Correspondance: après le combat!

Newspaper
Year
1896
Month
7
Day
2
Article Title
Correspondance: après le combat!
Author
L'Acadie liberale
Page Number
2
Article Type
Language
Article Contents
CORRESPONDANCES. Après le combat! Monsieur l’Editeur,— De même que l’ancien régime conservateur ne faisait le bonheur que d’un petit nombre, ainsi sa chute n’a causé que peu de regrets Le peuple s'est levé comme un seul homme, a dit—“J’ai des droits, une intelligence, une conscience; je revendique les premiers, je m’éclaire par la seconde et la troisième, mieux que tout le reste, me dira comment je dois agir.” Et le peuple qui était devenu la risée des pouvoirs et leur dernière pensée, le peuple intelligent et consciencieux a donné le coup de balai d’Hercule, car le peuple est terrible dans sa colère : Cloacas Auyia purgavit : Nous sommes généreux, d’autant plus que nous avons vaincu et nous nous abstiendrons de dire aux morts qu’ils ont trop vécu. Nous n’avons jamais, nous libéraux, à l'exemple des conservateurs insultés et avilis des adversaires pour leurs opinions. Au lendemain d'un triomphe si loyalement mérité nous ne rééditerons même pas, pour nous venger, ce que les feuilles gouvernementales à gages d'hier ont publié, contre nos amis, contre nous, contre Laurier. Donc la victoire du 23 juin signifie d’abord que le pays en avait assez du joug conservateur, moins encore du joug conservateur que des Tupper, parce que si la défaite a été si complète, c’est que l’élément conservateur le plus respectable et le plus patriotique a fait cause commune avec les libéraux pour châtier les oisillons qui se gorgeaient ‘‘dans le nid des traîtres” comme a dit sir McKenzie Bowell. Ce n’est point une défaite conservatrice, disent nos adversaires, que l’histoire a enregistrée le 23 juin, mais une fouaillée à la maison des Tupper. Plût à Dieu qu’il en fût ainsi : mais, au fond, vous savez, c’est absolûment la même chose. Notre victoire veut dire en deuxième lieu que Québec, que les Français comptent plus qu’on ne le croie dans la balance des destinées du Canada. Il y a eu des Français assez dénaturés pour faire à Laurier une guerre de mensonges et de libelles, allant de porte en porte avec ces deux phrases qu'on leur devrait graver au front—Protestants, ne votez point pour un Français et un catholique—ou, catholiques, supporterez-vous un homme traître à sa race et à sa religion?— Nous avons les preuves, nous avons les noms de ces conservateurs à double face qui ont ainsi fait appel au bigotisme et aux passions mauvaises, parmi les Acadiens et parmi les Anglais. Nous avons eu aussi le triste spectacle d’un parti, qui, voyant le pouvoir lui échapper, le peuple se dégoûter de ses candidats, demander qu'au moins, s’ils étaient protestants de voter pour leur candidat protestant, et, s’ils étaient catholiques de voter pour leur candidat catholique. Ne pouvant plus spéculer des consciences entières ils se seraient contenté de moitiés. Le résultat a été, dans ces cas très rares, comme Halifax, que le catholique a été battu. Oui, ces gens, que nous ne qualifierons d’aucune manière, ont laissé leurs mesquines idées politiques fouler aux pieds la justice due à notre race. Le pouvoir a été aux mains d’un Ecossais avec sir John McDonald, d’un Irlandais avec sir John Thompson, d'un Anglais avec sir Mackenzie Bowell; l’esthétique demande qu’un Français prenne aujourd'hui sa place en cette galerie déjà si variée. De plus, cette volte-face de Québec par laquelle ils ont tourné le dos au parti conservateur qui les mettait toujours au fin fond, réduisait leur représentation et le nombre de leurs ministres, nous montre que les Français sont décidés à faire valoir leurs droits et à s’unir aux provinces-sœurs par des liens d’intérêts et de légitime orgueil plus forts que jamais. Nous nous réjouissons du résultat des élections à ce point de vue surtout : Nos compatriotes prendront de meilleur cœur un intérêt aux affaires du pays. Troisièmement, et c’est ce qu’il y a de plus flatteur pour Laurier, homme d’état, nos compatriotes de langue anglaise l’ont supporté comme nous, pas autant, peut-être parce qu’il était Français, mais, à cause de ses talents