L'expulsion des Acadiens (suite)

Newspaper
Year
1896
Month
4
Day
23
Article Title
L'expulsion des Acadiens (suite)
Author
Placide P. Gaudet
Page Number
3
Article Type
Language
Article Contents
L’EXPULSION DES ACADIENS (Suite) Pour pouvoir exécuter le drame depuis longtemps ourdi entre Shirley, Lawrence et consorts, savoir l’expulsion des Acadiens, il faillait pour cela s’emparer préalablement des fortifications françaises qu’il y avait à Beauséjour, à la baie Verte et à l’embouchure de la rivière St-Jean. L’année 1755 fut donc fixée entre les complices pour accomplir leur abominable projet. Sur les fausses et mensongères représentations faites, le 3 juin 1754 (calendrier réformé) par Shirley, gouverneur de la baie du Massachusetts, à sir Thomas Robinson, Sécretaire d’Etat à Whitehall, celui-ci, dans une dépêche du 5 juillet suivant, l’autorisa de profiter de l’absence des sauvages de la péninsule et de la rivière St-Jean pour attaquer les forts de Beauséjour, Guspareaux, sur l’Isthme de Chignitou, et celui de Boishébert à St-Jean. Il lui conseillait de s’aboucher sans retard à cette fin avec Lawrence, qui était au courant du projet, mais dont on ignorait la chose à la cour de Whiteball. Shirley avait faussement mandé au secrétaire d’Etat que "les habitants rebelles de Chignitou [c’est ainsi qu’on désignait les Acadiens réfugiés dans l’Acadie française] avec les sauvages de la péninsule [Nouvelle-Ecosse] et de la rivière St-Jean étaient décidés, par l’influence de la garnison française à Beauséjour, à entreprendre la destruction des établissements le long de la partie est de la baie du Massachusetts jusqu’à la rivière de Kennebec, où on suppose qu'ils sont rendus.” C’est le 3 juin 1754 que Shirley avait écrit ce mensonge effronté, et dans la même lettre il ajoutait hypocritement que les malheurs qui allaient fondre sur les colonies de la Nouvelle-Angleterre et de la province de la Nouvelle-Ecosse seraient dus à la présence des Français du Canada qui ont pris possession de l’Isthme de Chignitou et de la rivière St-Jean et qui continuent leurs empiètements dans les territoires de sa majesté britannique. Comme on le voit Shirley avait adroitement attiré l’attention du secrétaire d’Etat sur les prétendus dangers qui menaçaient les colonies anglaises. Il avait aussi insinué que le seul moyen d’éviter les malheurs qui pourraient arriver était de déloger les garnisons françaises des postes susénoncés. Il est évident, cependant, que le gouverneur de la baie du Massachusetts était loin de s’attendre que sir Thomas Robinson lui ordonnerait de profiter de l’absence des sauvages pour attaquer le fort Beauséjour et les autres fortifications françaises, à la bais de Fundy. Shirley fut donc pris dans son propre piège, car ni les Acadiens réfugiés dans l'Isthme de Chignitou, et ni les sauvages de la péninsule et, de la rivière St-Jean ne s’étaient rendus à la rivière Kennebec comme il l’avait faussement mandé. La lettre de secrétaire d’Etat quoique datée du 5 juillet 1754 ne parvint à Shirley qu’au mois de Novembre suivant, c'est ce dernier qui nous l’apprend. Vers le même temps Lawrence en reçut aussi une de sir Thomas Robinson portant la même date. Le secrétaire d’Etat au nom de Sa Majesté de se joindre à Shirley pour attaquer les postes français à Beauséjour, à la baie Verte et à la rivière St-Jean. Il lui transmettait en même temps un extrait de la lettre de Shirley, datée 3 juin (23 mai, ancien calendrier) 1754, et aussi copie de la réponse quel lui faisait. William Shirley, avocat, originaire d’Angleterre, immigra à Boston vers 1735 ou 1736 avec sa famille, où il exerça sa profession jusqu’en 1741 qu’il fut nommé gouverneur de la province de la baie du Massachusetts. Le 22 septembre 1749 il partit de Boston pour se rendre en Angleterre, et ne revint au Massachusetts qu’en 