L'election de M. Poirier dans Gloucester

Newspaper
Year
1898
Month
3
Day
24
Article Title
L'election de M. Poirier dans Gloucester
Author
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Page Number
2
Article Type
Language
Article Contents
L'ELECTION DE. M. POIRIER DANS GLOUCESTER. Nos lecteurs n’en croiront pas leurs yeux quand ils liront qu’un comté acadien, le comté de Gloucester est représenté dans tous les gouvernements et sous toutes les latitudes par des Acadiens. Ou plutôt, sachant cela, nos lecteurs s’écrieront : “Eh bien quoi, c’est tout naturel! Qu’y a-t-il de plus simple que cela!—Voici un comté tout acadien, il faut dire tout puisque la presque totalité de ses habitants est française, il n’élit que des siens aux postes de confiance et d’honneur, c’est juste. Dans les Comtés anglais ou presque anglais on agit de même. (Il y a plus, des comtés presque exclusivement français n’ont que peu ou point des leurs au gouvernail des affaires). Etc., etc., etc. Est-ce la faute des électeurs français? il n’y a pas longtemps encore, ils trouvaient bon que des étrangers les servissent, ou était-ce pure bonté des concitoyens anglais? il n’était jamais question d’un député français. Les Anglais ne voyaient rien d’anormal à ce qu’une minorité fut ignorée—à ce qu’une majorité d’électeurs français se laissât imposer des candidats et des représentants tirés de la minorité. Aujourd’hui, on trouve profondément dégradées certaines choses qui dans l’ancien temps étaient toutes naturelles. Ainsi, nos frères Irlandais et Anglais—nous ne nous plaignions pas, c’est vrai, et nous avions tort—nos frères Irlandais et Anglais pensaient qu’il fallait être bien fou du cerveau pour mettre sur le tapis la question de “fair play.” Le “fair play” est d’invention récente, depuis l’invention des ballons, alors qu’un Français peut donner un coup de pied aussi fort qu’un Anglais, en d’autres termes depuis que les Acadiens ne le cèdent en rien en popularité, en influence, en éducation, en éloquence, en esprit des affaires; dépuis que les nôtres peuvent marcher à la tête quand ça leur plait. Le “fair play” est un excellent signe de l’égalité des forces. Il n’y a jamais eu de “fair play” aux époques de force brutale, quand le nombre l’emportait d’un coté, quand le haîne dictait les conseils et menait les gens au vote. Dans ce temps-là, nous autres Acadiens, nous n’avions pas besoin de “fair play”—ce mot-là n’était pas français. Que, même pour nous représenter, il était plus honorable de ne pas envoyer des nôtres. Maintenant nous rions de ces choses folles. L’Acadien est une bonne pâte d'homme! Aujourd’hui, singulière disposition des évènements, anomalie de la destinée, œuvre providentielle, le beau comté de Gloucester est représenté par des Français seulement, grâce à la récente élection de M. Joseph Poirier au gouvernement de Frédéricton. Vous vous réjouissez de cela? Nous vous avons dit qu’il y a de quoi. Les Irlandais, les Anglais se voilent la face et crient à la domination française, à l’abus de la force? Vous en riez de cette indignation et à bon droit, car depuis des siècles, nos amis nous ont gratifiés de ces abus de la force sans que le remords ne les aiguillonne jamais. Et puis, ce n’est pas tout. Loin d’abuser dans Gloucester du droit du nombre comme du droit du choix, M. Veniot, député du même comté, et M.A.D. Richard, l’honorable député de Westmorland, sont allés par pure bonté dans Gloucester demander à M. Poirier de ne pas se mettre sur les rangs comme candidat au siège vacant d’un anglais M. Sivewright, mais de laisser le place à M. Stewart qui passerait ainsi sans opposition. Deux Français influents disant à leurs compatriotes “Notre comté renferme un petit quart d’Anglais, permettons leur d’élire un des leurs. Est-ce là du “fair-play”? Voyez-vous, le mot est anglais—la chose est française—apprenez une leçon, amis et voisins. Oui, là encore, nous pouvons nous vanter d’avoir, même à nos dépens, donné un bel exemple de justice, de morale et d’ordre. Sera-t-il compris? Qu’importe, nous avons la conscience nette. Toutefois M. Stewart n’a pas été élu.—Hélas, non. Et les Acadiens n’y sont pour rien. Pénétrés de ce sentiment de “fair play” qu’on leur avait prêché et qu’ils comprennent sans qu’on le leur impose, ils ont voté pour l’homme de la minorité mais, il y a cela de curieux, de drôle, de typique, de renversant, d’incompréhensible que le minorité à voté contre son homme et l’a battu. Oui, alors que les Acadiens se soumettaient à un fait d’ordre purement de convenance les Anglais votaient délibérément pour un Français avec un nombre respectable des nôtres cependant fidèles à leur homme. Mais qui pourrait les blâmer alors qu’ils en avaient la possibilité, d’avoir envoyer un autre des leurs M. Poirier, un Acadien, à la capitale du Nouveau Brunswick? Qu'on prenne bien garde avant de répondre. Au moins la majorité parmi eux avait eu et a une pensée pour les Anglais. Ces derniers ont préféré un Français, ou du moins ont manœuvré de telle sorte qu’un Français soit sorti victorieux de la lutte; nous n’avons pas à nous embarrasser des raisons qui ont amené ce résultat, plus que nous ne l’avons fait. Trouvent-ils qu’un Français est aussi capable de les représenter qu’un des leurs? Si oui, enregistrons le fait comme le premier de ce genre dans les provinces maritimes!!! D’un autre côté, ils ne peuvent nous accuser de coterie, de partisannerie, avons-nous dit, puisque tout le support obtenu par M. Stewart est presque exclusivement venu des nôtres comme on peut en juger par la liste des votes dans les divers districts électoraux du comté. Prenez par exemple Tracadie No. 10 qui donne à M. Stewart 262 votes, à M. Poirier 172; Shippagan No. 13, à l’Anglais 118 et au Français 25, etc. Nous n’accumulerons par les preuves de ce genre; il n’y a qu’à parcourir le rapport officiel du vote pour s'assurer que les Acadiens de Gloucester tout en restant des patriotes, ont fait leur devoir et se sont montrés justes envers la minorité. Il est à espérer que nos compatriotes des autres comtés prendront exemple de cela pour affirmer leurs droits et que les Anglais prendront de nous cette leçon de “fair play.” Peut-être qu’avant longtemps ils enverront, eux aussi, des hommes de confiance dans les comtés où nous formons un quart, un tiers, la moitié de la population, ou plus, et engageront les électeurs à nous accorder ce à quoi nous aurions droit quant à notre nombre, quant à notre influence, quant à notre utilité financière, industrielle, intellectuelle dans l’état, dans la province, dans le comté, dans le village où nous sommes. O heureux âge d’or, quand viendras-tu?