hors ligne, son admirable éloquence, son honnêteté proverbiale et son indépendance dans sa justice envers toutes les races et toutes les religions. Bien mieux que personne, quoi qu’on dise, un catholique et un Français, mettra fin aux difficultés manitobaines; le contraire serait le monde renversé, et très peu se sont trouvés là pour gober les sornettes des tories qui ont feint de le croire : C’te blague. Un conservateur imprudent et naïf expliquait la cause de la défaite d’une autre manière, l’autre jour : Les Libéraux se sont opposés au vote du budget, alors, à la veille des élections on s’est trouvé sans argent, alors ……………………………………………. Eh bien, il faut croire que tout de même on paye entier ne saurait être acheté, et il l’a prouvé. Il a compris qu’on le cajôlait une fois tous les cinq ans pour l’amener à se taire, qu’on lui promettait terre et ciel et qu’on ne hâtait de l’oublier au lendemain des fêtes, qu'on pouvait lui donner aujourd'hui un peu pour le lui reprendre sou par sou, sur son boire et son manger, son habillement et son logis, de jour en jour, de semaine en semaine, de mois en mois, année après année. Il a entendu parler de la protection qui enrichissait le pays et le pays était pauvre; ou lui a montré des millionnaires, quelques-uns, et des gueux à foison. Alors, le peuple s’est dit : Réduisons les trop gros bénéfices, le menu fretin pâtit de la gourmandise des gros poissons. On lui disait : Nos banques regorgent des économies de nos petits bourgeois, donc tout va bien. Et le peuple, qui ne juge pas par les colonnes de journaux financiers, mais par la grosseur de son bas de laine qui lui dit sans erreur la hausse et la baisse des affaires ayant tâté ce bas de laine et le trouvant toujours vide a cru qu’on se moquait de loi. Ensuite des orateurs au geste immense, à la voix mielleuse, lui ont loué notre beau Canada que baignent deux océans. Et, il a compté autour de lui ses frères et ses sœurs, ses fils et ses filles, puis il s’est demandé combien, de sa chair et de son sang, étaient allés demander au travail étranger, à l’esclavage des magasins et des usines, le morceau de pain que leur dénie la mère-patrie. El ils étaient légion. Il n’est pas un foyer qui n'ait un vide. Voilà pour le passé. Quant à l’avenir, nous avons le ferme espoir que l'Hon. M. Laurier trouvera moyen de concilier les intérêts des manufacturiers et de la classe laborieuse; qu’il se dispensera de ces plantes parasites qui grugent le peuple et ne rapportent rien, cette nuée de sauterelles qui remplit les bureaux et dévore la récolte du paysan; qu’il marchera dans le sentier de la justice et du droit comme par le passé, qu’il examinera, pèsera et discutera les faits et les choses, mais se mettra un bandeau sar les yeux pour ne pas voir les personnes; qu'il arrêtera ce mouvement d'émigration qui désole le pays et la famille; qu’il refera possible la vie du laboureur, du pêcheur et des humbles en général; qu’il resserrera les liens de paix qui nous attachent à nos voisins sans dépasser les limites de l'amitié et de la courtoisie internationale. Londres fait bon accueil à l’élection de Laurier. C'est un loyal sujet britannique aussi fier de la constitution anglaise que l’Angleterre est elle-même fière de posséder, au joyau de ses colonies, un homme de sa trempe, de son éloquence, de son courage, de son patriotisme. Il ne parlera guère peut-être de service rapide entre l’Angleterre et ici. Le service que nous avons est bon, tandis que l’autre nous coûterait des millions pour ne supporter que des décimes. Nous sommes moins pessimistes que nos adversaires conservateurs, nous voyons dans l’avènement de Laurier au pouvoir, un gage de paix pour le Canada, un rapprochement du peuple et de ses gouvernants, une émulation pour le bien, des Français, qui, jusqu’alors pouvaient être intéressés, mais ne se sentaient sur les épaules aucune responsabilité. En avant donc, les Libéraux, mais ayons toujours devant les yeux les exemples et l'image du passé pour nous garder des fautes que nous avons vues punir, le 23 juin, et pensons à l’avenir que nous avons voulu meilleur. C'est là-dessus que l'histoire nous jugera. L’ACADIE LIBERALE.