1753. Il était un des commissaires pour régler la question des limites de l'Acadie qui ne fut point. La commission siégea de 1750 à 1753, mais on ne put s’entendre, Shirley qu’était un fin diplomate y fut pour beaucoup dans l’insuccès de ces démarches entre les deux couronnes. Son plan était arrêté depuis longtemps, c’est-à-dire de chasser les Acadiens et de repeupler le pays avec des colons protestante. Peut-être entrevoyait-il dès lors la possibilité de s’enrichir avec les récoltée et le bétail des Acadiens, mais pour cela il lui fallait un complice sur qui toute la responsabilité de cette convoitise retomberait. Shirley était trop fûté pour ne pas prendre ses précautions afin d’enlever tout soupçon sur son propre compte, et c’est ce qu’il fit. En effet il sut si bien s’arranger avec Lawrence que toute la responsabilité de l'expulsion semble peser sur les épaules de ce dernier. Cependant si la correspondance secrète qui dut nécessairement être échangée entre eux n’eut été détruite, on y verrait aujourd’hui des choses fort peu édifiantes sur le dossier déjà lourdement chargé de ces deux compères sanguinaires et inhumains. Charles Lawrence comme Shirley était natif d’Angleterre. Il débuta dans la vie en entrant chez an peintre à Londres puis il s'enrôla dans le régiment d’infanterie de Warburton dont il était un des majors à l'été de 1749. Peut-être prit-il part au premier siège de Louisbourg en 1745, mais ce qu'il a de certain c’est qu’il était à Louisbourg lors de l’évacuation anglaise au commencement de juillet 1749. Il se rendit alors à Halifax et le 11 août suivant (calendrier réformé) il fut nommé membre du conseil où il siègea pour la première fois le lendemain. La livraison du Magazine da mois de juillet 1750 nous apprend que le major Charles Lawrence du Régiment Warburton à la Nouvelle-Ecosse est nommé lieutenant-colonel du Régiment de Cornwallis et lieutenant-gouverneur du fort Annapolis Royale. Au printemps de 1750 le gouverneur Cornwallis chargea Lawrence d’aller bâtir un fort à Pigiguit. D’après l’abbé de l’Ile-Dieu l’église de l’Assomption fut convertie par les Anglais en fortification, et si cette assertion est vrai Lawrence a fait de cette église le fort Edward à Windsor où cinq ans plus tard furent emprisonnés les abbés Chauvreulx, Daudin et LeMaire avant de les conduire à Halifax. Le 30 août 1750 Lawrence partit d'Halifax avec le régiment de Lascelles, récemment arrivé d’Irlande et 300 hommes de celui de Warburton pour les mines où on s’embarqua pour le Beaubassin dans le but d’y bâtir un fort. Ils arrivèrent le 15 septembre à Chignitou, et Lawrence y construisit le fort qui porta son nom. C’était sa seconde visite à Beaubassin. La première avait eu lieu au mois de Mai précédent, et "les habitants, nous dit Franquet, informés que les Anglais étaient dans le dessein de prendre possession de Beaubassin, l’évacuèrent de tous leur effets et bestiaux, et les sauvages, en mai de cette année (1750) y mirent le feu, de manière que toutes les maisons furent brûlées.” Ceci arriva le 1er mai 1750, et c’est alors que les sauvages mirent le feu à deux églises et à 140 maisons. Lawrence était venu pour déloyer les Français au fort Beauséjour, mais à la vue du village de Beaubassin tout en flammes et la fuite des habitants à l’autre côté de la rivière sous la protection du fort français, il rebroussa chemin, et c’est alors qu’on l’envoya à Pigiguit. Le 12 novembre (calendrier réformé) 1753, au départ pour cause de santé du gouverneur Hopson qui avait succédé à Cornwallis au mois d’août 1752, Charles Lawrence en sa qualité de doyen et président du conseil prit les rènes de l’administration de la province, et c’était l’homme sur qui William Shirley, gouverneur du Massachusetts pouvait compter pour le seconder dans son infâme projet. Ambitieux comme du reste tous- les