peu près inexpliquées. Encore un peu de temps et cela devenait de la légende, puis disparaissait des pages de l’histoire. En recherchant les causes de cette série d’évènements remarquables, on s’aperçoit que plus d’un rapprochement pourrait être fait entre les aventureux pionniers de l’Acadie et ceux des bords du Saint-Laurent. De part et d’autre, il y a un caractère, une pensée dont les peuples exclusivement commerçants ne paraissent avoir saisi l’importance; choisir de bons cultivateurs, les transporter dans les terres nouvelles de l’Amérique, et faire en sorte qu’ils s’y créent de toutes pièces une patrie ¬– telle est l’idée que les Espagnols n’ont pas connue – que les Anglais ont effleurée, et que la France a réalisée avant 1713, tant au Canada qu’en Acadie. L’esclavage n’a jamais existé parmi nous à l’état d’institution. Le sol du nouveau pays, partagé en grands blocs entre les seigneurs, qui étaient les promoteurs et les chefs du mouvement, se subdivisait en terres, ou fermes, accordées aux habitants qui les couvraient d’habitations. Ce mouvement prenait, par là même, un caractère de stabilité mille fois préférable aux entreprises décousues que les autres races tentaient sur différents sites du continent et des iles. Aussi, profondément attachés à leurs établissements, les anciens Acadiens et Canadiens surent-ils défendre, pendant de longues années, contre les invasions incessantes d’adversaires nombreux et puissants. Sur les bords de l’Atlantique, les Anglais ont établi Boston, les Français, Port-Royal; et, sur le Saint-Laurent, les Français encore Québec, le tout presque en même temps. Ces trois germes ont grandi les uns à côté des autres. Il est facile de les suivre, chacun dans ses phases particulières, et se s’expliquer pourquoi l’un d’eux (Boston) a étouffé les autres.