parvenus réussit à se faire nommer lieutenant gouverneur de la Nouvelle-Ecosse. Cette nomination eut lieu à la cour de Whitehall, le 6 août 1754, mais Lawrence ne fut officiellement investi de cette nouvelle charge que le 25 octobre suivant (calendrier réformé). A présent il peut agir à sa guise et tyranniser les Acadiens, et il n’y manqua pas. C’est aussi à partir de cette date que Shirley devint son aviseur et en fit son complice. Il y a aussi trois autres personnages dont il faut faire connaître : ce sont les lieutenants colonels Robert Monckton et John Winslow et le capitaine Alexandre Murray. Dans les premiers jours de septembre 1762, Monckton fut nommé commandant du fort Lawrence et il y séjourna jusqu’à l’été de 1753. Le 8 septembre il fut assermenté membre du Conseil à Halifax, et fut ensuite envoyé à Lunenburg pour apaiser la révolte survenue entre les Allemands et les antres colons. Il retourna à Halifax au commencement de février 1754, et au mois d’août suivant il fut nommé lieutenant-gouverneur du fort Annapolis, à la place de Lawrence promu au poste de la lieutenance de la province. Le capitaine Alexander Murray faisait partie comme Lawrence du régiment de Waburton et arriva à Halifax à l’été de 1749. Au mois d'août 1754 il fut nommé commandant an fort Edward, à Windsor,et il y était encore, l'année suivante à l'époque de la déportation. Winslow était an Américain natif de Marshfield, Mass. Il était capitaine des troupes da Massachusetts lors de l’expédition à Cuba en 1740 et fut ensuite officier dans l’armée anglaise et major général de la milice. Il avait 52 ans à la date de l’expulsion et Monckton était aussi à peu près du même âge, mais Lawrence était de plusieurs années plus jeune. Ce dernier était un rusé diplomate, un flatteur consommé, un poseur sans vergogne, faisant hypocriment montre d’un grand cèle pour les intérêts du roi à la Nouvelle-Ecosse, et tout cela dans le but unique d’arriver au pouvoir et de s'enrichir. Shirley ne pouvait donc se choisir un compère plus habile et mieux disposé à rentrer dans ses vues. Shirley et Lawrence étaient deux fins renards et aussi fourbes l’un que l’autre, à mon point de vue. Ils surent très bien masquer leur jeu pour ne pas donner l’éveil à la cour de Whitehall qu’ils trompèrent effrontément en grossissant les dangers qu’encourraient les colons anglais à la Nouvelle-Ecosse par la présence des troupes françaises à la baie de Fundy. Ils jouaient donc adroitement leurs cartes, non seulement pour détourner les soupçons de la Cour sur le but véritable de leur intrigue, mais encore pour établir on enchaînement de preuves qui pût les mettre à couvert de tout blâme dans la suite. Aujourd’hui on peut facilement lire leur jeu, qui était, il faut l'avouer, très adroit. Les deux compères semblent s’être entendus secrètement de s’échanger des lettres d’un caractère officieux dans lesquelles ils ne paraîtraient pas être de connivence, mais ils exagéraient à un si haut degré les périls dont la Nouvelle Ecosse et la Nouvelle Angleterre étaient menacés par la présence des troupes françaises à Beauséjour, à la baie Verte et à la rivière St Jean, qu’il deviendrait urgent pour la cour de Whitehall de prendre les moyens de déloger les Français. Lawrence en écrivant au secrétaire d’Etat et aux Lords of Trade leur transmettait copie de la lettre qu’il avait reçue de Shirley et celui-ci agissait de la même manière à l’égard des dépêches que lui envoyait Lawrence. C’est de la sorte que sir Thomas Robinson fut trompé par Shirley qui était de connivence avec Lawrence, ordonna au nom du roi une expédition contre les postes militaires français de la baie Fundy et fit connaître les ordonnances de Sa Majesté par sa dépêche du 5 juillet 1754 à Shirley et Lawrence qu’ils reçurent an mois de novembre suivant. PLACIDE P. GAUDET. (A Suivre.)